Première Partie : "De Dieu"
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J’entends par cause de soi ce dont l’essence enveloppe l’existence, ou ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante.
EI - Définition 2
EI - Définition 1
Une chose est dite finie en son genre quand elle peut être bornée par une autre chose de même nature. Par exemple, un corps est dit chose finie, parce que nous concevons toujours un corps plus grand ; de même, une pensée est (…)
EI - Définition 2
J’entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi, c’est-à-dire ce dont le concept peut être formé sans avoir besoin du concept d’une autre chose.
EI - Définition 4
EI - Définition 3
J’entends par attribut ce que la raison conçoit dans la substance comme constituant son essence.
EI - Définition 5
EI - Définition 4
J’entends par mode les affections de la substance, ou ce qui est dans autre chose et est conçu par cette même chose.
EI - Définition 6
EI - Définition 5
J’entends par Dieu un être absolument infini, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. Explication
Je dis absolument infini, et non pas (…)
EI - Définition 6
Une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa nature et n’est déterminée à agir que par soi-même ; une chose est nécessaire ou plutôt contrainte quand elle est déterminée par une autre chose à exister (…)
EI - Définition 7
Par éternité, j’entends l’existence elle-même, en tant qu’elle est conçue comme résultant nécessairement de la seule définition de la chose éternelle. Explication
Une telle existence en effet, à titre de vérité (…)
EI - Définition 8
Tout ce qui est, est en soi ou en autre chose.
EI - Axiome 2
EI - Axiome 1
Une chose qui ne peut se concevoir par une autre doit être conçue par soi.
EI - Axiome 3
EI - Axiome 2
Étant donnée une cause déterminée, l’effet suit nécessairement ; et au contraire, si aucune cause déterminée n’est donnée, il est impossible que l’effet suive.
EI - Axiome 4
EI - Axiome 3
La connaissance de l’effet dépend de la connaissance de la cause, et elle l’enveloppe.
EI - Axiome 5
EI - Axiome 4
Les choses qui n’ont entre elles rien de commun ne peuvent se concevoir l’une par l’autre, ou en d’autres termes, le concept de l’une n’enveloppe pas le concept de l’autre.
EI - Axiome 6
EI - Axiome 5
Une idée vraie doit s’accorder avec son objet.
EI - Axiome 7
EI - Axiome 6
Quand une chose peut être conçue comme n’existant pas, son essence n’enveloppe pas l’existence.
EI - Proposition 1
EI - Axiome 7
La substance est antérieure en nature à ses affections. Démonstration
Cela est évident par les Déf. 3 et 5.
EI - Proposition 2
EI - Proposition 1
Entre deux substances qui ont des attributs divers, il n’y a rien de commun. Démonstration
Cela résulte aussi de la Déf. 3. Chacune de ces substances, en effet, doit être en soi et être conçue par soi ; en d’autres (…)
EI - Proposition 2
Si deux choses n’ont rien de commun, l’une d’elles ne peut être cause de l’autre. Démonstration
Et en effet, n’ayant rien de commun, elles ne peuvent être conçues l’une par l’autre (en vertu de l’Axiome 5), et par (…)
Deux ou plusieurs choses distinctes ne peuvent se distinguer que par la diversité des attributs de leurs substances, ou par la diversité des affections de ces mêmes substances.
Démonstration
Tout ce qui est, est en soi ou en autre chose (par (…)
Il ne peut y avoir dans la nature des choses deux ou plusieurs substances de même nature, ou, en d’autres termes, de même attribut.
Démonstration
S’il existait plusieurs substances distinctes, elles se distingueraient entre elles ou par la (…)
EI - Proposition 5
Une substance ne peut être produite par une autre substance. Démonstration
Il ne peut se trouver dans la nature des choses deux substances de même attribut (par la Propos. précéd.), c’est-à-dire qui aient entre elles (…)
Il suit de là que la production d’une substance est chose absolument impossible ; car il n’y a rien dans la nature des choses que les substances et leurs affections (comme cela résulte de l’Axiome 1 et des Déf. 3 et 5). Or, une substance ne peut (…)
EI - Proposition 6 - corollaire
L’existence appartient à la nature de la substance. Démonstration
La production de la substance est chose impossible (en vertu du Coroll. de la Propos. précéd.). La substance est donc cause de soi, et (…)
Toute substance est nécessairement infinie.
