A Pythoclès
Épicure à Pythoclès, salut.
(84) Cléon m’a apporté une lettre de toi. Tu m’y conserves tes sentiments amicaux, juste retour de l’intérêt que je prends à toi ; tu t’efforces, non sans succès, de t’y rappeler mes enseignements relatifs à la vie heureuse, et enfin tu m’y demandes de t’envoyer un exposé concis et peu volumineux de mes doctrines sur les phénomènes célestes, afin de t’en rendre le souvenir facile. Tu trouves en effet que mes autres écrits sur la question sont difficiles à retenir, bien que, dis-tu, tu les aies continuellement en main. J’ai, accueilli ta requête avec plaisir et j’ai conçu à ton égard d’heureuses espérances. (85) Aussi, puisque j’ai achevé d’écrire tout ce que j’ai cru nécessaire, je te fournis cet exposé sommaire que tu juges capable de servir à beaucoup d’autres que toi, à ceux principalement qui ne font encore que goûter à la véritable physique et à ceux qui sont pris trop profondément dans le cercle de quelqu’une des occupations courantes. Tâche donc de bien saisir ce qui va suivre, et, te l’étant mis dans la mémoire, parcours-le rapidement, ainsi que les autres parties de ma doctrine, dont j’ai fait part dans le petit abrégé envoyé à Hérodote.
Il faut commencer par se persuader qu’il en est des phénomènes célestes comme de tous les autres. La connaissance de ces phénomènes, qu’on les considère en connexion avec d’autres ou en eux-mêmes, ne peut avoir qu’un but, l’ataraxie et une ferme confiance. (86) Ensuite, il ne faut pas vouloir faire violence à l’impossible lui-même, ni demander que la théorie de ces phénomènes soit en tout semblable à la discussion des différents genres de vies ou aux solutions claires que comportent des problèmes physiques d’un autre ordre, comme par exemple que l’univers se compose exclusivement des corps et de l’essence intangible, que les éléments sont insécables, et autres choses du même genre, dans l’étude desquelles on ne peut rester d’accord avec les phénomènes que par l’adoption d’une explication unique et seule possible. Cela n’a point lieu pour les phénomènes célestes. On peut, en restant d’accord avec les sensations, assigner à leur production plusieurs causes possibles et attribuer à leur essence plusieurs déterminations. Il ne faut pas en effet construire la physique en partant d’axiomes vides et de décrets arbitraires : il faut admettre seulement ce que réclament les phénomènes. (87) Car ce qu’il nous faut désormais pour la vie, ce ne sont pas des théories sans raison et des opinions vaines, mais c’est vivre sans trouble. Or nous nous assurons une sérénité inébranlable au sujet des choses qui s’expliquent par plusieurs hypothèses également en accord avec les phénomènes, en laissant dûment subsister tout ce qu’on a dit de probable sur ces phénomènes. Que si, au contraire, on laisse subsister telle opinion et qu’on en rejette une autre qui s’accorde également avec les phénomènes, il est clair qu’on quitte le domaine de la physique pour tomber dans celui de la mythologie. Les phénomènes qui ont lieu près de nous et que nous pouvons observer apportent des indices sur ceux qui s’accomplissent dans le ciel, et qui peuvent se produire de plusieurs manières. (88) On doit néanmoins observer l’aspect de chacun des phénomènes célestes et l’expliquer d’après ce qui s’y rattache, et dont on connaît déjà plusieurs manières possibles d’expliquer la production sans être contredit par les faits constatés près de nous.
Un monde consiste en une enveloppe céleste entourant les astres, la terre et tous les phénomènes. Cette enveloppe découpée au sein de l’infini se termine en une zone rare ou dense, dont la dissolution amènera la ruine de tout ce qu’elle contient ; et elle est soit animée d’un mouvement circulaire, soit arrêtée dans le repos. La forme en est ronde, triangulaire ou quelconque. Tous ces cas sont également possibles en effet : car cela n’est contredit par aucun phénomène de notre monde, dans lequel on ne peut pas apercevoir d’extrémité.
