NOTICE RELATIVE AU COURT TRAITÉ
I
LA DÉCOUVERTE DU COURT TRAITÉ.
LES MANUSCRITS ET LES ÉDITIONS.
L’érudit allemand Th. de Murr entreprit au XVIIIe siècle de retrouver les manuscrits de Spinoza non compris dans l’édition des Œuvres posthumes (faite en 1677) et restés conséquemment inédits.
Il chercha en particulier l’écrit composé par Spinoza pour sa propre justification après sa rupture avec la Synagogue [1] et ne le trouva point. En revanche, il trouva dans des papiers de famille ayant appartenu à Rieuwertsz [2] le texte latin des Notes de Spinoza sur le Traité Théologico-Politique (on ne les connaissait, jusque-là que par une traduction française) et les publia (1802) en les accompagnant d’une notice où il faisait connaître que l’Éthique avait d’abord été composée par Spinoza en hollandais puis textuellement traduite en latin à l’exception d’un chapitre sur le diable ; plus tard, après la publication des Œuvres posthumes, retraduite en hollandais par Jarig Jelles [3].
Il est certain que cette indication donnée par Th. de Murr est inexacte. On ne comprendrait pas que Jarig Jelles eût traduit du latin en hollandais un ouvrage primitivement écrit en hollandais ; en outre, nous savons par un témoignage très précis qu’il ignorait le latin. On pouvait supposer toutefois qu’avant de rédiger l’Éthique en latin, ordine geometrico, Spinoza avait exposé sa doctrine sous une forme différente en hollandais. Cette supposition se trouvait en parfait accord d’ailleurs avec les indications données par Mylius (Bibliotheca Anonymorum, I, 941) en 1740 et par Reimann (Catal. Theol. Bibl.) en 1731. L’un et l’autre de ces érudits disent formellement : l’Éthique a d’abord été écrite en hollandais et dans cette première rédaction la doctrine de Spinoza n’était pas exposée suivant l’ordre géométrique. On a retrouvé de nos jours la source où ils avaient puisé leur connaissance des formes successives de l’Éthique. Elle leur venait de Stolle, un Allemand qui fit en 1703-1704, avec un certain Hallmann, un séjour en Hollande, et y fut en relation avec des personnes ayant connu Spinoza ou tenant de leurs proches des renseignements de première main sur Spinoza, en particulier avec le fils de son éditeur et ami Rieuwertsz. Ce Stolle avait écrit de son voyage un compte rendu, une sorte de journal, dont des fragments importants ont été publiés par Guhrauer [4] et dont Freudenthal, dans son livre déjà cité (Die Lebensgeschichte Spinoza’s), a donné les passages se rapportant à Spinoza. Voici celui qui concerne la première rédaction de l’Éthique.
« Il (Rieuwertsz le fils) sortit encore un autre manuscrit que son père avait également transcrit, mais de la propre main de Spinoza. Ce manuscrit était l’Éthique, une Éthique en hollandais, idiome dans lequel Spinoza l’avait d’abord composée. Cette Éthique était toute différente de celle qui est imprimée : au lieu que, dans celle-ci tout est traité per difficiliorem methodum mathematicam, dans celle-là le tout est divisé en chapitres et le raisonnement se poursuit continua serie (sans probatio singularium artificiosa), comme dans le Traité Théologico-Politique. Rieuwertsz m’assura aussi que dans l’Éthique imprimée l’exposition était beaucoup meilleure que dans la manuscrite ; il reconnut toutefois que cette dernière contenait différentes choses qui n’étaient pas dans l’imprimée. Il signala en particulier un chapitre (le XXIe suivant l’ordre) de Diabolo, dont il ne se trouve rien dans l’Éthique imprimée. Dans ce chapitre Spinoza traitait la question de existentia Diaboli et examinait au début la définition quod sit spiritus essentiae divinae contrarius et qui essentiam suam per se habet (que le diable serait un esprit contraire à l’essence divine et qui tient son essence de lui-même), et il semblait nier l’existence du diable. Quelques amis de Spinoza auraient, d’après ce que dit Rieuwertsz, copié cet écrit ; mais il n’aurait jamais été imprimé parce qu’il y a une belle édition de l’ouvrage en latin, plus méthodique, tandis que le traité laissé de côté était écrit d’une façon bien trop libre [5]. »
Stolle publia lui-même, plusieurs années après son voyage en Hollande ; une Courte introduction à l’histoire de l’Érudition [6], dans laquelle il reproduisit les indications données par Rieuwertsz le fils et de là elles passèrent plus tard dans le Catalogue de Reimann et la Bibliothèque des Anonymes de Mylius.
Bien que l’on n’eût pas encore tiré parti du Journal de voyage de Stolle, l’existence d’une première rédaction, hollandaise, de l’Éthique, contenant un chapitre sur le diable, pouvait donc être considérée comme établie quand, en 1851, Ed. Boehmer, professeur à l’Université de Halle, ayant acheté chez le libraire Frederik Muller d’Amsterdam un exemplaire en hollandais de la Vie de Spinoza de Colerus, trouva à la page où il est parlé des ouvrages inédits de Spinoza (art. 12), la note suivante manuscrite.
