Traité politique, VIII, §18
La coutume suivie par certains peuples place à la tête du corps des patriciens un président ou un chef, soit à vie comme à Venise, soit à temps comme à Gênes, mais les précautions que l’on prend sont telles qu’il apparaît clairement qu’il y a là un grand danger pour l’État. Et il n’est pas douteux que de la sorte on ne se rapproche de la monarchie. Autant que l’histoire permet de le savoir, la seule origine de cette coutume est qu’avant l’institution du patriciat ces États étaient gouvernés par un président ou un doge [1] comme ils l’eussent été par un roi, et donc l’élection d’un président est requise par la nation, mais elle n’est pas nécessaire à l’État aristocratique considéré absolument.
Traduction Saisset :
Il y a des peuples qui donnent à l’Assemblée des patriciens un directeur ou prince, tantôt nommé à vie, comme à Venise, tantôt pour un temps, comme à Gênes ; mais cela se fait avec de telles précautions qu’on voit assez que cette élection met l’État dans un grand danger. Il est hors de doute, en effet, que l’État se rapproche alors beaucoup de la monarchie. Aussi bien ce qu’on sait de l’histoire de ces peuples donne à penser qu’avant la constitution des assemblées patriciennes, ils avaient eu une sorte de roi sous le nom de directeur ou de doge. Et par conséquent l’institution d’un directeur peut bien être un besoin nécessaire de telle nation, mais non du gouvernement aristocratique considéré d’une manière absolue.
Huic concilio solent quidam rectorem seu principem creare, vel ad vitam, ut Veneti, vel ad tempus, ut Genuenses ; sed tanta cum cautione, ut satis appareat, id non sine magno imperii periculo fieri. Et sane dubitare non possumus, quin imperium hac ratione ad monarchicum accedat, et quantum ex eorum historiis coniicere possumus, nulla alia de causa id factum est, quam quia ante constituta haec concilia sub rectore vel duce, veluti sub rege, fuerant. Atque adeo rectoris creatio gentis quidem, sed non imperii aristocratici absolute considerat, requisitum necessarium est.
[1] Sur le danger de ces chefs dans une aristocratie, voyez Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, livre I, chap. XXXV.