(89) Il est aisé de comprendre qu’il y a une infinité de mondes tels que celui dont nous parlons, et qu’un monde de cette espèce peut se former soit au sein d’un monde, soit au sein d’un intermonde, mot qui nous sert à désigner un intervalle entre des mondes, cette formation d’un monde pouvant d’ailleurs avoir lieu même dans un espace en partie rempli, mais contenant beaucoup de vide, mais non pas, comme certains l’ont dit dans une vaste étendue de vide pur. La constitution d’un monde résulte de certains atomes appropriés qui ont afflué hors d’un monde ou d’un intermonde, ou bien hors de plusieurs mondes ou intermondes ; ces atomes, peu à peu, s’ajoutent les uns aux autres, s’organisent, vont même dans un autre lieu à l’occasion, reçoivent, jusqu’à l’achèvement du monde commencé, des courants d’atomes appropriés, et l’assemblage dure tant que ses fondements peuvent supporter les accroissements qui lui arrivent. (90) Car il ne suffit pas, pour produire un monde, qu’il se forme dans un lieu où un monde peut naître, c’est-à-dire, comme on prétend, dans le vide, un rassemblement d’atomes et un tourbillon - cet assemblage s’accroissant sous la seule loi de la nécessité, jusqu’à ce qu’il aille en heurter un autre. Cette opinion d’un de ceux qu’on appelle « physiciens » est en contradiction avec les phénomènes.
Le soleil, la lune et les autres astres n’ont pas préexisté au monde où plus tard ils se seraient seulement trouvés compris : leur formation ne date que du commencement même du monde, et ils ont crû à la faveur d’apports et de tourbillons de certaines substances aux parties subtiles, de la nature du souffle ou de celle du feu ou de la nature de l’un et de l’autre : car c’est là ce que suggère la sensation. (91) Quant à la grandeur du soleil, de la lune et des autres astres, elle est relativement à nous, telle qu’elle nous paraît être ; en soi, elle est plus grande, ou un peu plus petite que la grandeur perçue, ou enfin égale à celle-ci : car il en est ainsi pour la grandeur des feux que nous apercevons à distance sur la terre, lorsque nous venons à confronter les apparences avec la sensation que ces feux vus de près produisent en nous. Toute objection sur ce point peut se résoudre aisément pourvu qu’on s’attache aux faits évidents, et c’est ce que j’ai montré dans mon traité De la nature. (92) Les levers et les couchers du soleil, de la lune et des autres astres peuvent en premier lieu se produire par des embrasements et des extinctions alternatifs, pourvu que les conditions du milieu ambiant en chacun des lieux soient telles que ce qu’on vient de dire puisse réellement se produire : car rien alors, dans les phénomènes, n’y contredit.
Les levers et les couchers peuvent encore être causés par l’émersion de l’astre au-dessus de la surface de la terre et par sa disparition ultérieure derrière un corps interposé : car rien dans les phénomènes ne contredit cette explication non plus. Quant aux mouvements des astres, il n’est pas impossible qu’ils aient lieu soit par suite d’un tourbillon qui emporterait tout le ciel, soit, le ciel restant immobile, par suite d’un tourbillon à eux propre, engendré par la nécessité dès l’origine, à la naissance du monde, quand ils se levèrent dans le ciel. (93) Le mouvement des astres peut encore s’expliquer par leur chaleur extrême qui fait que le feu qu’ils portent faisant toujours des progrès, ils sont entraînés d’un lieu au suivant pour atteindre de la matière combustible. Les reculs du soleil et de la lune peuvent avoir lieu soit par suite d’une inclinaison du ciel se produisant nécessairement et à des époques fixes soit, aussi bien, par suite de courants d’air alternatifs ; soit encore parce que les deux astres brûlent, en s’avançant, la matière combustible qu’ils rencontrent, et s’arrêtent quand elle manque ; soit enfin parce que, dès le commencement du monde, ces deux astres ont été emportés dans le mouvement tournant d’un tourbillon qui leur fait décrire une hélice autour de la terre. Aucune de ces explications en effet n’est en désaccord avec les faits évidents, ni non plus les autres explications du même genre qu’on peut donner dès qu’on se résout, dans l’étude de phénomènes particuliers de cette espèce, à s’en tenir à ce qui est possible, ramenant chacun d’eux à s’accorder avec les phénomènes dans sa production, sans qu’on s’astreigne d’ailleurs aux artifices serviles des astronomes.
