Traité politique, III, §09
Il faut considérer en troisième et dernier lieu qu’une mesure provoquant l’indignation générale a peu de rapport avec le droit de la Cité [1]. Certainement en effet, obéissant à la nature, les hommes se ligueront contre elle soit en raison d’une crainte commune, soit par désir de tirer vengeance de quelque mal commun et, puisque le droit de la Cité se définit par la puissance commune de la masse, il est certain que la puissance et le droit de la Cité sont amoindris puisqu’ils donnent des raisons de former une ligue [2]. La Cité a certainement des dangers à craindre ; tout de même que dans l’état de nature un homme relève d’autant moins de lui-même qu’il a plus de raisons de craindre, la Cité, elle aussi, s’appartient d’autant moins qu’elle a plus à redouter. Voilà pour ce qui concerne le droit du souverain sur les sujets. Avant de parler maintenant de son droit sur l’étranger, il semble que nous devions résoudre une question qu’on a coutume de poser au sujet de la religion.
Traduction Saisset :
On doit remarquer en troisième lieu que des décrets capables de jeter l’indignation dans le cœur du plus grand nombre des citoyens ne sont plus dès lors dans le droit de l’État. Car il est certain que les hommes tendent naturellement à s’associer, dès qu’ils ont une crainte commune ou le désir de venger un dommage commun ; or le droit de l’État ayant pour définition et pour mesure la puissance commune de la multitude, il s’ensuit que la puissance et le droit de l’État diminuent d’autant plus que l’État lui-même fournit à un plus grand nombre de citoyens des raisons de s’associer dans un grief commun. Aussi bien il en est de l’État comme des individus : il a, lui aussi, ses sujets de crainte, et plus ses craintes augmentent, moins il est son maître.
Voilà ce que j’avais à dire du droit des pouvoirs souverains sur les sujets ; maintenant, avant de traiter de leur droit sur les étrangers, il y a une question qu’il me semble à propos de résoudre, celle qu’on a coutume de soulever touchant la religion.
Tertio denique considerandum venit, ad civitatis ius ea minus pertinere, quae plurimi indignantur. Nam certum est, homines naturae ductu in unum conspirare, vel propter communem metum vel desiderio damnum aliquod commune ulciscendi ; et quia ius civitatis communi multitudinis potentia definitur, certum est, potentiam civitatis et ius eatenus minui, quatenus ipsa causas praebet, ut plures in unum conspirent. Habet certe civitas quaedam sibi metuenda, et sicut unusquisque civis, sive homo in statu naturali, sic civitas eo minus sui iuris est, quo maiorem timendi causam habet. Atque haec de iure summarum potestatum in subditos. Iam antequam de earundem in alios iure, agam, solvenda videtur quaestio, quae de religione moveri solet.
[1] Voyez aussi Traité politique, IV, §04.
[2] Lorsque ceci se produit, c’est que l’État sombre dans la folie ou l’extravagance, pour reprendre les formulations du paragraphe précédent.