TTP - chap. XII - §§7-9 : Ce qu’est la parole de Dieu.
[7] Je pense avoir ainsi suffisamment expliqué en quel sens l’Écriture doit être tenue pour sacrée et divine. Il faut voir maintenant ce qui est proprement à entendre par les mots debar Jehovah (parole de Dieu) ; debar signifie parole, discours, commandement et chose. Nous avons montré d’autre part au chapitre I, pour quelles causes une chose est dite en hébreu appartenir à Dieu ou est rapportée à Dieu. On connaît facilement par là ce que l’Écriture veut signifier quand elle use des mots de parole, discours, commandement, chose de Dieu. Inutile donc de le répéter ici, non plus que ce que nous avons établi en troisième lieu au chapitre VI, en traitant des miracles. Il suffit d’une seule indication qui permettra de mieux entendre ce que nous voulons dire ici. Quand on dit d’une chose qui n’est pas Dieu lui-même, qu’elle est la parole de Dieu, on entend proprement cette loi divine dont nous avons traité au chapitre IV ; c’est-à-dire la Religion universelle ou catholique, commune à tout le genre humain ; voir sur ce point Isaïe (chap. I, v. 10, etc.), où est enseignée la vraie manière de vivre qui ne consiste pas en cérémonies ; mais en charité et sincérité, et où le Prophète la nomme indistinctement Loi et Parole de Dieu. Le mot est encore pris par métaphore pour l’ordre même de la Nature et la destinée (parce qu’ils dépendent et découlent réellement du décret éternel de la nature divine) ; et surtout pour cette partie de l’ordre de la Nature que les Prophètes avaient prévue, et cela parce qu’ils ne percevaient pas les choses à venir par leurs causes naturelles, mais comme des décisions et des décrets de Dieu. Le mot est pris aussi pour tout commandement d’un Prophète quelconque, en tant qu’il l’avait perçu par sa vertu singulière ou son don prophétique et non par la Lumière Naturelle commune à tous, cela surtout parce que les Prophètes avaient réellement accoutumé de percevoir Dieu comme un législateur ainsi que nous l’avons montré au chapitre IV. Pour ces trois causes donc, l’Écriture est appelée la Parole de Dieu : d’abord parce qu’elle enseigne la vraie religion dont Dieu est l’auteur éternel ; en second lieu parce que, sous forme de récit, elle prédit l’avenir en tant que décrété par Dieu ; enfin parce que ceux qui en furent réellement les auteurs, enseignèrent le plus souvent ce qu’ils tenaient non de la Lumière Naturelle, mais d’une lumière qui leur était particulière, et firent parler Dieu lui-même. A la vérité, le contenu de l’Écriture est en partie simplement historique et perçu par la Lumière Naturelle ; toutefois le nom est tiré de ce qui est le contenu principal.
[8] Nous percevons facilement par là en quel sens Dieu doit être conçu comme l’auteur de la Bible ; c’est à cause de la vraie Religion qui s’y trouve enseignée, non parce qu’il aurait voulu communiquer aux hommes un nombre de livres déterminé. Nous pouvons aussi savoir par là pourquoi la Bible est divisée en livres de l’Ancien Testament et du Nouveau ; c’est parce qu’avant la venue du Christ, les Prophètes avaient accoutumé de prêcher la Religion seulement comme loi de la nation israélite, et tiraient leur force du pacte conclu au temps de Moïse ; tandis qu’après la venue du Christ, les Apôtres prêchèrent la même Religion à tous comme loi catholique, et tirèrent leur force de la passion du Christ. Ce n’est pas que les livres du Nouveau Testament diffèrent par la doctrine de ceux de l’Ancien ni qu’ils aient été écrits comme charte d’une alliance, ni enfin que la religion catholique, naturelle au plus haut point, fût nouvelle, sauf à l’égard des hommes qui ne la connaissaient pas : elle était dans le monde, dit Jean l’Évangéliste (chap. I, v. 10), et le monde ne l’a pas connue. Alors même que nous aurions un plus petit nombre de livres tant de l’Ancien Testament que du Nouveau, nous ne serions donc pas pour cela privés de la Parole de Dieu (par quoi s’entend proprement, comme nous l’avons dit, la vraie Religion), pas plus que nous ne pouvons en être privés parce que beaucoup d’autres écrits de la plus haute importance nous manquent : ainsi le livre de la Loi qui était gardé dans le Temple religieusement comme charte de l’Alliance et en outre les livres des Guerres, des Chroniques et un grand nombre d’autres d’où ceux que nous avons dans l’Ancien Testament ont été extraits pour être ensuite réunis.