(94) Le décours et le cours de la lune peuvent se produire soit par la révolution de ce corps céleste, soit aussi bien par des configurations que prendrait l’air ; soit encore par l’interposition d’un corps opaque ; soit enfin par quelque procédé que ce soit que nous suggèrent les phénomènes qui arrivent près de nous pour rendre compte des diverses formes prises par la lune : car il ne faut pas se prendre d’amour pour une explication unique et rejeter les autres sans raison, faute d’avoir considéré ce qu’il est possible et ce qu’il est impossible pour l’homme de connaître, en se laissant ainsi entraîner à prétendre connaître l’impossible. Quant à la lumière de la lune, il est possible qu’elle la tienne d’elle-même, possible aussi qu’elle la reçoive du soleil. (95) En effet, il y a sur la terre beaucoup de choses qui tiennent leur lumière d’elles-mêmes, beaucoup d’autres qui la reçoivent d’une source extérieure. Et, d’autre part, il n’y a rien dans les phénomènes célestes qui fasse obstacle soit à l’une soit à l’autre des hypothèses, si l’on a toujours en mémoire la méthode des explications multiples, et qu’on s’attache à considérer sur le même pied les hypothèses qu’elle requiert et les causes appropriées au lieu de se complaire à considérer les faits qui ne s’accordent pas avec chacune d’elles, et d’accumuler vainement ces difficultés de façon à tomber, à la suite d’une élimination, dans une explication unique, tantôt dans celle-ci, tantôt dans celle-là. Pour ce qui est de l’espèce de visage que l’on voit dans la lune, cette apparence peut résulter soit de la nature différente des diverses parties de la lune, soit de l’interposition d’un corps entre la lune et nous, soit de toute autre circonstance parmi celles dont on peut s’aviser en restant d’accord avec les phénomènes. (96) Car telle est la méthode qu’il ne faut jamais abandonner quand il s’agit des phénomènes célestes. Si, en effet, on se met une fois dans ce domaine, en contradiction avec ce qui est évident, jamais on ne pourra participer à l’ataraxie véritable.
Les éclipses du soleil et de la lune peuvent avoir lieu soit par suite de l’extinction de ces astres, ainsi qu’on le constate dans certains phénomènes terrestres ; soit ensuite, par l’interposition, entre ces astres et nous, de la terre ou de quelque autre corps opaque comme elle. C’est ainsi qu’il faut considérer sur le même pied les unes et les autres des explications spéciales, sans perdre de vue que le concours simultané de plusieurs n’est pas impossible. (97) Quant à l’ordre régulier des saisons et des phases de la lune, il faut le prendre tel qu’il est par comparaison avec la régularité qu’on observe sur la terre dans certains phénomènes ; et il ne faut nullement, pour rendre compte de cette régularité, faire appel à la nature divine. Ne la chargeons pas de fonctions et conservons-lui toute sa béatitude. Car si nous ne faisons pas ainsi, la recherche des causes des phénomènes célestes deviendra vaine tout entière : c’est ce qui est déjà arrivé à plusieurs qui, au lieu de s’attacher à la seule méthode possible, sont tombés dans les opinions vaines, parce qu’ils ont pensé que les phénomènes célestes ne pouvaient recevoir qu’une explication unique, rejetant toutes les autres explications qu’on pouvait concevoir comme possibles, et mettant ainsi la pensée en présence de quelque chose qu’elle ne peut pas saisir ; parce qu’enfin ces hommes étaient incapables d’embrasser d’un seul regard l’ensemble des phénomènes terrestres divers qu’il faut prendre au même titre comme points de départ d’inférences sur les phénomènes célestes.
(98) L’inégalité des jours et des nuits peut être produite soit par la rapidité des mouvements du soleil au-dessus de la terre et par une lenteur qui succède à cette rapidité, soit parce que la longueur des espaces à parcourir est variable et que le soleil parcourt certains d’entre eux plus rapidement, d’autres plus lentement, ainsi que nous le voyons arriver pour certaines choses sur la terre, sorte de phénomènes avec lesquels il faut mettre d’accord ce qu’on avance sur les phénomènes célestes. Ceux qui choisissent une explication unique se mettent en contradiction avec les phénomènes et ils se privent du seul genre d’explication que l’homme puisse atteindre.