« Aux mains de quelques amis de la philosophie se trouve un traité manuscrit de Spinoza qui, bien que n’étant pas composé à la manière mathématique, comme son Éthique contient cependant les mêmes pensées et les mêmes matières ; au style et à la liaison des idées il est facile de voir que ce traité appartient aux tout premiers ouvrages de l’auteur. D’après ce traité, pris comme esquisse de sa doctrine, il a dans la suite des temps disposé son Éthique et, bien que dans ce dernier ouvrage les mêmes matières soient mieux présentées et avec plus de développement, dans l’ordre géométrique, cet ordre même, tout à fait peu commun ou inusité dans les sujets métaphysiques et auquel peu d’hommes sont exercés, fait qu’il est pour la plupart beaucoup plus obscur que ce [premier] traité, dont l’Appendice seul au commencement et pour une petite partie est disposé selon l’ordre mathématique [7]. »
En sus de ce document, Boehmer trouva encore, dans son exemplaire de Colerus, un texte hollandais des Notes sur le Traité Théologico-Politique et un Sommaire, également écrit en hollandais, de l’ouvrage visé dans la note qu’on vient de lire, ouvrage qui est certainement celui-là même dont Stolle avait vu une copie entre les mains de Rieuwertsz. Outre qu’on peut le regarder en effet comme une première esquisse de la doctrine exposée dans l’Éthique, il est divisé en chapitres et en contient un sur le diable. Après que Boehmer eut publié ce Sommaire [8], en l’accompagnant d’une traduction latine, van der Linde [9], fit bientôt connaître que toutes les additions manuscrites trouvées par Boehmer dans son Colerus étaient de l’écriture de Monnikhoff, un médecin ayant vécu à Amsterdam au XVIIIe siècle et grand admirateur de Deurhoff [10], dont il avait eu les papiers entre les mains et dont il avait transcrit toutes les œuvres.
Peu de temps après la publication de Boehmer un nouveau manuscrit, contenant, celui-là, le texte même de l’ouvrage dont il n’avait connu que le sommaire, fut retrouvé par le libraire Fr. Muller, et cette découverte fut suivie, en 1861, de celle d’un second manuscrit, assez différent du premier, qui se trouvait entre les mains du poète hollandais A. Bogaers. L’un et l’autre sont présentement à la Bibliothèque royale de La Haye ; le premier trouvé, qui est le moins ancien des deux, est désigné par la lettre B, l’autre, provenant de Bogaers, par la lettre A.
La première édition de l’ouvrage eut lieu en 1862, par les soins de van Vloten [11] qui joignit au texte hollandais une traduction latine. Van Vloten avait imprimé en général le texte donné par B, tout en faisant quelques emprunts à A.
Plus tard, en 1869, Schaarschmidt donna une édition qui est la reproduction à peu près littérale du manuscrit A [12] et, quelque temps après, Sigwart publia une traduction allemande [13], avec d’importants prolégomènes et de nombreux éclaircissements, pour la confection de laquelle il s’est servi des deux textes, collationnés avec soin par van der Linde. Cette traduction, très fidèle et rendue relativement aisée par la ressemblance des deux idiomes allemand et hollandais, est, en somme, la première édition que l’on puisse appeler critique du Court Traité, celle de van Vloten ne l’étant guère et celle de Schaarschmidt n’étant que la reproduction d’un manuscrit fautif. La traduction française de M. P. Janet [14], a été faite surtout d’après l’édition Sigwart. Depuis, les deux textes A et B ont été presque intégralement reproduits dans l’édition complète des Œuvres de Spinoza publiée par van Vloten et Land [15]. Il faut noter enfin la traduction allemande d’Auerbach [16], faite d’après le texte de Schaarschmidt, et l’édition récente en hollandais moderne donnée par W. Meijer [17].
Cette dernière est fort intéressante en ce qu’elle est une tentative d’interprétation accompagnée d’une substantielle introduction et d’éclaircissements. Elle contient, en outre, le texte hollandais du Sommaire trouvé par Boehmer (il n’avait pas été réimprimé depuis 1832) et une traduction latine de ce texte plus exacte que celle de Boehmer.
II
ORIGINE PROBABLE ET VALEUR RELATIVE DES MANUSCRITS
Un point sur lequel tous les éditeurs sont d’accord, c’est que ni dans l’un, ni dans l’autre des deux manuscrits, nous n’avons le texte original d’un ouvrage de Spinoza. Le manuscrit A joint au titre l’indication suivante : Court Traité, etc., écrit [18] d’abord en langage latin à l’usage de ses disciples par B. de S., etc., et traduit maintenant en langue néerlandaise à l’usage des amis de la vérité, etc. B, sans s’exprimer aussi formellement dans le titre, ne se donne pas davantage pour l’original. Ainsi la tradition suivant laquelle Spinoza aurait d’abord rédigé l’Éthique en hollandais serait fausse [19]. Si l’on a égard à son origine, cette tradition s’explique d’ailleurs sans peine. Il existait, et Rieuwertsz le fils a pu montrer à Stolle, une rédaction hollandaise et primitive de l’Éthique ; mais cette rédaction n’était elle-même qu’une traduction contrairement à ce que Stolle a cru.
Il y a d’ailleurs dans l’un et l’autre manuscrits, mais particulièrement dans le plus ancien A, des fautes de toute nature, des gaucheries de traducteur embarrassé, des impropriétés de langage, des obscurités, voire même des non-sens, qui ne permettent pas de le considérer comme transcrit de Spinoza ni même comme étant la copie d’une traduction faite sous les yeux de l’auteur et ayant reçu son approbation.
