Traité politique, VIII, §37
Pour ce qui est du tribunal ou de la cour de justice, on ne peut s’en tenir aux principes que nous avons exposés comme convenant dans une monarchie (chapitre VI, §§ 26 et suivants). Car (par le § 14 de ce chapitre) il est contraire aux principes de l’État aristocratique dont il s’agit ici, qu’on ait égard aux races ou aux clans et ensuite parce que des juges choisis parmi les seuls patriciens seraient à la vérité retenus de prononcer une sentence injuste contre les patriciens par la crainte des patriciens qui leur succéderaient, et peut-être n’oseraient-ils pas leur infliger une peine méritée, mais en revanche ils se permettraient tout contre les plébéiens et constamment les plébéiens riches seraient victimes de leur rapacité. Pour cette raison, je le sais, on a fort approuvé l’Assemblée des patriciens de Gênes de choisir comme juges non quelques-uns d’entre eux, mais des étrangers. Il me paraît toutefois absurde, à considérer les choses en elles-mêmes, que des étrangers et non des patriciens soient appelés à interpréter les lois. Et les juges sont-ils autre chose que des interprètes des lois ? Je crois donc que les Génois en cette affaire ont eu égard au caractère propre de leur nation plus qu’à la nature de l’État aristocratique. Pour nous, qui considérons la question en elle-même, nous avons à trouver la solution qui s’accorde le mieux avec cette forme de gouvernement.
Traduction Saisset :
Quant à ce qui regarde l’organisation judiciaire, les bases n’en peuvent pas être les mêmes que celles que nous avons exposées dans le chapitre VI, article 26 et suivants, comme convenables à la monarchie. En effet, il n’est pas dans l’esprit du gouvernement aristocratique (voyez l’art. 14 du présent chapitre) de ne tenir aucun compte des races et des familles. De plus, les juges étant exclusivement choisis parmi les patriciens, seront contenus par la crainte de leurs successeurs et auront soin de ne prononcer contre aucun patricien une sentence injuste ; peut-être même n’auront-ils pas la force de les punir autant qu’il serait juste ; au contraire, ils oseront tout contre le peuple et feront des riches leur proie. C’est pour ce motif, je le sais, que plusieurs politiques approuvent la coutume qu’ont les Génois de choisir leurs juges, non parmi les patriciens, mais parmi les étrangers. Pour moi qui raisonne ici d’une manière abstraite et générale, il me parait absurde que ce soient des étrangers, et non pas des patriciens, qui soient chargés d’interpréter les lois. Car que sont les juges, sinon les interprètes des lois ? C’est pourquoi je me persuade que les Génois dans cette affaire ont eu égard au génie de leur nation plus qu’à la nature de leur gouvernement. Il s’agit donc pour nous, qui envisageons la question en général, de trouver les conditions d’organisation judiciaire les plus convenables à la forme aristocratique.
Ad forum quod attinet sive tribunal, non potest iisdem fundamentis niti, quibus illud, quod sub monarcha est, ut illud in cap. 6. art. 26. et seq. descripsimus. Nam (per art. 14. huius cap.) cum fundamentis huius imperii non convenit, ut ulla ratio stirpium sive familiarum habeatur. Deinde quia iudices ex solis patriciis electi metu quidem succedentium patriciorum contineri possent, ne in eorum aliquem iniquam aliquam sententiam pronuncient, et forte ut neque eos secundum merita punire sustineant ; sed contra in plebeios omnia auderent, et locupletes quotidie in praedam raperent. Scio hac de causa Genuensium consilium a multis probari, quod scilicet non ex patriciis, sed ex peregrinis iudices eligant. Sed hoc mihi rem abstracte consideranti absurde institutum videtur, ut peregrini, et non patricii ad leges interpretandas vocentur. Nam quid aliud iudices sunt nisi legum interpretes. Quare mihi persuadeo, Genuenses in hoc etiam negotio magis suae gentis ingenium, quam ipsam huius imperii naturam respexisse. Nobis igitur rem abstracte considerantibus media excogitanda sunt, quae cum huius regiminis forma optime conveniunt.