Tolérance, intransigeance ; intolérance, transigeance
Les membres de la collectivité doivent donc se mettre d’accord entre eux, discuter entre eux. Il faut qu’à travers la discussion, on arrive à une fusion des âmes et des volontés. Les éléments épars de vérité que chacun peut apporter doivent se synthétiser dans ce qui est la complexe vérité, et être l’expression intégrale de la raison. Pour que cela se produise, pour que la discussion soit exhaustive et sincère, la plus grande tolérance est indispensable. Tous doivent être convaincus que telle est la vérité, et que, partant, il faut absolument la réaliser. Au moment de passer à l’action, tous doivent être d’accord et solidaires, car au cours de la discussion, s’est formé peu à peu un accord tacite qui fait que tous sont devenus responsables en cas d’insuccès. On ne peut être intransigeant au moment de l’action que si, dans la discussion, on s’est montré tolérant, que si les plus avertis ont aidé ceux qui l’étaient moins à admettre la vérité, que si les expériences individuelles ont été mises en commun, tous les aspects du problème examinés, et que si aucune illusion n’a pu se former.
Naturellement, cette tolérance – méthode de discussion entre les hommes qui sont fondamentalement d’accord, et s’efforcent de trouver la cohérence entre leurs principes communs d’action et l’action qu’ils devront mener en commun – n’a rien à voir avec la tolérance, au sens banal du terme. Aucune tolérance ne doit être admise pour l’erreur, pour la faute. Quand on est convaincu que quelqu’un est dans l’erreur – et quand il évite la discussion, se refuse à discuter ou à apporter des arguments, sous prétexte que tout le monde a le droit de penser comme bon lui semble – on ne saurait être tolérant.
La liberté de penser n’est pas la liberté de se tromper ou de faillir. Nous ne nous opposons qu’à cette forme d’intolérance qui est le résultat de l’autoritarisme et de l’idolâtrie, parce qu’elle empêche que s’établissent des accords durables, parce qu’elle empêche que l’on fixe des règles d’action qui sont moralement obligatoires dans la mesure où tous ont librement participé à les fixer.