Pour ce qui concerne maintenant l’origine des manuscrits, celle de B est connue à peu près aussi sûrement qu’il est possible en pareille matière. Ce manuscrit est de la main de Monnikhoff [20], ce médecin que nous savons déjà qui a écrit les notes trouvées par Boehmer dans un exemplaire de Colerus et transcrit le Sommaire paru en 1852. Sans savoir à quelle date précise remonte ce manuscrit B, nous sommes certains aussi qu’il ne peut être antérieur à 1743, vu que, dans la préface assez volumineuse jointe au traité par Monnikhoff, il est parlé de la reconstruction en cette année 1743 de la maison habitée à Amsterdam par les parents de Spinoza [21].
Le manuscrit A, qui est d’une belle écriture du XVIIe siècle et dont l’orthographe est également celle du XVIIe siècle, contient, en sus du texte attribué à Spinoza, des corrections et notes marginales qui sont de l’écriture du même Monnikhoff ; il est donc permis de considérer B comme procédant de A, et c’est la raison principale qui a déterminé Schaarschmidt à n’accorder à B aucune valeur pour l’établissement du texte. Il est certain que A, en raison de son ancienneté plus grande, doit être tenu pour la source principale ; Sigwart, toutefois, combat, par des raisons qui nous semblent bonnes, la condamnation sommaire prononcée par Schaarschmidt contre B. Il montre que les leçons données par B sont souvent plus satisfaisantes que celles de A ; il est disposé à croire que Monnikhoff a pu avoir sous les yeux outre A, sinon le texte latin original [22], du mains un texte hollandais meilleur que A.
Il convient d’observer à ce sujet que le Sommaire, également transcrit par Monnikhoff, semble être l’œuvre d’un homme plus intelligent et plus instruit que ne l’était le copiste du manuscrit A, et ayant à sa disposition un texte plus satisfaisant [23]. On est en droit de supposer que ce Sommaire est de Deurhoff, non seulement parce qu’il a été pieusement transcrit par Monnikhoff, dépositaire des papiers de Deurhoff, mais parce qu’un mot introduit dans son résumé par l’auteur du Sommaire (Chap. VI, part. I) dénote un homme étudiant curieusement la doctrine de Spinoza, mais se piquant aussi de la juger et n’y adhérant pas.
Au sujet de la main qui a tracé le manuscrit A, il n’est possible que de faire des conjectures plus ou moins plausibles. Schaarschmidt, dans sa publication, l’attribue à Deurhoff ; W. Meijer, dans la préface de sa récente édition en hollandais moderne, examine cette hypothèse et montre qu’elle ne peut être admise. L’écriture du manuscrit n’est pas celle de Deurhoff dont il a pu se procurer un spécimen ; il est difficile de croire qu’un homme de la culture de Deurhoff ait pu produire un manuscrit aussi incorrect que A ; enfin, la courte préface jointe au titre est d’un fervent disciple de Spinoza, ce que Deurhoff n’était pas.
L’hypothèse la plus vraisemblable nous semble être celle de W. Meijer ; le manuscrit A serait de la main de Jarig Jelles ou une transcription d’une copie lui appartenant. Outre que l’admiration de cet excellent homme pour Spinoza et son zèle, parfois excessif [24], à répandre les œuvres de son grand ami, nous sont connus par de nombreux témoignages, le fait que le manuscrit A se trouve réuni en un même volume avec une traduction hollandaise du Traité Théologico-Politique différente de celle de Glazemaker, paraissant plus ancienne et visiblement faite en vue de l’impression (voir la note précédente) milite en faveur de la conjecture [25].
Pour ce qui touche l’usage à faire des deux manuscrits A et B, nous ne pouvons qu’adhérer à la conclusion de Sigwart [26], qu’il faut se servir de l’un et de l’autre pour l’établissement du texte ; et nous ajouterons avec W. Meijer qu’il y a lieu aussi d’avoir égard au Sommaire.
III
CONTENU DU COURT TRAITÉ ; SON AUTHENTICITÉ ;
DATE PROBABLE DE SES DIFFÉRENTES PARTIES ; SA PLACE DANS L’ŒUVRE DE SPINOZA.
L’ouvrage connu sous le nom de Court Traité comprend, en réalité, quatre écrits différents :
1° Le texte même du traité en deux parties, dont la première a dix chapitres, la deuxième vingt-six, plus une préface.
2° Des notes placées tant en marge qu’au bas des pages et dont les unes contiennent d’utiles éclaircissements, des développements intéressants, écrits avec fermeté ; tandis que d’autres sont d’inutiles redites, des indications sur le contenu des paragraphes ou des gloses sans intérêt.
3° Deux dialogues, placés à la suite du chapitre II, partie I [27], qui interrompent le développement, répètent des choses déjà dites ou en supposent d’autres qui ne l’ont pas encore été, contiennent enfin quelques idées qui ne se retrouvent pas dans le Court Traité et un raisonnement au moins dont Spinoza ne fait usage nulle part ailleurs.
4° Un appendice dont le style diffère de celui du traité [28] et qui est divisé en deux parties ; la première, qui traite de la substance, comprend sept axiomes et quatre propositions (plus un corollaire) suivies de leurs démonstrations ; cette forme géométrique est celle des Principes de la Philosophie de Descartes et annonce déjà l’Éthique ; la deuxième partie, dont le titre est de l’âme humaine, est simplement divisée en paragraphes.