[9] Cela d’ailleurs est confirmé, en outre, par beaucoup de raisons :
1° les livres de l’un et l’autre Testaments ne furent pas écrits par mandat exprès à une seule et même époque, pour tous les siècles, mais par chance et pour certains hommes, ajoutons, suivant que l’exigeaient l’époque et la constitution particulière de ces hommes ; cela est ouvertement indiqué par les vocations des Prophètes (qui furent appelés à donner aux impies, de leur temps un avertissement), et aussi par les Épîtres des Apôtres.
2° Autre chose est de connaître l’Écriture et la pensée des Prophètes, autre chose d’entendre la pensée de Dieu, c’est-à-dire la vérité ; ainsi qu’il suit de la démonstration donnée au chapitre II, au sujet des Prophètes, laquelle s’applique aussi, nous l’avons fait voir au chapitre VI, aux récits et aux miracles. Cette distinction ne s’applique pas, au contraire, aux passages où il s’agit de la vraie religion et de la vertu véritable.
3° Les livres de l’Ancien Testament ont été choisis entre beaucoup d’autres, réunis et consacrés par un concile de Pharisiens, les livres du Nouveau Testament admis dans le canon par le décret de certains Conciles qui en rejetaient en même temps comme indignes plusieurs autres tenus pour sacrés par beaucoup de gens. Or, les membres de ces Conciles (de ceux des Pharisiens comme de ceux des Chrétiens) n’étaient pas des Prophètes, mais seulement des habiles et des docteurs ; il faut cependant avouer qu’ils ont eu pour règle dans leur choix la parole de Dieu ; donc avant d’avoir consacré tous les livres par leur approbation, ils ont dû nécessairement avoir connaissance de la Parole de Dieu.
4° Les Apôtres ont (comme nous l’avons dit dans le chapitre précédent) écrit non en qualité de Prophètes, mais de Docteurs, et ont choisi pour enseigner la voie qu’ils ont jugé qui serait la plus facile pour les disciples qu’ils voulaient enseigner ; d’où suit que dans leurs Épîtres sont contenues (comme nous l’avons dit à la fin du même chapitre) beaucoup de choses dont nous pourrions nous passer sans dommage pour la Religion.
5° Enfin il y a quatre Évangélistes dans le Nouveau Testament et qui pourrait croire que Dieu ait voulu raconter et communiquer quatre fois aux hommes l’histoire du Christ ? Et sans doute il se trouve dans l’un certaines choses qui ne sont pas dans l’autre et l’un aide souvent à entendre l’autre ; il n’en faut pas conclure cependant que tout ce qui est raconté dans les quatre évangélistes soit nécessaire à connaître, et que Dieu les ait élus comme écrivains, pour que l’histoire du Christ fût mieux connue ; chacun d’eux en effet prêcha son Évangile en un lieu particulier et chacun écrivit ce qu’il avait prêché, simplement pour raconter plus clairement l’histoire du Christ et non pour expliquer les autres. Si par la comparaison des Évangiles on les entend parfois mieux et plus facilement, cela arrive par chance et pour un petit nombre de passages que nous pourrions ignorer sans que l’histoire fût moins claire et l’homme moins capable de béatitude.