Traité politique, VIII, §39



En tout État la durée du mandat qui est confiée aux juges est la même, et il faut aussi que, chaque année, une partie d’entre eux se retire ; enfin si point n’est besoin qu’ils soient tous de clans différents, il est cependant nécessaire que deux proches parents ne siègent pas en même temps. Cette règle doit être observée dans les autres conseils mais non dans l’Assemblée suprême où il suffit que la loi interdise à chaque membre de proposer un de ses proches ou, s’il vient à être proposé, de prendre part au vote, et aussi, quand il y a un fonctionnaire quelconque à nommer, que ce ne soient pas deux proches parents qui procèdent au tirage au sort. Cela, dis-je, suffit dans une Assemblée aussi nombreuse et dont les membres ne reçoivent aucune rétribution. L’État ne peut avoir à redouter aucun préjudice, de sorte qu’il serait absurde, nous l’avons dit au § 14 de ce chapitre, d’établir une loi excluant de l’Assemblée suprême les proches de tous les patriciens. Cette absurdité est d’ailleurs manifeste, car cette loi ne pourrait être établie par les patriciens eux-mêmes sans qu’il y ait de leur part abandon de leur droit et en conséquence les défenseurs de cette loi ne pourraient être les patriciens, mais les plébéiens, ce qui est directement contraire au texte des §§ 5 et 6 de ce chapitre [1]. La loi de l’État établissant un rapport constant entre le nombre des patriciens et la masse de la population a pour but principal de maintenir le droit et la puissance des patriciens qui, pour pouvoir gouverner la population, ne doivent pas être trop peu nombreux.


Traduction Saisset :

La durée des fonctions de juge est la même, quel que soit le gouvernement. Il faut aussi que chaque année une partie des juges se retire. Et enfin, bien qu’il ne soit pas nécessaire que chaque juge appartienne à une famille différente, on ne permettra pas à deux parents de siéger ensemble au tribunal. Même précaution devra être prise dans les autres assemblées, excepté dans l’Assemblée suprême, où il suffit que l’on pourvoie par une loi à ce que personne ne puisse, dans les élections, désigner un parent ni lui donner sa voix, s’il a été désigné par un autre, et en outre à ce que deux parents ne tirent pas les suffrages de l’urne pour la nomination d’un fonctionnaire quelconque de l’État. Cela, dis-je, est suffisant dans une assemblée composée d’un si grand nombre de membres et à laquelle on n’accorde pas d’émoluments particuliers. Et par conséquent il n’y a aucun dommage pour l’État à ce qu’on ne fasse pas une loi pour exclure de l’Assemblée suprême les parents des patriciens (voyez l’art. 14 du présent chapitre). Or, qu’une telle loi fût déraisonnable, c’est ce qui est évident. En effet, elle ne pourrait pas être établie par les patriciens eux-mêmes sans que par cela même tous ne cédassent quelque chose de leur droit, et dès lors la revendication de ce droit n’appartiendrait plus aux patriciens, mais au peuple, ce qui est directement contraire aux principes posés dans les articles 5 et 6 du présent chapitre. Aussi bien la loi de l’État qui ordonne que le même rapport se conserve toujours entre le nombre des patriciens et celui du peuple, cette loi est faite avant tout pour le maintien du droit et de la puissance des patriciens ; car s’ils devenaient trop peu nombreux, ils cesseraient de pouvoir gouverner la multitude.


Temporis praeterea, in quod eligendi sunt, ratio est eadem in quocumque imperio, et etiam ut quotannis aliqua eorum pars cedat, et denique, quamvis non opus sit, ut unusquisque ex diversa sit familia, necesse tamen est, ne duo sanguine propinqui simul in subselliis locum occupent : quod in reliquis conciliis observandum est, praeterquam in supremo, in quo sufficit, si modo in electionibus lege cautum sit, ne cuiquam propinquum nominare, nec de eo, si ab alio nominatus sit, suffragium ferre liceat, et praeterea ne ad imperii ministrum quemcumque nominandum duo propinqui sortem ex urna tollant. Hoc, inquam, sufficit in concilio, quod ex tam magno hominum numero componitur, et cui nulla singularia emolumenta decernuntur. Atque adeo imperio inde nihil erit detrimenti, ut absurdum sit, legem ferre, qua omnium patriciorum propinqui a supremo concilio secludantur, ut art. 14. huius cap. diximus. Quod autem id absurdum sit, patet. Nam ius illud ab ipsis patriciis institui non posset, quin eo ipso omnes absolute suo iure eatenus cederent, ac proinde eiusdem iuris vindices non ipsi Patricii, sed plebs esset ; quod iis directe repugnat, quae in art. 5. et 6. huius cap. ostendimus. Lex autem illa imperii, qua statuitur, ut una eademque ratio inter numerum patriciorum et multitudinis servetur, id maxime respicit, ut patriciorum ius et potentia conservetur, ne scilicet pauciores sint, quam ut multitudinem possint regere.

[1« contraire à ce que nous avons montré aux §§ 5 et 6 ».