L’authenticité du texte même du traité n’a jamais été sérieusement contestée et ne paraît pas pouvoir l’être. Le témoignage de Rieuwertsz, transmis par Stolle, la note manuscrite de Monnikhoff ne permettent pas de douter que les amis de Spinoza n’aient eu entre les mains un ouvrage antérieur à l’Éthique et traitant des mêmes matières [29]. Le personnage à qui nous devons le manuscrit A, que ce soit Jarig Jelles ou un autre, est certainement un contemporain de Spinoza, très vraisemblablement un de ses plus proches amis ; il est renseigné sur la provenance de l’ouvrage qu’il transcrit et ne doute pas qu’il ne soit de Spinoza. Il y a enfin entre la doctrine du Court Traité et celle de l’Éthique assez de ressemblance pour qu’on n’hésite pas à les regarder comme deux expressions différentes, la dernière beaucoup plus mûre et plus achevée, de la même pensée. Il est certain seulement que le texte primitif de Spinoza a été remanié par ceux qui l’ont transcrit ; que divers passages ont été transposés, que d’autres se sont perdus, qu’enfin il y a au moins quelques phrases interpolées [30].
L’authenticité du traité étant admise, celle de la plupart des notes, de toutes celles qui ont quelque importance, ne saurait guère faire de doute [31], car elles complètent utilement la pensée exposée dans le texte ; plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs bien dans la manière de Spinoza et dignes de son génie. Il est à observer toutefois que ces notes ne sont pas exactement contemporaines du texte et nous savons d’ailleurs par l’exemple du Traité Théologico-Politique que Spinoza avait l’habitude d’annoter après coup ses propres écrits [32].
Les deux dialogues [33] et spécialement le second ont paru suspects à certains critiques, notamment à Trendelenburg [34]. Il ne parait pas possible dans tous les cas de les considérer comme faisant corps avec le reste, et les critiques allemands qui accordent le plus d’importance aux dialogues, Sigwart, Avenarius [35], Busse [36], sont d’accord pour reconnaître qu’ils ont été composés à un autre moment, antérieurement au traité selon eux, et y ont été joints par la suite [37].
Quant à l’appendice enfin, en dépit du titre qu’il a reçu, on ne peut guère y voir une addition au traité ; on y trouve plutôt les premiers linéaments d’un autre ouvrage exposant des idées semblables suivant un plan différent : W. Meijer fait au sujet du style de cet appendice une observation dont il est difficile d’apprécier la justesse : ce style serait d’après lui plus malaisé que celui du traité, d’où il conclut que ce morceau a bien pu être écrit par Spinoza lui-même dans l’idiome où nous le possédons [38].
Concernant la date de la composition, il ne paraît guère douteux que le Court Traité doive être considéré comme un ouvrage de jeunesse et même comme plus ancien que tous les autres écrits de Spinoza [39]. Certains critiques, Avenarius en particulier dans son livre sur les deux premières phases du panthéisme spinoziste, le font remonter jusqu’en 1654. La connaissance que nous avons aujourd’hui, grâce surtout aux travaux de Meinsma et de Freudenthal des circonstances dans lesquelles a été composé le Court Traité, rendent cette hypothèse tout à fait inadmissible [40].
Mal vu de ses proches, suspect à ses coreligionnaires et tout près d’être persécuté par eux, victime des mauvais procédés de sa sœur Rébecca et de son beau-frère Samuel de Casseres [41], Spinoza fut naturellement amené, avant même son excommunication (1656), à entrer en relation avec des chrétiens [42] ; ce ne furent bien entendu pas les calvinistes rigides qui l’accueillirent ; ce furent des hommes d’esprit assez libre, à peu près détachés de la religion traditionnelle tels que Louis Meyer et Dirck Kerckrinck, ou appartenant à des sectes très peu orthodoxes comme celle des Mennonites (Baptistes, ainsi nommés de Menno) et celle des Collégiants (ou des Collégiants de Rijnsburg, du nom de l’endroit on ils se sont quelque temps réunis ; le christianisme des Collégiants semble s’être rapproché de celui que professe Tolstoï) ; à ces sectes appartenaient, outre le libraire Rieuwertsz et Jarig Jelles déjà nommés, Pieter Balling, Simon de Vries, Johannes Bouwmeester, tous amis et admirateurs de Spinoza, reconnaissant la supériorité de son génie et très désireux de recevoir de lui un enseignement qu’ils n’étaient pas toujours en état de comprendre.
C’est pour ces hommes, pour ce petit cercle d’amis et de disciples que Spinoza composa le Court Traité [43] ; d’où cette conséquence qu’il n’a pu l’écrire avant la formation du groupe et qu’un certain temps a dû s’écouler avant qu’il eût acquis l’autorité nécessaire au maître et au guide.
Suivant Meinsma, Spinoza aurait écrit son premier ouvrage avant son départ d’Amsterdam, c’est-à-dire avant le commencement de l’année 1660 ; si l’on admet l’hypothèse de W. Meijer dont nous avons déjà fait mention : Spinoza dictant son livre à quelques amis ou à l’un d’eux, on se rangera tout naturellement à l’avis de Meinsma.
