Traité politique, II, §02
Toute chose naturelle peut être conçue adéquatement, qu’elle existe ou n’existe pas. Toutefois le principe en vertu duquel les choses naturelles existent et persévèrent dans leur existence, ne peut se conclure de leur définition, car leur essence idéale reste après qu’elles ont commencé d’exister [1] , la même qu’avant qu’elles existassent. Puis donc que le principe par lequel elles existent ne peut suivre de leur essence, le maintien de leur existence n’en découle pas non plus ; elles ont besoin pour continuer d’être de la même puissance qui était nécessaire pour qu’elles commençassent d’exister. De là cette conséquence que la puissance par laquelle les choses de la nature existent et aussi agissent, ne peut être aucune autre que la puissance éternelle de Dieu [2]. Si quelque autre puissance avait été créée en effet, elle ne pourrait pas se conserver elle-même et par suite elle ne pourrait pas non plus conserver les choses naturelles, mais elle-même aurait besoin pour persévérer dans l’existence, de la même puissance qui était nécessaire pour qu’elle fût créée [3].
Traduction Saisset :
Toutes les choses de la nature peuvent être également conçues d’une façon adéquate, soit qu’elles existent, soit qu’elles n’existent pas. De même donc que le principe en vertu duquel elles commencent d’exister ne peut se conclure de leur définition, il en faut dire autant du principe qui les fait persévérer dans l’existence. En effet, leur essence idéale, après qu’elles ont commencé d’exister, est la même qu’auparavant ; par conséquent, le principe qui les fait persévérer dans l’existence ne résulte pas plus de leur essence que le principe qui les fait commencer d’exister ; et la même puissance dont elles ont besoin pour commencer d’être, elles en ont besoin pour persévérer dans l’être. D’où il suit que la puissance qui fait être les choses de la nature, et par conséquent celle qui les fait agir, ne peut être autre que l’éternelle puissance de Dieu. Supposez, en effet, que ce fût une autre puissance, une puissance créée, elle ne pourrait se conserver elle-même, ni par conséquent conserver les choses de la nature ; mais elle aurait besoin pour persévérer dans l’être de la même puissance qui aurait été nécessaire pour la créer.
Res quaecumque naturalis potest adaequate concipi, sive existat sive non existat. Ut igitur rerum naturalium existendi principium, sic earum in existendo perseverantia ex earum definitione non potest concludi. Nam earum essentia idealis eadem est, postquam existere inceperunt, quam antequam existerent. Ut ergo earum existendi principium ex earum essentia sequi nequit, sic nec earum in existendo perseverantia ; sed eadem potentia, qua indigent ut existere incipiant, indigent ut existere pergant. Ex quo sequitur, rerum naturalium potentiam, qua existunt, et consequenter qua operantur, nullam aliam esse posse, quam ipsam Dei aeternam potentiam. Nam si quae alia creata esset, non posset seipsam, et consequenter neque res naturales conservare ; sed ipsa etiam eadem potentia, qua indigeret ut crearetur, indigeret ut in existendo perseveraret.
[1] Voyez la Lettre 9 à Simon de Vries.
[3] Sur la puissance de Dieu et ses rapports avec la puissance des choses, voyez EII - Proposition 3 - scolie et EIII - Proposition 6