Présentation et mode d’emploi de l’ "Hyper-Ethique"

18 mai 2004

Cette e-édition de l’Éthique de Spinoza reprend la traduction d’Émile Saisset [1]. Le texte numérisé est celui mis à disposition sur le site SpinozaetNous. Certaines corrections lui ont été apportées.

Pourquoi cette nouvelle e-édition alors que plusieurs existent déjà : SpinozaetNous, BdSWeb, et que les textes numérisés (dans la traduction Saisset) sont facilement accessibles sur le Réseau ?

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L’Éthique de Spinoza se donne comme « démontrée selon l’ordre géométrique » (ordine geometrico demonstrata) [2] : une suite, un enchaînement, de définitions, d’axiomes, suivis de propositions toujours assorties de leurs démonstrations exploitant les énoncés qui les précèdent et ainsi les soutiennent, et parfois accompagnées de commentaires (les « scolies »). L’ensemble est réparti en cinq « Parties » (« partes ») qui abordent des thèmes bien identifiés : dieu, l’âme (ou l’esprit), les passions (ou sentiments, ou affects, autrement dit la vie affective), la servitude de la condition humaine, et enfin sa possible libération. Une théo-ontologie, une gnoséologie, une psychologie, une anthropologie, une morale.

La lecture de l’Éthique exige donc, à chaque instant de sa progression, un « regard en arrière » vers les énoncés antérieurs qui le soutiennent et dont les diverses propositions donnent de façon précise les références ou renvois dans leur démonstration. On peut dire que ce « rétro-regard », « forcé » ou plutôt « nécessité » par le texte lui-même puisque sa nécessité est constamment rappelée, conserve, « enveloppe » [3], l’ensemble du texte déjà parcouru, comme justification du passage en cours. L’Éthique montre qu’en avançant elle im-plique, développe (dés-enveloppe), c’est-à-dire ex-prime [4] son point de départ. Point de départ qui reste ainsi comme im-primé en elle [5].

Lisant l’Éthique, c’est vers l’amont, vers la source, qu’il semble falloir regarder pour avancer. C’est à une telle lecture qu’invite, au premier regard, le texte de Spinoza, tel qu’il a été publié sous forme de livre [6], et tel que les éditions électroniques existantes le présentent encore.

Mais ce premier regard en présuppose un second. Car si chaque énoncé de l’Éthique implique ceux qui le justifient, c’est qu’il « en suit » [7].

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L’Hyper-Éthique a un objectif autre : quoique conservant, comme il va de soi, ce regard vers l’amont indiqué par Spinoza lui-même, il s’agit de faire exister la logique réelle du texte spinozien, logique qui sous-tend toujours la progression de l’Éthique, sans pourtant y exister physiquement, et reste absente des e-éditions antérieures à celle-ci. Car ses énoncés ne peuvent prendre sens par la seule référence à leur origine, mais aussi et surtout en ayant en vue les conséquences  [8] qu’ils produisent.

Le sens d’un énoncé de l’Éthique ne peut s’éclairer par le seul regard vers son amont, mais requiert que soit envisagé ce que sera son aval. C’est cette autre perspective sur le texte spinozien qui est proposée ici ; perspective qu’il n’interdit pas, cela va de soi, dans sa forme-livre, mais dont l’existence matérielle n’est rendue possible que par une e-édition.

Prenant appui sur le travail de Pierre Macherey [9], il s’agit de donner une existence effective à ce « réseau démonstratif » qu’est l’Éthique, et de manifester la logique « de la cause ou raison » qui est la sienne [10]. On voit de cette manière que chacun de ses énoncés n’est pas seulement démontré par ce qui le précède, qu’il n’est pas uniquement l’expression, et finalement le développement résultant de la définition initiale de la « cause de soi » [11]. Mais chaque énoncé s’exprime, car s’ex-plique [12], dans les conséquences qu’il produit et qui « s’ensuivent ».