Ce mode de travail expliquerait d’ailleurs quelques-unes au moins des nombreuses imperfections du texte. Toutefois, les paroles par lesquelles se termine l’ouvrage, celles surtout qui sont relatives aux règles à observer en le lisant et à l’usage qu’il convient d’en faire, semblent plutôt s’adresser à des absents, comme le fait observer Freudenthal [44], qu’à des hommes avec qui l’auteur eût eu de fréquents entretiens. Il est donc très vraisemblable que, si le Court Traité a été commencé avant le départ d’Amsterdam, il a été terminé après l’installation à Rijnsburg. Il ne peut en tout cas, être postérieur à 1660.
Que faut-il penser maintenant des deux dialogues joints au chapitre II, de la première partie ? On a vu plus haut ce qu’il y avait de commun à leur sujet entre l’opinion de Sigwart et celle d’Avenarius. Ce dernier en place la composition en 1651 ou au plus tard en 1652 [45]. Sigwart l’avance de quelques années, mais l’un et l’autre sont d’accord pour la croire sensiblement antérieure à celle du traité. Sigwart, à la vérité, après avoir soutenu cette thèse pour les deux dialogues, l’a restreinte au premier ; il reconnaît dans les Prolégomènes de son édition, que le second a pu être écrit plus tard, admettrait même, semble-t-il, qu’il l’eût été par un disciple et non par Spinoza. Mais le premier lui paraît très précieux en raison même de son ancienneté ; il y voit, à un moindre degré qu’Avenarius cependant, la preuve que Spinoza professait le panthéisme, un panthéisme naturaliste et mystique semblable à celui de Giordano Bruno, avant de connaître Descartes ; d’après lui, le premier dialogue serait l’œuvre d’un homme qui, tout plein de la doctrine de Bruno ou d’une autre [46] semblable, viendrait de lire Descartes et combattrait son dualisme sans l’avoir encore étudié à fond. Lagneau, beaucoup moins porté que les critiques allemands à découvrir dans les écrits de Spinoza des traces d’influences extérieures, considère lui aussi le premier dialogue comme antérieur au traité ; il y voit une première et toute fraîche expression de la pensée qu’il appelle la pensée-mère de Spinoza, celle de la réalité de l’être concret.
A juger du premier dialogue par l’impression qu’il produit à la lecture, on le croirait volontiers en effet l’œuvre d’un jeune homme, encore inhabile au raisonnement, embarrassé dans son style, mais ayant à un haut degré le sentiment du réel et pour qui l’on voit que la philosophie ne sera pas une occupation de l’esprit, mais la vie même de l’âme. Plus encore que le raisonnement, assez inattendu, suivant lequel la même nécessité qui oblige à réunir des modes semblables sous un même attribut, obligerait à réunir des attributs différents en une seule substance, les noms mêmes donnés aux personnages du dialogue, Amour, Raison, Entendement, Désir, ou plutôt Concupiscence, l’appellation d’« infâme » donnée à ce dernier, surprennent le lecteur accoutumé à la manière géométrique, forte sans violence de l’Éthique, et sachant combien peu Spinoza est d’ordinaire disposé à faire des facultés de l’âme des êtres réels d’où une inclination à reculer le plus possible la date de la composition de cet écrit, à le croire antérieur au Court Traité.
Tout autre est l’opinion de Freudenthal qui, dans ses Études, soutient les thèses suivantes : les deux dialogues sont étroitement liés l’un à l’autre, le second faisant suite au premier et formant avec lui un tout, impossible d’ailleurs à isoler du Traité ; ils ont été composés postérieurement au Traité et s’y réfèrent ; ce sont des éclaircissements que Spinoza a voulu y joindre. Les arguments donnés par Freudenthal, sans manquer de force, ne réussissent pas entièrement à prévaloir sur les raisons qui, avant que je l’eusse lu, me portaient à croire à l’ancienneté du premier dialogue au moins. Je m’abstiendrai donc de toute conclusion sur ce point.
L’intérêt du Court Traité, pour qui veut étudier la pensée de Spinoza dans son devenir, est de tout premier ordre ; il est inutile d’y insister. En un certain sens cet ouvrage, rédigé avec confusion et resté inachevé, peut être considéré comme aussi précieux que le traité de la Réforme de l’Entendement qui est d’ailleurs lui-même un fragment. Comme exposition d’une théorie de la connaissance ou de l’idée vraie, le traité de la Réforme de l’Entendement vaut assurément beaucoup plus que ne vaut le Court Traité comme exposition d’une doctrine sur Dieu et sur la nature humaine comme témoignage de ce que pensait et aussi de ce que sentait Spinoza aux environs de l’année 1660, les deux documents nous semblent d’égale valeur. Le Court Traité a même l’avantage de nous renseigner, ce que ne saurait faire le traité de la Réforme de l’Entendement, sur la situation prise par Spinoza à l’égard du christianisme. Faute de bien entendre ce point on risque de mal interpréter le Traité Théologico-Politique, ainsi qu’il est arrivé à plus d’un, et cela seul suffit pour en montrer l’importance.
