PPD - II - Proposition 36
Si un corps, par exemple notre main, peut être mue d’un certain mouvement égal dans toute direction, de façon qu’elle ne résiste, en aucune façon, à aucuns corps et qu’aucuns corps ne lui résistent en aucune façon, il est nécessaire que dans l’espace où elle se meut ainsi il y ait autant de corps mûs d’un côté que d’un autre quelconque avec une force de vitesse égale à celle de la main.
Démonstration
Un corps ne peut se mouvoir en aucun espace qui ne soit plein de corps (par la Proposition 3, partie II). Je dis donc que l’espace dans lequel notre main peut se mouvoir ainsi est plein de corps qui se meuvent dans les conditions que j’ai dites. Si on le nie, qu’on suppose qu’ils soient au repos ou se meuvent d’une autre façon. S’ils sont au repos ils résisteront nécessairement au mouvement de la main (par la Proposition 14, partie II) jusqu’à ce que ce mouvement leur ait été communiqué de façon qu’ils se meuvent du même côté qu’elle avec une vitesse égale à la sienne (par la Proposition 20, partie II). Mais dans notre hypothèse ils ne résistent pas ; donc ces corps sont en mouvement, ce qui était le premier point.
Maintenant ils doivent se mouvoir de tous les côtés. Si on le nie, qu’on suppose un côté duquel ils ne se meuvent pas, disons de A vers B. Si alors la main se meut de A en B, elle rencontrera nécessairement des corps en mouvement (par la première partie de cette démonstration) et, suivant l’hypothèse que l’on vient de faire, avec une détermination différente de celle de la main ; ils lui résisteront donc (par la Proposition 14, partie II) jusqu’à ce qu’il soient mûs du même côté que la main (par la Proposition 24 et le Scolie de la Proposition 27, partie II). Or, ces corps (par hypothèse) ne résistent pas à la main ; donc ils se meuvent dans toutes les directions possibles, ce qui était le second point.
Je dis maintenant que ces corps se mouvront de tous les côtés avec la même force de vitesse. Supposons en effet qu’il n’en soit pas ainsi et que ceux qui se meuvent de A vers B aient une force de vitesse moindre que ceux qui se meuvent de A vers C. Alors, si la main était mue de A vers B avec la même vitesse que sont mus les corps allant de A vers C (elle est supposée en effet pouvoir être mue d’un mouvement égal de tous les côtés sans résistance) les corps allant de A vers B résisteraient au mouvement de la main (par la Proposition 14, partie II) jusqu’à ce qu’ils se mussent avec la même force de vitesse qu’elle-même (par la Proposition 31, partie II). Mais cela est contre l’hypothèse ; donc les corps se mouvront avec la même force de vitesse de tous les côtés, ce qui était le troisième point.
Enfin, si les corps se mouvaient avec une force de vitesse inégale à celle de la main, ou bien la main se mouvra plus lentement, c’est-à-dire avec une force de vitesse moindre que les corps, ou bien elle se mouvra plus vite, c’est-à-dire avec une force de vitesse plus grande. Dans le premier cas, la main résistera aux corps la suivant dans la même direction (par la Proposition 31, partie II). Dans le second cas, les corps que suit la main en allant dans la même direction lui résisteront (par la même Proposition). L’une et l’autre conséquence sont contre l’hypothèse. Donc puisque la main ne peut se mouvoir ni plus lentement ni plus vite, elle se mouvra avec la même force de vitesse que les corps.
C.Q.F.D.
Si l’on demande pourquoi je dis la même force de vitesse et non simplement la même vitesse, qu’on lise le Scolie du Corollaire de la Proposition 27, partie II. Si l’on me demande ensuite si la main allant par exemple de A vers B ne résiste pas aux corps se mouvant en même temps avec une force égale de B vers A, qu’on lise la Proposition 33, partie II, par où l’on comprendra que la force de ces corps est compensée par celle des corps qui se meuvent en même temps avec la main de A vers B (force qui, par la troisième partie de la démonstration ci-dessus, doit égaler la première).