Démonstration
Une substance qui possède un certain attribut est unique en son espèce (par la Propos. 5), et il est de sa nature d’exister (par la Propos. 7). Elle existera donc, finie ou infinie. (…)
EI - Proposition 8
Le fini étant au fond la négation partielle de l’existence d’une nature donnée, et l’infini l’absolue affirmation de cette existence, il suit par conséquent de la seule Propos. 7 que toute substance doit être infinie. (…)
Je ne doute pas que pour ceux qui jugent avec confusion de toutes choses et ne sont pas accoutumés à les connaître par leurs premiers principes, il n’y ait de la difficulté à comprendre la démonstration de la Propos. 7, par cette raison surtout (…)
EI - Proposition 8 - scolie 2
Suivant qu’une chose a plus de réalité ou d’être, un plus grand nombre d’attributs lui appartient. Démonstration
Cela est évident par la Déf. 4.
EI - Proposition 10
EI - Proposition 9
Tout attribut d’une substance doit être conçu par soi. Démonstration
L’attribut, en effet, c’est ce que l’entendement perçoit dans la substance comme constituant son essence (suivant la Déf. 4). Il doit donc (par la (…)
On voit par là que deux attributs, quoiqu’ils soient conçus comme réellement distincts, c’est-à-dire l’un sans le secours de l’autre, ne constituent pas cependant deux êtres ou deux substances diverses. Il est en effet de la nature de la (…)
Dieu, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle est infinie, existe nécessairement.
Démonstration
Si vous niez Dieu, concevez, s’il est possible, que Dieu n’existe pas. Son (…)
Dans cette dernière démonstration, j’ai voulu établir l’existence de Dieu a posteriori, afin de rendre la chose plus facilement concevable ; mais ce n’est pas à dire pour cela que l’existence de Dieu ne découle a priori du principe même qui a été (…)
Or ne peut concevoir selon sa véritable nature aucun attribut de la substance duquel il résulte que la substance soit divisible.
Démonstration
Si vous supposez, en effet, la substance divisible, les parties que vous obtiendrez en la divisant (…)
EI - Proposition 12
La substance absolument infinie est indivisible. Démonstration
Si elle était divisible, en effet, les parties qu’on obtiendrait en la divisant retiendraient ou non la nature de la substance absolument infinie. Dans le (…)
EI - Proposition 13
Il suit de ces principes qu’aucune substance, et conséquemment aucune substance corporelle, n’est divisible en tant que substance.
EI - Proposition 13 - scolie
EI - Proposition 13 - corollaire
Que la substance soit indivisible, c’est ce que l’on comprendra plus simplement encore, par cela seul que la nature de la substance ne peut être connue que comme infinie, et qu’une partie de la substance ne (…)
Il ne peut exister et on ne peut concevoir aucune autre substance que Dieu.
Démonstration
Dieu est l’être absolument infini duquel on ne peut exclure aucun attribut exprimant l’essence d’une substance (par la Déf. 6), et il existe (…)
EI - Proposition 14
Il suit de là très-clairement : 1° Que Dieu est unique, c’est-à-dire (par la Déf. 6) qu’il n’existe dans la nature des choses qu’une seule substance, et qu’elle est absolument infinie, comme vous l’avons déjà affirmé (…)
EI - Proposition 14 - corollaire 1
Il s’ensuit : 2° Que la chose étendue et la chose pensante sont des attributs de Dieu, ou (par l’Axiome 1) des affections des attributs de Dieu.
EI - Proposition 15
Tout ce qui est, est en Dieu, et rien ne peut être, ni être conçu sans Dieu.
Démonstration
Hors de Dieu (par la Propos. 14), il n’existe et on ne peut concevoir aucune substance, c’est-à-dire (par la Déf. 3) aucune chose qui existe en soi et (…)
On se représente souvent Dieu comme formé, à l’image de l’homme, d’un corps et d’un esprit, et sujet, ainsi que l’homme, aux passions. Ce qui précède montre assez, sans doute, combien de telles pensées s’éloignent de la vraie connaissance de (…)
De la nécessité de la nature divine doivent découler une infinité de choses infiniment modifiées, c’est-à-dire tout ce qui peut tomber sous une intelligence infinie.
Démonstration
Cette proposition doit être évidente pour quiconque voudra (…)
EI - Proposition 16
Il suit de là que Dieu est la cause efficiente de toutes les choses qui peuvent tomber sous une intelligence infinie.
EI - Proposition 16 - corollaire 2
EI - Proposition 16 - corollaire 1
Il en résulte, en second lieu, que Dieu est cause par soi, et non par accident.
EI - Proposition 16 - corollaire 3
EI - Proposition 16 - corollaire 2
Et, en troisième lieu, que Dieu est absolument cause première.
EI - Proposition 17
Dieu agit par les seules lois de la nature et sans être contraint par personne.