Ce travail a donc la volonté de faire exister l’essence « actueuse », ou la puissance, des énoncés de l’Éthique qui, comme toutes choses [13] et comme Dieu même [14], sont caractérisés par leur essence productrice de conséquences : leur puissance [15].

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Pour faire découvrir au visiteur ce double mouvement, vers l’amont et vers l’aval, cette dynamique qui ne peut que faire penser à une respiration [16], chaque énoncé de l’Éthique est ici précédé des liens vers les énoncés précédents auxquels Spinoza lui-même fait explicitement renvoi dans l’énoncé ou sa démonstration, et suivi (en « P.S. ») par les liens vers les énoncés ultérieurs qui feront appel à lui, et en sont déjà les conséquences.

Parcourant l’Hyper-Éthique, c’est cette puissance-là qui non seulement provient, mais produit, que je veux te faire rencontrer : expérimenter ce « grand vent » qui vous prend à la lecture de l’Éthique  :

« J’ai trouvé le volume chez un brocanteur à la ville voisine ; je l’ai payé un kopek en m’en voulant sur le moment de gaspiller un argent si dur à gagner. Plus tard j’en ai lu quelques pages, et puis j’ai continué comme si une rafale de vent me poussait dans le dos. Je n’ai pas tout compris, je vous l’ai dit, mais dès qu’on touche à des idées pareilles, c’est comme si on enfourchait un balai de sorcière. Je n’étais plus le même homme. Ce n’est qu’une manière de parler bien sûr, car en fait j’ai très peu changé depuis ma jeunesse. » [17]

Enfourche le balai de sorcière

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Mode d’emploi

en haut de page se trouve la barre de menu général du site
puis la barre de menu de l’Hyper-Éthique.
Le titre de l’énoncé en cours,
et en bleu, les liens vers l’amont (les énoncés antérieurs qui le justifient.
Le texte, avec ses éventuelles démonstrations. Les flèches vertes permettent de parcourir linéairement l’Éthique : vers l’énoncé qui précède, ou vers le suivant.
En bleu, l’aval du texte : ses conséquences. Et l’auteur, auquel on peut écrire ;-)

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État d’avancement de la mise en ligne de l’Hyper-Éthique :

La première étape (mise en ligne du texte) a été achevée le 3 juillet 2004.

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Le chantier « Hyper-Éthique »

Les étapes prévues du chantier seront les suivantes :

  • Ajout au texte français du texte latin, indispensable pour accéder au sens propre de l’Éthique  ;
  • Construction d’une « hyper-carte » de l’Éthique  ;
  • Amélioration du texte français (la traduction Saisset étant bien défaillante sur de nombreux points) ;
  • Ajout de liens entre parties de l’Éthique, vers d’autres passages de l’œuvre de Spinoza, vers d’autres philosophes, à l’occasion, notamment des scolies, préfaces, appendices ;
  • Ajout d’explications.

[1Œuvres de Spinoza, traduites par Émile Saisset, avec une introduction du traducteur, Paris, Charpentier, 2 vol. 1842 (ed. revue et augmentée, 3 vol. 1861).

[2Le titre complet en est :
« Éthique démontrée selon l’ordre géométrique et divisée en cinq Parties dans lesquelles il s’agit, I. De Dieu, II. De la Nature et de l’Origine de l’Âme, III. De l’Origine et de la Nature des passions, IV. De la servitude humaine, ou de la force des passions, V. De la puissance de l’entendement ou de la liberté humaine ».

[3Spinoza, Éthique, I, définition 1 (première occurrence du verbe « involvere », axiome 4. Voyez P. Macherey, Introduction à l’Éthique de Spinoza. La première partie. La nature des choses, p. 31 (et n.1) et p. 32 (et n.1).

[4voir Deleuze, Spinoza et le problème de l’expression, P.U.F., Paris, 1968, p.11 à 13.

[5Deleuze, op. cit., p.12.

