EIII - Proposition 30 - scolie


L’Amour étant une Joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure (Scolie de la Prop. 13), et la Haine une Tristesse qu’accompagne aussi l’idée d’une cause extérieure, cette Joie et cette Tristesse seront donc également une espèce d’Amour et de Haine. Comme, toutefois, l’Amour et la Haine se rapportent à des objets extérieurs, nous désignerons ici ces Affections par d’autres noms ; nous appellerons Gloire une Joie qu’accompagne l’idée d’une cause intérieure, et Honte la Tristesse contraire, quand la Joie et la Tristesse naissent de ce que les hommes se croient loués ou blâmés. Dans d’autres cas, j’appellerai Contentement de soi la Joie qu’accompagne l’idée d’une cause intérieure, et Repentir la Tristesse opposée à cette Joie. Comme il peut arriver maintenant (Coroll. de la Prop. 17, p. II) que la Joie dont quelqu’un imagine qu’il affecte les autres soit seulement imaginaire, et que (Prop. 25) chacun s’efforce d’imaginer au sujet de lui-même tout ce qu’il imagine qui l’affecte de Joie, il pourra facilement arriver que le glorieux soit orgueilleux et s’imagine être agréable à tous alors qu’il leur est insupportable. [*]


Cum amor (per scholium propositionis 13 hujus) sit lætitia concomitante idea causæ externæ et odium tristitia concomitante etiam idea causæ externæ, erit ergo hæc lætitia et tristitia amoris et odii species. Sed quia amor et odium ad objecta externa referuntur, ideo hos affectus aliis nominibus significabimus nempe lætitiam concomitante idea causæ internæ gloriam et tristitiam huic contrariam pudorem appellabimus : intellige quando lætitia vel tristitia ex eo oritur quod homo se laudari vel vituperari credit, alias lætitiam concomitante idea causæ internæ acquiescentiam in se ipso, tristitiam vero eidem contrariam pœnitentiam vocabo. Deinde quia (per corollarium propositionis 17 partis II) fieri potest ut lætitia qua aliquis se reliquos afficere imaginatur, imaginaria tantum sit et (per propositionem 25 hujus) unusquisque de se id omne conatur imaginari quod se lætitia afficere imaginatur, facile ergo fieri potest ut gloriosus superbus sit et se omnibus gratum esse imaginetur quando omnibus molestus est.

[*(Saisset :) L’amour n’étant autre chose (par le Scol. de la Propos. 13) que la joie, accompagnée de l’idée d’une cause extérieure, et la haine, que la tristesse également accompagnée de l’idée d’une cause extérieure, la joie et la tristesse dont on vient de parler seront donc une sorte d’amour et de haine ; mais comme l’amour et la haine se rapportent aux objets extérieurs, il faudra donner d’autres noms à ce genre de passions. Ainsi, la joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure, nous l’appellerons vanité, et la tristesse correspondante, honte ; entendez par là la joie et la tristesse quand elles proviennent de ce qu’un homme se croit loué ou blâmé. Je nommerai aussi la joie, accompagnée de l’idée d’une cause étrangère, paix intérieure et la tristesse correspondante, repentir. Voici maintenant ce qui peut arriver. Comme la joie qu’on s’imagine procurer aux autres peut être une joie purement fantastique (par le Corollaire de la Propos. 17, partie 2), et comme aussi (par la Propos. 25), chacun s’efforce d’imaginer de soi-même tout ce qu’il représente comme une cause de joie, il peut arriver aisément qu’un vaniteux soit orgueilleux et s’imagine qu’il est agréable à tous, tandis qu’il leur est insupportable.