Démonstration
C’est de la seule nécessité de la nature divine, ou, en d’autres termes, des seules lois de cette même nature, que résultent une infinité absolue (…)
EI - Proposition 17
Il suit de là, premièrement, qu’il n’y a en Dieu, ou hors de Dieu, aucune autre cause qui l’excite à agir que la perfection de sa propre nature.
EI - Proposition 17 - corollaire 2
EI - Proposition 17 - corollaire 1
En second lieu, que Dieu seul est une cause libre ; Dieu seul en effet existe par la seule nécessité de sa nature (en vertu de la Propos. 11 et le Coroll. 1 de la Propos. 14), et agit par cette seule (…)
D’autres pensent que ce qui donne à Dieu le caractère de cause libre, c’est qu’il peut faire, à les en croire, que les choses qui découlent de sa nature, c’est-à-dire qui sont en son pouvoir, n’arrivent pas ou bien ne soient pas produites par lui (…)
Dieu est la cause immanente, et non transitive, de toutes choses.
Démonstration
Tout ce qui est, est en Dieu et doit être conçu par son rapport à Dieu (en vertu de la Propos. 15), d’où il suit (par le Coroll. 1 de la Propos. 16) que Dieu est (…)
Dieu est éternel ; en d’autres termes, tous les attributs de Dieu sont éternels.
Démonstration
Dieu en effet (par la Déf. 6) est une substance, laquelle (par la Propos. 11) existe nécessairement, c’est-à-dire (par la Propos. 7) à la nature de (…)
EI - Proposition 19
Cette proposition devient aussi très-clairement évidente à l’aide de la démonstration que j’ai donnée (Propos. 11) de l’existence de Dieu. Il résulte en effet de cette démonstration que l’existence de Dieu, comme son (…)
L’existence de Dieu et son essence sont une seule et même chose.
Démonstration
Dieu et tous ses attributs sont éternels (par la Prop. précédente) ; en d’autres termes (par la Déf. 8), chacun des attributs de Dieu exprime l’existence. Par (…)
EI - Proposition 20
Il suit de là premièrement, que l’existence de Dieu, comme son essence, est une vérité éternelle.
EI - Proposition 20 - corollaire 2
EI - Proposition 20 - corollaire 1
Secondement, que l’immutabilité appartient à Dieu, autrement dit à tous les attributs de Dieu. Car s’ils changeaient sous le rapport de l’existence, ils devraient aussi (par la Propos. précédente) changer (…)
Tout ce qui découle de la nature absolue d’un attribut de Dieu doit être éternel et infini, en d’autres termes, doit posséder par son rapport à cet attribut l’éternité et l’infinité.
Démonstration
Si vous niez qu’il en soit ainsi, concevez, (…)
EI - Proposition 21
Quand une chose découle de quelque attribut divin, en tant qu’il est affecté d’une certaine modification dont l’existence est par cet attribut même nécessaire et infinie, cette chose doit être aussi nécessaire et (…)
Tout mode dont l’existence est nécessaire et infinie a dû nécessairement découler, soit de la nature absolue de quelque attribut de Dieu, soit de quelque attribut affecté d’une modification nécessaire et infinie.
Démonstration
Tout mode (…)
EI - Proposition 23
L’essence des choses produites par Dieu n’enveloppe pas l’existence. Démonstration
Cela est évident par la Déf. 1. En effet, une chose, dont la nature (prise en soi) enveloppe l’existence, est cause de soi, et existe (…)
Il suit de là que Dieu n’est pas seulement la cause par qui les choses commencent d’exister, mais celle aussi qui les fait persévérer dans l’existence, et (pour employer ici un terme scholastique) Dieu est la cause de l’être des choses (causa (…)
EI - Proposition 24 - corollaire
Dieu n’est pas seulement la cause efficiente de l’existence des choses, mais aussi de leur essence. Démonstration
Si vous niez cela, Dieu n’est donc pas la cause de l’essence des choses ; par conséquent (…)
EI - Proposition 25
Cela résulte plus clairement encore de la Propos. 16, par laquelle, la nature divine étant donnée, l’essence des choses, aussi bien que leur existence, doit s’en conclure nécessairement, et pour le dire d’un seul mot, (…)
EI - Proposition 25 - scolie
Les choses particulières ne sont rien de plus que les affections des attributs de Dieu, c’est-à-dire les modes par lesquels les attributs de Dieu s’expriment d’une façon déterminée. Cela est évident par la (…)
Toute chose, déterminée à telle ou telle action, y a nécessairement été déterminée par Dieu, et si Dieu ne détermine pas une chose à agir, elle ne peut s’y déterminer elle-même.