[6La première édition de l’Éthique est posthume. On la trouve dans les Opera posthuma, parues en 1677, sans indication d’éditeur ni de lieu d’impression. On sait cependant qu’il s’agissait de l’éditeur Rieuwertsz, à Amsterdam.

[7L’usage du verbe « suivre » dans l’Éthique montre que l’effet ou la conséquence sont seconds par rapport à la cause ou à la raison. La première occurrence de ce verbe se trouve en Éthique, I, définition 8 ; on le retrouve dans les énoncés essentiels que sont l’axiome 3, la proposition 16 et la démonstration de la proposition 36. Sur ce point, voir Macherey, op. cit., p.57.

[8Sur ce « conséquentialisme » spinozien, qui permet de parler d’un « matérialisme » de Spinoza dont on trouve un écho chez Diderot, voyez Yves Citton, « Études littéraires et multitudes : les conséquences de Diderot », in Multitudes, n°15, Exils éditeur, Paris 2004, pp123-134, notamment p.129 : « Ce que fait Diderot, c’est (entre autres) de tirer les conséquences d’une interprétation immanente et (sur) déterministe du monde matériel, telle que Spinoza l’avait formalisée un siècle auparavant. On sait que toute l’Éthique du philosophe hollandais se présente elle-même comme une longue chaîne de propositions qui s’efforcent aussi strictement que possible d’être toutes les conséquences les unes des autres. L’écriture more geometrico n’est qu’une sublime fétichisation de la Conséquence poussée à sa plus tendue limite. Lorsque Spinoza interprète les conséquences de sa propre pensée pour se pousser dans le frayage et le traçage d’une compréhension immanente du monde ; lorsque Diderot interprète les conséquences de la pensée de Spinoza au vu des développements de la biologie, de la socialité et des expériences esthétiques de son époque ; lorsque nous nous attachons nous-mêmes à comprendre la portée actuelle de l’écriture diderotienne - tous ensemble nous causons le développement d’une certaine pensée de l’immanence (sur) déterministe. En classe, dans une publication, lors d’un colloque, à une table de café, nous frappons nos contemporains des conséquences que nous tirons des textes du passé. À chacun d’y saisir ce qu’il y trouve à prendre. Et à chacun d’en tirer des conséquences, avec une justesse dont on espère qu’elle nous étonne, c’est-à-dire qu’elle nous frappe en retour et relance la machine interprétative à travers laquelle, tous ensemble, nous causons le devenir de nos sociétés. »

[9Pierre Macherey, « Le réseau démonstratif de l’Éthique », in Introduction à l’Éthique de Spinoza - La première partie - La nature des choses, Paris, P.U.F., 1998, p. 277 et ss. (rééd. 2001).

[10La première occurrence de cette formule de « cause ou raison » qui rassemble la logique de l’Éthique se rencontre au début de la deuxième démonstration de la 11è proposition de la première partie : « Pour toute chose, on doit pouvoir assigner une cause ou raison qui explique pourquoi elle existe ou pourquoi elle n’existe pas. » Voyez à ce sujet Macherey, Op. cit., p.58, p.142 n.1, p.151.

[12La première occurrence du verbe « exprimer » se trouve dans la définition 6 de la première partie. La première occurrence de la forme « s’exprimer » se trouve dans le corollaire de la proposition 25 : « : Les choses particulières ne sont rien de plus que les affections des attributs de Dieu, c’est-à-dire les modes par lesquels les attributs de Dieu s’expriment d’une façon déterminée. ». cf. Deleuze, Ibid.. ; Macherey, Op. cit., p.48 (et notes 1 et 2).

[13Spinoza, Éthique, I, proposition 36 ; III, proposition 7.

[16Macherey, Op. cit., 24.

[17Bernard Malamud, L’homme de Kiev (The Fixer), trad S. et G. De Lalène, Éditions du Seuil, 1967, p. 81 (collection Points, 1992)