1. Levers et couchers.

(92) Les levers et les couchers du soleil, de la lune et des autres astres peuvent en premier lieu se produire par des embrasements et des extinctions alternatifs, pourvu que les conditions du milieu ambiant en chacun des lieux soient telles que ce qu’on vient de dire puisse réellement se produire : car rien alors, dans les phénomènes, n’y contredit.

Les levers et les couchers peuvent encore être causés par l’émersion de l’astre au-dessus de la surface de la terre et par sa disparition ultérieure derrière un corps interposé : car rien dans les phénomènes ne contredit cette explication non plus. Quant aux mouvements des astres, il n’est pas impossible qu’ils aient lieu soit par suite d’un tourbillon qui emporterait tout le ciel, soit, le ciel restant immobile, par suite d’un tourbillon à eux propre, engendré par la nécessité dès l’origine, à la naissance du monde, quand ils se levèrent dans le ciel. (93) Le mouvement des astres peut encore s’expliquer par leur chaleur extrême qui fait que le feu qu’ils portent faisant toujours des progrès, ils sont entraînés d’un lieu au suivant pour atteindre de la matière combustible.

2. Reculs.

Les reculs du soleil et de la lune peuvent avoir lieu soit par suite d’une inclinaison du ciel se produisant nécessairement et à des époques fixes soit, aussi bien, par suite de courants d’air alternatifs ; soit encore parce que les deux astres brûlent, en s’avançant, la matière combustible qu’ils rencontrent, et s’arrêtent quand elle manque ; soit enfin parce que, dès le commencement du monde, ces deux astres ont été emportés dans le mouvement tournant d’un tourbillon qui leur fait décrire une hélice autour de la terre. Aucune de ces explications en effet n’est en désaccord avec les faits évidents, ni non plus les autres explications du même genre qu’on peut donner dès qu’on se résout, dans l’étude de phénomènes particuliers de cette espèce, à s’en tenir à ce qui est possible, ramenant chacun d’eux à s’accorder avec les phénomènes dans sa production, sans qu’on s’astreigne d’ailleurs aux artifices serviles des astronomes.

3. La lune.

(94) Le décours et le cours de la lune peuvent se produire soit par la révolution de ce corps céleste, soit aussi bien par des configurations que prendrait l’air ; soit encore par l’interposition d’un corps opaque ; soit enfin par quelque procédé que ce soit que nous suggèrent les phénomènes qui arrivent près de nous pour rendre compte des diverses formes prises par la lune : car il ne faut pas se prendre d’amour pour une explication unique et rejeter les autres sans raison, faute d’avoir considéré ce qu’il est possible et ce qu’il est impossible pour l’homme de connaître, en se laissant ainsi entraîner à prétendre connaître l’impossible. Quant à la lumière de la lune, il est possible qu’elle la tienne d’elle-même, possible aussi qu’elle la reçoive du soleil. (95) En effet, il y a sur la terre beaucoup de choses qui tiennent leur lumière d’elles-mêmes, beaucoup d’autres qui la reçoivent d’une source extérieure. Et, d’autre part, il n’y a rien dans les phénomènes célestes qui fasse obstacle soit à l’une soit à l’autre des hypothèses, si l’on a toujours en mémoire la méthode des explications multiples, et qu’on s’attache à considérer sur le même pied les hypothèses qu’elle requiert et les causes appropriées au lieu de se complaire à considérer les faits qui ne s’accordent pas avec chacune d’elles, et d’accumuler vainement ces difficultés de façon à tomber, à la suite d’une élimination, dans une explication unique, tantôt dans celle-ci, tantôt dans celle-là. Pour ce qui est de l’espèce de visage que l’on voit dans la lune, cette apparence peut résulter soit de la nature différente des diverses parties de la lune, soit de l’interposition d’un corps entre la lune et nous, soit de toute autre circonstance parmi celles dont on peut s’aviser en restant d’accord avec les phénomènes. (96) Car telle est la méthode qu’il ne faut jamais abandonner quand il s’agit des phénomènes célestes. Si, en effet, on se met une fois dans ce domaine, en contradiction avec ce qui est évident, jamais on ne pourra participer à l’ataraxie véritable.

4. L’exceptionnel et le régulier.

Les éclipses du soleil et de la lune peuvent avoir lieu soit par suite de l’extinction de ces astres, ainsi qu’on le constate dans certains phénomènes terrestres ; soit ensuite, par l’interposition, entre ces astres et nous, de la terre ou de quelque autre corps opaque comme elle. C’est ainsi qu’il faut considérer sur le même pied les unes et les autres des explications spéciales, sans perdre de vue que le concours simultané de plusieurs n’est pas impossible. (97) Quant à l’ordre régulier des saisons et des phases de la lune, il faut le prendre tel qu’il est par comparaison avec la régularité qu’on observe sur la terre dans certains phénomènes ; et il ne faut nullement, pour rendre compte de cette régularité, faire appel à la nature divine. Ne la chargeons pas de fonctions et conservons-lui toute sa béatitude. Car si nous ne faisons pas ainsi, la recherche des causes des phénomènes célestes deviendra vaine tout entière : c’est ce qui est déjà arrivé à plusieurs qui, au lieu de s’attacher à la seule méthode possible, sont tombés dans les opinions vaines, parce qu’ils ont pensé que les phénomènes célestes ne pouvaient recevoir qu’une explication unique, rejetant toutes les autres explications qu’on pouvait concevoir comme possibles, et mettant ainsi la pensée en présence de quelque chose qu’elle ne peut pas saisir ; parce qu’enfin ces hommes étaient incapables d’embrasser d’un seul regard l’ensemble des phénomènes terrestres divers qu’il faut prendre au même titre comme points de départ d’inférences sur les phénomènes célestes.

(98) L’inégalité des jours et des nuits peut être produite soit par la rapidité des mouvements du soleil au-dessus de la terre et par une lenteur qui succède à cette rapidité, soit parce que la longueur des espaces à parcourir est variable et que le soleil parcourt certains d’entre eux plus rapidement, d’autres plus lentement, ainsi que nous le voyons arriver pour certaines choses sur la terre, sorte de phénomènes avec lesquels il faut mettre d’accord ce qu’on avance sur les phénomènes célestes. Ceux qui choisissent une explication unique se mettent en contradiction avec les phénomènes et ils se privent du seul genre d’explication que l’homme puisse atteindre.