Les signes annonciateurs du temps peuvent se produire soit en vertu de coïncidences, de même qu’il y a coïncidence entre l’état de la température et les migrations de certains des animaux visibles près de nous ; soit par suite d’altérations et de changements imprimés à l’air. Car ces deux explications sont également compatibles avec les phénomènes ; (99) mais il est impossible d’apercevoir dans quel cas la causalité opère selon l’une ou l’autre d’entre elles.
Les nuages peuvent se produire et se rassembler, soit par suite de condensations de l’air, déterminées par les vents, soit par suite de l’enlacement de certains atomes aptes à s’accrocher les uns aux autres et à former ainsi des nuages, soit par suite de la réunion de certains courants émanés de la terre et des eaux ; enfin la formation des nuages peut encore avoir lieu de beaucoup d’autres manières. Quand ils sont formés, l’eau qu’ils répandent peut provenir soit d’une pression mutuelle des nuages, soit d’une altération survenue en eux. (100) La pluie peut encore provenir du choc contre les nuages de certains vents venus à travers l’air de lieux appropriés. Les ondées sont d’ailleurs plus violentes quand elles proviennent de certains amas de nuages aptes à répandre de telles ondées.
Le tonnerre peut se produire soit par suite du roulement à l’intérieur des nuages, ainsi que cela a lieu à l’intérieur de nos récipients, soit par suite du son grave que rend le feu venant à se condenser en souffle au sein des nuages, soit par suite de la déchirure et de la dispersion des nuages, soit par suite de froissements, de poussées, entre nuages ayant pris la consistance de la glace ; en un mot, les phénomènes nous suggèrent plusieurs explications de ce fait du tonnerre comme des autres. (101) Les éclairs, à leur tour, peuvent également se produire de plusieurs manières. Il se peut que, par suite du frottement et du choc mutuel des nuages, des corpuscules conformés pour donner du feu s’échappent et engendrent l’éclair. Il se peut que les vents agissant comme des soufflets fassent jaillir hors des nuages des corps qui produisent la lueur en question. Il se peut encore que les vents ou la pression mutuelle des nuages expriment les éclairs du sein de ceux-ci. Il se peut que la lumière répandue par les astres se soit accumulée à l’intérieur des nuages et que le choc des autres nuages et du vent l’en fasse tomber tout d’un coup à travers les nuages. Il se peut que la partie la plus subtile de la lumière filtre à travers les nuages et se mette en mouvement. Il se peut que le vent s’enflamme en conséquence d’une translation rapide et d’une rotation très vive. (102) Il se peut que les nuages se déchirent sous l’action du vent et qu’il en tombe des atomes produisant du feu et prenant l’aspect de l’éclair. Il y a encore plusieurs autres explications possibles qu’on découvrira sans peine, pourvu qu’on se laisse guider par les phénomènes terrestres, et qu’on soit capable d’embrasser d’un regard l’ensemble des choses qu’on peut concevoir à leur ressemblance dans le ciel. Que si l’éclair devance le tonnerre dans les orages, c’est parce que les corpuscules propres à produire l’éclair s’échappent des nuages aussitôt qu’ils ont été frappés par le vent, tandis que le vent ne produit le tonnerre qu’un peu après, en roulant à travers les nuages. C’est peut-être aussi que, l’éclair et le tonnerre tombant en même temps, l’éclair nous parvient avec plus de vitesse, (103) tandis que le tonnerre va plus lentement ; car c’est ce que nous voyons arriver sur la terre pour certains corps que nous apercevons à distance frappant d’autres corps dont le son ne nous parvient qu’après. La foudre peut se produire par suite du rassemblement de beaucoup de vents, de leur tourbillonnement violent, de leur embrasement, de la brisure du courant dans l’une de ses parties et de la chute violente qui s’ensuit vers les lieux inférieurs, cette brisure ayant lieu parce que les lieux voisins sont rendus plus denses par la compression des nuages. La foudre peut encore se produire, de même que le tonnerre aussi, par la chute et le tourbillonnement du feu qui, devenu trop abondant, se condense en souffle, se trouve par là plus fort, et brise les nuages, faute de pouvoir avancer une fois qu’il les a déjà poussés les uns contre les autres. (104) Il y a encore beaucoup d’autres explications possibles de la foudre. Qu’on tienne seulement le mythe à l’écart, et l’on y parviendra, pourvu qu’on se laisse conduire par les phénomènes dans les inférences sur les choses cachées.