Démonstration
Ce qui détermine les êtres à telle ou telle action (…)
EI - Proposition 26
Une chose, qui est déterminée par Dieu à telle ou telle action, ne peut se rendre elle-même indéterminée. Démonstration
Cette proposition est évidente par l’axiome 3.
EI - Proposition 28
Tout objet individuel, toute chose, quelle qu’elle soit, qui est finie et a une existence déterminée, ne peut exister ni être déterminée à agir si elle n’est déterminée à l’existence et à l’action par une cause, laquelle est aussi finie et a une (…)
Comme il est nécessaire que certaines choses aient été produites immédiatement par Dieu, c’est à savoir celles qui découlent nécessairement de sa nature absolue, sans autre intermédiaire que ces premiers attributs, qui ne peuvent être ni être (…)
Il n’y a rien de contingent dans la nature des êtres ; toutes choses au contraire sont déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à agir d’une manière donnée.
Démonstration
Tout ce qui est, est en Dieu (par la Propos. 15). (…)
Avant d’aller plus loin, je veux expliquer ici ou plutôt faire remarquer ce qu’il faut entendre par Nature naturante et par Nature naturée. Car je suppose qu’on a suffisamment reconnu par ce qui précède, que par nature naturante, on doit entendre (…)
Un entendement fini ou infini en acte doit comprendre les attributs de Dieu et les affections de Dieu, et rien de plus.
Démonstration
Une idée vraie doit s’accorder avec son objet (par l’Axiome 6), c’est-à-dire évidemment que ce qui est (…)
L’entendement en acte, soit fini, soit infini, comme, par exemple, la volonté, le désir, l’amour, etc., se doivent rapporter à la nature naturée, et non à la naturante.
Démonstration
Par entendement, en effet, nous ne désignons évidemment pas (…)
EI - Proposition 31
Si je parle ici d’entendement en acte, ce n’est pas que j’accorde qu’il y ait aucun entendement en puissance ; mais désirant éviter toute confusion, je n’ai voulu parler que de la chose la plus claire qui se puisse (…)
La volonté ne peut être appelée cause libre ; mais seulement cause nécessaire.
Démonstration
La volonté n’est autre chose qu’un certain mode de penser, comme l’entendement. Par conséquent (en vertu de la Propos. 28) une volition quelconque ne (…)
EI - Proposition 32
Il résulte de là : 1° que Dieu n’agit pas en vertu d’une volonté libre.
EI - Proposition 32 - corollaire 2
Il en résulte : 2° que la volonté et l’entendement ont le même rapport à la nature de Dieu que le mouvement et le repos, et absolument parlant, que toutes les choses naturelles qui (par la Propos. 29)ont besoin, pour exister et pour agir d’une (…)
Les choses qui ont été produites par Dieu n’ont pu l’être d’une autre façon, ni dans un autre ordre.
Démonstration
La nature de Dieu étant donnée, toute choses en découlent nécessairement (en vertu de la Propos. l6), et c’est par la nécessité (…)
Puisqu’il est aussi clair que le jour, par ce que je viens de dire, qu’il n’y a absolument rien dans les choses qui les doive faire appeler contingentes, je veux expliquer ici en peu de mots ce qu’il faut entendre par un contingent ; mais il (…)
Il suit clairement de ce qui précède que les choses ont été produites par Dieu avec une haute perfection ; elles ont en effet résulté nécessairement de l’existence d’une nature souverainement parfaite. Et en parlant ainsi, nous n’imputons à Dieu (…)
EI - Proposition 33 - scolie 2
La puissance de Dieu est l’essence même de Dieu. Démonstration
De la seule nécessité de l’essence divine, il résulte que Dieu est cause de soi (par la Propos. 11) et de toutes choses (par la Propos. 16 et (…)
EI - Proposition 34
Toute chose que nous concevons comme étant dans la puissance de Dieu existe nécessairement. Démonstration
Car toute chose qui est dans la puissance de Dieu doit (par la Propos. précéd.) être comprise dans son essence (…)
EI - Proposition 35
Rien n’existe qui de sa nature n’enveloppe quelque effet. Démonstration
Tout ce qui existe exprime la nature et l’essence de Dieu d’une façon déterminée (par le Coroll. de la Propos. 25), c’est-à-dire (par la Propos. (…)
J’ai expliqué dans ce qu’on vient de lire la nature de Dieu et ses propriétés ; j’ai montré que Dieu existe nécessairement, qu’il est unique, qu’il existe et agit par la seule nécessité de sa nature, qu’il est la cause libre de toutes choses et (…)