On doit prendre garde au mots dont la signification vient en partie des intérêts et de la nature de celui qui parle
Expliquer le texte suivant :
« Les dénominations des choses qui nous affectent, c’est-à-dire qui nous plaisent et nous déplaisent, sont, dans les entretiens ordinaires des hommes, d’une signification flottante, parce que la même chose n’affecte pas de même tous les hommes, ni le même homme en des moments différents. Étant donné en effet que toutes les dénominations sont attribuées pour signifier nos conceptions, et que toutes nos affections ne sont que des conceptions, nous ne pouvons guère éviter, quand nous concevons différemment les mêmes choses, de les nommer différemment. Car quoique la nature de ce que nous concevons soit la même, cependant les diverses façons dont nous la recevons en fonction de nos constitutions corporelles différentes, et des différentes façons dont notre opinion est prévenue, donnent à toute chose une teinture de nos différentes passions. C’est pourquoi en raisonnant on doit prendre garde aux mots qui, outre la signification de ce que nous imaginons de leur nature, en ont une aussi qui vient de la nature, des dispositions et des intérêts de celui qui parle. Telles sont les dénominations des vertus et des vices ; car l’un appelle sagesse ce qu’un autre appelle crainte ; l’un nomme cruauté ce que l’autre nomme justice ; l’un appelle prodigalité ce qu’un autre appelle magnificence ; l’un nomme gravité ce que l’autre nomme hébétude, etc. Aussi de telles dénominations ne peuvent-elles jamais constituer le fondement véritable d’aucun raisonnement. Pas davantage, les métaphores et les figures de rhétorique ; mais celles-ci sont moins dangereuses, parce qu’elles professent leur caractère flottant, ce que ne font pas les autres dénominations. »