S’il contient bon nombre de propositions inconciliables avec le dogme chrétien, même largement entendu, le Court Traité peut cependant, plus aisément que l’Éthique, s’interpréter dans un esprit chrétien ; et il n’est pas douteux que la plupart au moins des amis auxquels il était destiné ne l’aient ainsi compris. L’exemple du Seigneur Christ, notre maître le meilleur, invoqué dans la préface du manuscrit A le montre déjà. Le monisme encore incomplet du Court Traité, les traces de finalisme qui s’y trouvent [47], les qualificatifs de sage et bon appliquée à Dieu, l’emploi d’expressions comme Fils de Dieu, Régénération, Prédestination [48], la théorie de la passivité de l’entendement humain, une certaine propension au renoncement, l’humilité considérée comme une bonne passion, le plaisir traité avec un mépris qui ne fait guère pressentir les belles paroles de l’Éthique [49], autant de points sur lesquels le spinozisme sous sa première forme diffère du spinosisme définitif et peut être rapproché de certaines doctrines chrétiennes. Cela d’ailleurs s’explique aisément ; car, s’il est faux que Spinoza ait jamais été chrétien en ce sens qu’il aurait accepté les dogmes essentiels du christianisme ou reçu le baptême, on ne peut douter qu’il n’y ait eu à un certain moment pénétration dans son âme de sentiments chrétiens et d’idées chrétiennes, sentiments et idées destinés à y demeurer sans doute, à devenir partie intégrante de sa doctrine, mais aussi à se modifier quelque peu, à prendre surtout un caractère plus purement philosophique, rationaliste et, je dirai, irréligieux [50]. Or le moment où cette pénétration a eu lieu, moment qu’à bien des égards on pourrait appeler décisif, qui coïncide d’ailleurs, à peu de chose près, avec le rejet du judaïsme et a dû être bientôt suivi de l’étude de la philosophie de Descartes, n’est antérieur que de peu d’années à la composition du Court Traité.
[1] Bayle fait mention de cet écrit, rédigé en espagnol, sous ce titre : Apologia para justificarse de su abdicacion de la Synagoga (1656).
[2] Rieuwertsz était, au XVIIe siècle, libraire à Amsterdam ; il appartenait à la secte des Collégiants avec laquelle Spinoza eut tant de rapports. C’est chez lui que parurent la plupart des écrits composés par les Collégiants et leurs amis. Il fut également l’éditeur avoué du seul ouvrage de Spinoza publié de son vivant sous son nom : les Principes de la Philosophie de Descartes, avec leur complément : les Pensées métaphysiques, et l’éditeur véritable, bien que dissimulé, du Traité Théologico-Politique (soi-disant paru à Hambourg, chez Künraht et des Œuvres posthumes. - Voir Colerus, Vie de Spinoza, et Meinsma, Spinoza en sijn kring, pp. 326, 328, 447.
[3] Jarig Jelles, collégiant, ami fidèle de Spinoza, commença par tenir une boutique d’épicerie à Amsterdam. Il abandonna son commerce pour s’élever, par une culture convenable de son esprit, à la plus haute perfection morale où il pût atteindre. Il ignorait le latin, mais se faisait traduire et transcrivait pour son usage tous les ouvrages qu’il pensait devoir lui être utiles (voir Meinsma, 0. c., p. 404). D’après le témoignage de Lefèvre, recueilli par l’allemand Stolle (voir plus loin), il serait l’auteur de la préface des Œuvres posthumes ; il l’aurait écrite en hollandais, puis Glazemaker, qui traduisit en hollandais les ouvrages de Spinoza, l’aurait mise en latin (Voir Freudenthal, Die Lebensgeschichte Spinoza’s, p.223). D’après le même témoignage, Jarig Jelles fit les frais de la 1ère édition et de la 2ème des Principes de la Philosophie de Descartes.
[4] Schmidt’s Allgemeine Zeitschrift für Geschichte, Bd. VII
[5] Freudenthal, 0. c., p. 227.
[6] Kurtze Anleitung zur Historie des Gelehrtheit, Halle, 1718.
[7] J’ai traduit cette note d’après le texte donné par W. Meijer, dans la préface de son édition en hollandais moderne du Court traité, Amsterdam, 1899), p. V.
[8] Benedicti de Spinoza Tractatus de Deo et homine ejusque felicitate lineamenta, Halle, 1852.
[9] Zeitschrift für Philosophie, Bd. 45, p. 301.
[10] Deurhoff, qui a vécu de 1650 à 1717, était un Cartésien inclinant de nature au mysticisme et quelque peu teinté de spinozisme. Voir, à son sujet, van den Linde : Spinoza, seine Lehreund deren erste Nachwirkungen in Holland (Göttingen, 1862). Dans une note de son édition allemande du Court Traité, Sigwart nous apprend que van der Linde, après une lecture des écrits de Deurhoff, déclare « que tout en ayant eu contact avec le spinozisme, il était resté cartésien » (Benedicti de Spinoza’s Kurzer Tractat, p. XVIII). - Sur Monnikhoff lui-même, on peut consulter Wintgens, Joh. Monnikhoff, acad. Proefschrift (Leyde, 1879).
[11] Ad Benedicti de Spinoza Opera quae supersunt omnia Supplementum (Amsterdam, 1862). Ce supplément aux œuvres de Spinoza contient, outre le Court Traité, le Traité de l’arc-en-ciel, écrit par Spinoza et resté inédit, et quelques lettres trouvées à l’orphelinat, dit de l’Orange, à Amsterdam. Cet orphelinat est une fondation due aux collégiants du XVIIe siècle.
[12] B. de Spinoza, Korte Verhandeling van God, de Mensch en deszelfs Welstand. Ad antiquissimi codicis fidem edidit et praefatus est Car. Schaarschmidt (Amsterdam, 1869).
[13] Benedicti de Spinoza’s Kurzer Tractat (Tübingen,1870).
[14] Dieu, l’homme et la béatitude, par Spinoza (Paris, 1878).