Les cyclones peuvent être produits par un nuage qui sous la poussée d’un vent violent descend en forme de colonne vers les lieux inférieurs, est animé par le fait de ce vent d’un mouvement rotatoire, et subit en même temps une translation horizontale sous l’action d’un vent intérieur. Les cyclones peuvent encore être produits par un vent qui se forme en cercle et qui d’ailleurs est poussé d’en haut par un courant d’air. Ils peuvent enfin être produits par le cours abondant d’un vent qui ne peut s’écouler latéralement à cause de la condensation de l’air ambiant. (105) Lorsque le cyclone descend sur la terre, il se forme un tourbillon ; lorsqu’il descend sur la mer, c’est un tournant d’eau.
Les tremblements de terre peuvent être produits par du vent enfermé dans la terre, lequel environne les petites masses de cette dernière et leur imprime un mouvement continuel - ce qui provoque la secousse sismique.
Et ce vent est entré du dehors dans la terre, ou bien il provient de ce que l’air enfermé dans les cavernes souterraines a été transformé en vent par l’agitation qu’ont causée en lui, en s’affaissant, les parties de terre qui soutiennent la surface. Les tremblements de terre peuvent encore être produits par la propagation du mouvement causé par la chute d’une masse considérable de couches terrestres et par son rebondissement, lorsqu’elle s’est heurtée dans cette chute, contre des masses de terre plus denses et plus solides qu’elle. (106) Ces agitations de la terre peuvent d’ailleurs s’expliquer par d’autres causes encore.
Les vents se produisent de temps en temps, en conséquence d’une altération de l’air lente et progressive. Les vents peuvent encore être produits par l’air qui sort de grandes masses d’eau. D’autres vents se produisent en conséquence de la chute d’un peu d’air dans les nombreuses cavernes de la terre et de sa distribution dans tous les sens. La grêle se forme par la congélation violente (de l’eau des nuages) environnés de tous côtés par des vents, cette eau gelée se fendant ensuite en parcelles. Elle peut aussi se former par la congélation moins violente d’éléments aqueux qui se trouvent environnés de souffles d’air, lesquels font deux choses à la fois, d’une part resserrant les éléments aqueux et, de l’autre, les séparant, pour arriver à ce double résultat que les éléments aqueux se congèlent en petites quantités séparées, et en consistance serrée. (107) Quant à la forme ronde de la grêle, il n’est pas impossible qu’elle résulte de l’émoussement de tous les angles, suite d’un long trajet dans l’air. Elle peut aussi résulter de ce que, lors de la constitution même de la grêle, une atmosphère aqueuse ou aériforme entoure, comme nous l’avons dit, chaque grêlon en le pressant uniformément de tous côtés.
La neige peut être formée par les gouttes de l’eau la plus subtile, filtrant à travers les portes des nuages qui répondent à leurs dimensions, lorsque les nuages convenables pour cela se trouvent pressés par les vents ; et les gouttes se congèlent ensuite dans leur chute à cause du refroidissement interne qu’elles subissent dans les régions situées au-dessous des nuages. La neige peut encore être produite par congélation au sein même de nuages d’une porosité uniforme, l’expulsion de la neige ayant lieu lorsque les parties aqueuses qui sont voisines dans un nuage se trouvent pressées les unes contre les autres. (108) Le frottement mutuel de deux nuages congelés peut encore faire jaillir et rebondir des amas de particules neigeuses. Il y a encore d’autres explications possibles de la neige.
La rosée se produit par le rassemblement, à partir de tous les points de l’air, des corpuscules capables de constituer cette sorte d’humidité ; elle peut encore se produire par l’élévation dans l’air de l’humidité que possèdent les lieux mouillés ou couverts d’eau, lieux où l’on voit surtout se former la rosée, puis par le rassemblement de ces éléments humides en un même point de façon à constituer une atmosphère humide, et enfin par la chute de cette humidité : car nous voyons souvent quelque chose de semblable à cela se produire dans ceux des phénomènes qui se passent sur la terre même. (109) Le givre ne se produit pas autrement que la rosée, des particules de rosée venant à subir une certaine espèce de congélation, parce qu’elles se trouvent entourées d’air froid.