[15] Benedicti de Spinoza Opera quotquot reperta sunt (La Haye, 1882-1883. 2 vol. ; 2è éd. en 3 volumes, La Haye, 1895).
[16] Spinoza’s Sämmtliche Werke, 2è éd. (Stuttgart, 1871).
[17] Spinoza’s Werken IV, Korte Verhandeling (Amsterdam, 1899).
[18] D’après une note qui se trouve en marge à la fin du manuscrit A (et que Schaarschmidt n’a pas cru devoir reproduire), Spinoza aurait dicté son travail à quelques amis ; or, nous savons par Louis Meyer (Préface des Principes de la Philosophie de Descartes) et par Spinoza lui-même (lettre 13) que l’exposition géométrique de la partie II des Principes fut aussi dictée d’abord à un disciple, puis revue par l’auteur, peut-être, comme le suppose W. Meijer, le mode de composition du Court Traité a-t-il été semblable, à cela près que Spinoza n’a jamais arrêté d’une façon définitive le texte de ce dernier ouvrage.
[19] Il faut dire cependant que Meinsma (0. c., p.154, note) semble disposé à admettre que le Court Traité, en dépit de l’affirmation contraire du manuscrit A, a été écrit en hollandais par Spinoza, mais l’étude du texte rend cette hypothèse inadmissible.
[20] Voir le travail déjà cité de Van der Linde (Zeitschrift für Ph., Bd. 45, p. 301).
[21] Meinsma (O. p., Introd., p. XX) affirme même que le manuscrit de Monnikhoff n’a pu être écrit avant 1750.
[22] Par les tournures de phrase, dit Sigwart, sinon par la terminologie, B se rapproche plus du latin que A, et ressemble davantage à une traduction d’après l’original (Prolégomènes, p. XXI).
[23] C’est la raison pour laquelle je me suis décidé à joindre à ma traduction du Court Traité qui n’avait jamais paru qu’en hollandais et en latin.
[24] Spinoza (lettre 44) le prie de suspendre la publication d’une traduction hollandaise du Traité Théologico-Politique, entreprise déjà en voie d’exécution, et dont Jarig Jelles voulait sans doute faire les frais, comme il avait fait les frais de la publication des Principes de la Philosophie de Descartes.
[25] On observera que Jarig Jelles était du nombre des amis et disciples pour qui le Court Traité a été composé ; qu’il en possédait, à n’en pas douter, une copie ; enfin, que le manuscrit A semble bien être l’œuvre pieuse et maladroite d’un homme de culture médiocre reproduisant en toute candeur, de sa plus belle écriture, un texte qu’il comprend imparfaitement.
[26] Voir à ce sujet la Note du traducteur à la fin du présent volume.
[27] Dialogue ; Second dialogue.
[28] C’est du moins ce qu’affirme W. Meijer, et sa qualité de Hollandais le rend plus compétent à cet égard que les autres éditeurs ou interprètes de l’ouvrage.
[29] On peut trouver surprenant que Spinoza, ni dans ses lettres, ni dans ses ouvrages postérieurs, ne fasse allusion d’une façon nette au Court Traité. Dans le traité de la Réforme de l’Entendement, dont la composition semble avoir suivi de près celle du Court Traité, il renvoie à diverses reprises à un ouvrage, qu’il appelle sa Philosophie, ouvrage non encore rédigé à ce moment et qui, en fait, ne l’a jamais été, au moins sous la forme où il avait d’abord été conçu. Or, quelques-unes au moins des choses qu’il se proposait d’exposer dans cette Philosophie, il les avait dites dans son Court Traité. Il faut donc admettre que Spinoza considérait son premier ouvrage comme une ébauche trop imparfaite et, n’ayant aucunement l’idée de le publier, s’en était totalement désintéressé ; de là, sans doute, le triste état dans lequel cet écrit nous est parvenu.
[30] Voir particulièrement à ce sujet, les Études sur Spinoza (Spinoza Studien) de Freudenthal, dans Zeitschrift für Philosophie (1896, Bd. 108, 109).
[31] Trendelenburg Ueber die aufgefundenen Ergänzungen zu Spinoza’s Werken (mémoire lu à l’Académie de Bertin et publié par l’auteur dans ses Historische Beiträge zur Philosophie, Berlin, 1861), conteste l’authenticité des notes. Sigwart a bien montré dans les Prolégomènes de son édition (pp. XLIV et suiv.) que les arguments de Trendelenburg ne s’appliquent justement qu’à une partie des notes et à la moindre.
[32] Quelques-unes des notes, bien qu’étant de Spinoza, ont fort bien pu ne pas se rapporter primitivement au Court Traité, et y être jointes après coup par quelque disciple. Cela parait même certain pour l’une d’elles, la note 3 du chapitre XX partie II.
[33] Dialogue ; Second dialogue.
[34] 0. c.
[35] Ueber die beiden ersten Phasen des spinozistischen Pantheismus (Leipzig, 1868).
[36] Zeitschrift für Philosophie, Bd. 90, 96.
[37] Freudenthal, dans ses Études sur Spinoza déjà citées, a soutenu que les dialogues étaient postérieurs au Traité. Nous examinons ce point plus loin. - Voir page 15.
[38] Nous savons en effet, par le témoignage de Spinoza lui-même, qu’il n’écrivait pas le hollandais très couramment.
[39] Exception faite pour cette Apologie qui n’a pas été retrouvée. Il se peut que l’appendice et quelques-unes des notes soient à peu près du même temps que le traité de la Réforme de l’Entendement.