La glace est produite par l’expulsion hors de l’eau des atomes de forme ronde, et par la réunion des atomes de figure inégale et anguleuse qui se trouvent dans l’eau. Elle peut aussi se produire parce que des atomes de cette dernière sorte viennent du dehors s’ajouter à l’eau et en provoquer la congélation, après avoir expulsé une certaine quantité d’atomes ronds.
L’arc-en-ciel se produit lorsque le soleil envoie sa lumière contre l’air chargé d’eau, ou encore par suite d’un mélange spécial de lumière et d’air, mélange qui forme toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ou qui forme seulement une de ces couleurs ; alors, cette couleur rayonnant à son tour comme le soleil, les parties de l’air qui avoisinent prennent les couleurs que nous observons dans l’arc-en-ciel, parce que la première couleur envoie ses rayons sur les autres parties de l’arc. (110) Quant à l’aspect circulaire que présente l’arc-en-ciel, il est produit par le fait que notre oeil le perçoit à des distances égales de toute part à partir de l’œil. Cet aspect peut encore être produit par le fait que les atomes qui sont dans l’air, ou ceux qui, dans les nuages, proviennent du même air, se rassemblent sous une forme telle que cet assemblage nous offre l’apparence d’un cercle. Les halos autour de la lune se produisent parce que l’air se trouve porté de toutes parts vers la lune, ou bien parce que les effluves issus de cet astre sont repoussés par l’air avec une intensité égale de toutes parts, en telle sorte qu’ils viennent se ranger autour de l’astre en un cercle nébuleux et qu’ils ne peuvent pas se disperser. Il est encore possible que l’air repousse de toutes parts avec une force égale l’air qui entoure la lune, de façon à disposer celui-ci circulairement autour de l’astre dans un certain état de condensation. (111) Les couronnes partielles autour de la lune proviennent d’un certain courant extérieur qui pousse violemment l’air contre l’astre, ou de ce que sa chaleur s’échappe par certains passages disposés de façon à produire l’apparence dont il s’agit.
Les comètes sont produites par des feux qui, de temps en temps, se forment et se nourrissent par un concours d’atomes appropriés en certains endroits du ciel. Elles peuvent encore être produites par un certain mouvement spécial que le ciel prend au-dessus de nous de telle sorte que des astres de ce genre font leur apparition. Peut-être aussi, à certaines époques et grâce à des circonstances favorables, ces astres eux-mêmes s’élancent-ils vers les lieux situés au-dessus de notre horizon, le ciel restant immobile. La disparition des comètes a lieu en vertu de causes opposées à celles de leur apparition.
(112) Il y a des astres qui tournent toujours dans la même place (c’est-à-dire sans changer de position par rapport aux autres astres fixes). Or cela peut avoir lieu non seulement parce que la région des étoiles fixes serait, ainsi que certains l’ont soutenu, immobile, pendant que le reste du monde et la terre même tourneraient en face d’elle ; mais encore parce que tous les astres de cette région seraient emportés par un tourbillon circulaire où ils seraient enveloppés, et d’où, par conséquent, ils ne sauraient sortir dans aucune direction pour circuler hors de leur région et isolément comme les astres non fixes. Il peut encore se faire que les étoiles fixes conservent entre elles les mêmes situations parce qu’en avançant pour en sortir dans une direction quelconque, elles ne trouveraient plus, pour s’alimenter, la matière combustible qu’il leur faut et qu’elles trouvent dans leur siège. Et cela peut encore s’accomplir de beaucoup d’autres manières, pourvu qu’on soit capable de faire des inférences conformes aux phénomènes.
Il y a des astres dont la course est errante, s’il est vrai que leurs mouvements sont effectivement tels, et il y en a d’autres, qui tout en n’étant pas fixes, suivent du moins dans leur révolution une courbe régulière. (113) Or cela peut avoir lieu parce que les uns parmi les astres non fixes ont reçu, dès le commencement du monde, en vertu de nécessités naturelles, un mouvement circulaire tel qu’on le pouvait attendre d’un tourbillon astreint à décrire une courbe régulière, tandis que les autres ont été emportés par les tourbillons décrivant des courbes présentant certaines anomalies.