An sujet de l’appendice, nous ferons observer qu’il est difficile de partager l’opinion émise par Lagneau dans ses Notes sur Spinoza (Revue de Métaphysique et de Morale, 1895). Suivant Lagneau, l’appendice, au moins dans sa première partie, serait très ancien, antérieur au traité. L’idée de l’Être absolument réel, du Dieu identique à la nature et connu en lui-même, peut avoir été en effet très ancienne dans l’esprit de Spinoza ; la forme sous laquelle il la présente dans l’appendice est d’une date certainement postérieure à la composition du traité, et qu’un passage de la lettre adressée à Oldenburg en septembre 1661, permet d’assigner à peu près.
[40] Indépendamment de ces circonstances, on observera qu’en 1654, deux ans avant l’excommunication (qui est du 27 juillet 1656), Spinoza ne devait pas avoir commencé depuis bien longtemps ses études latines sous van den Enden, lequel a ouvert son école en 1652. C’est postérieurement à la mort de son père (30 mars 1654) et à la rupture avec sa famille qui s’ensuivit, que Spinoza semble s’être particulièrement rapproché de van den Enden et avoir même habité sa demeure ; cela prouve évidemment qu’il était déjà en relation avec lui, mais on croira difficilement qu’il ait eu, dès 1654, la connaissance du latin et de la philosophie de Descartes que suppose le Court Traité. A cette date, âgé de vingt-deux ans seulement, il en était encore aux études préliminaires indispensables aux plus grands et qui furent pour lui plus tardives que pour d’autres.
[41] A la mort du père, Rebecca et Casseres firent de leur mieux pour dépouiller Spinoza de sa part d’héritage.
[42] Il y a à ce sujet un témoignage de Lucas, auteur de la plus ancienne biographie de Spinoza (V. Freudenthal, Lebengeschichte Spinoza’s, p. s), témoignage confirmé par celui de Lefèvre, un vieillard ayant connu Spinoza, que Stolle rencontra à l’auberge du Capitaine de Brême (Voir Meinsma, 0. c., p. 88, 89 ; - Freudenthal, 0. c., p. 222).
[43] C’est à eux aussi, et à quelques autres, qu’il communiqua plus tard les différentes parties de l’Éthique, au fur et à mesure qu’il l’écrivit. Ce sont les survivants de ces amis et correspondants de Spinoza qui, après sa mort, publièrent les Œuvres posthumes.
[44] Spinoza, sein Leben, und seine Lehre, Bd I, p.105.
[45] On observera que, si cela était vrai, les dialogues eussent dû être écrits primitivement en espagnol, car à dix-neuf ans, Spinoza ne parlait et n’écrivait couramment, à ce qu’il semble, que l’espagnol, sa langue maternelle, et peut-être le portugais. Au reste, l’hypothèse d’Avenarius fait partie d’une théorie soutenue par cet auteur sur les étapes parcourues par Spinoza, ou comme il dit les phases de son panthéisme. Il aurait commencé par embrasser le naturalisme sous l’influence de Giordano Bruno, aurait passé de là au théisme sous celle de Descartes, et serait enfin arrivé au panthéisme géométrique de l’Éthique. Il ne subsiste à peu près rien aujourd’hui de cette construction ingénieuse. Voir à ce sujet les Études sur Spinoza déjà citées de Freudenthal (Zeitschrift für Philosophie, Bd. 108, 109).
[46] On pourrait supposer que dans la composition du premier, dialogue, Spinoza s’est inspiré de Léon Abarbanel, juif espagnol converti au christianisme, auteur au XVIe siècle (la première édition est de 1535) d’un livre écrit en italien et intitulé : Dialogi di Amore. Zimmels, dans un ouvrage publié en 1886 (Leo Hebraeus, ein jüdischer Philosoph der Renaissance), a tenté de prouver que Spinoza avait dû lire ces dialogues, et, de fait, quand le catalogue des livres formant sa bibliothèque a été publié en 1889, on a pu s’assurer qu’il en possédait une traduction espagnole.
[47] Dans le chapitre XXIV, partie II, dans le chapitre XVIII, partie II, où il est parlé de « tant d’œuvres habilement ordonnées » (geschiktelijk geordineerde werken).
[48] Je ne fais pas mention ici du rapprochement établi dans la note 1 du chapitre XIX, partie II, entre l’opinion et le péché, la croyance rationnelle et la loi, la connaissance vraie et la grâce, parce qu’il est possible, - bien que non prouvé, - que cette note ne soit pas de Spinoza.
[50] Le terme d’irréligieux appliqué à Spinoza, signifie dans ma pensée, qu’il devint de plus en plus individualiste, de plus en plus opposé par principe à toute église, de plus en plus détaché de toute tradition, de plus en plus le philosophe de l’immanence. Sur les rapports de Spinoza avec les Collégiants, on lira avec fruit, outre l’ouvrage plusieurs fois cité de Meinsma, un article de W. Mener (en allemand) dans l’Archiv für Geschichte der Philosophie (1901), et Freudenthal, Spinoza sein Leben und sein Lehre (Stuttgart, 1904). Sur la position occupée par Spinoza à l’égard de la religion en général, et du christianisme en particulier, voir les récentes études de M. Brunschvicg, sur Spinoza et ses Contemporains, dans la Revue de métaphysique et de morale (années 1905-1906).