Il se peut encore que, si les astres non fixes sont portés par des courants d’air, les lieux où les uns se meuvent comportent des courants d’air qui exercent leur effort suivant une courbe régulière et fassent toujours avancer l’astre vers le même but, le faisant brûler ainsi sous nos yeux le long d’une courbe régulière, tandis que les lieux où se meuvent les autres astres non fixes comportent des courants d’air dont les efforts s’exercent suivant des courbes qui présentent certaines anomalies, de façon à produire les changements de route que nous observons. Assigner à ces faits une cause unique, alors que les phénomènes nous suggèrent plusieurs causes possibles, c’est une preuve de folie et une impertinence de la part des zélateurs d’une astronomie vaine, qui invoquent des causes vides de sens en faisant intervenir les dieux, au lieu de les laisser libres de toute fonction comme l’exige leur nature. (114) Quant au fait que, parmi les astres non fixes, les uns sont laissés en arrière par les autres, il peut provenir de ce que quelques-uns d’entre eux sont emportés plus lentement que les autres, quoique suivant le même cercle ; il se peut aussi que les astres qui paraissent les plus lents aient à subir un mouvement contraire à leur mouvement principal, se trouvant repoussés par un tourbillon capable de produire cet effet ; il se peut enfin que parmi les astres non fixes, tous entraînés par le mouvement circulaire d’un même tourbillon, les uns, se mouvant plus loin du centre de la courbe décrite par ce tourbillon, parcourent une plus grande distance, tandis que les autres en parcourent une moindre étant plus rapprochés du centre. Donner du fait qui nous occupe une explication unique est bon à ceux qui veulent se faire passer aux yeux de la multitude pour des hommes prodigieux.
Les étoiles filantes peuvent provenir tantôt d’un frottement des nuages suivi d’une chute de feu là où le feu viendrait à se condenser en souffle, comme nous avons dit à propos des éclairs ; (115) tantôt d’un rassemblement d’atomes propres à produire le feu, rassemblement convenable à l’accomplissement de cet effet et suivi d’un mouvement du feu selon la direction même dans laquelle il a été lancé par les directions composées des atomes réunis ; tantôt enfin d’un rassemblement de vents sous la forme d’une nuée épaisse, celle-ci venant à s’embraser en conséquence d’une rotation, puis le feu brisant ce qui l’enveloppe et se portant vers le lieu où il est lancé par les impulsions qu’il a subies. Et il y a encore d’autres procédés susceptibles de nous faire parvenir à ce même résultat, sans qu’on recoure au mythe.
Les signes annonciateurs du temps, qu’on tire du fait que certains animaux célestes ou constellations se lèvent en même temps que le soleil, n’ont lieu que par une coïncidence. Car les animaux célestes ne présentent rien en eux qui puisse déterminer la production du mauvais temps ; et d’autre part, il n’y a pas une nature divine qui s’occupe à observer les levers de ces animaux pour accomplir ensuite par sa puissance ce que ces signes annoncent. (116) Car il n’y a pas d’être animé quel qu’il soit, pour peu qu’il ait d’intelligence, qui tombe dans une folie assez grande pour se livrer à une pareille occupation ; bien moins encore, un être possédant la béatitude parfaite.
Rappelle-toi tout ce que je viens de te dire, Pythoclès. Par là en effet tu sortiras décidément de la mythologie et tu te rendras capable de saisir les autres choses du même genre que celles-ci. Toutefois, tu dis surtout te consacrer à méditer sur les principes des choses, sur l’infinité de l’univers et les questions de même ordre ; puis aussi sur les critères de la vérité et sur les affections, sans oublier le but en vue duquel nous avons étudié tout cela. Car ces vues d’ensemble te permettront de déterminer aisément les causes des faits particuliers. Mais ceux qui n’aimeront pas ces choses-là par-dessus tout, ceux-là ne comprendront jamais bien les questions dont il s’agit, et jamais ils n’acquerront ce qui est le but de l’étude qu’on en fait.