Les actes manqués.
« J’analyse une malade. A un moment donné, je suis obligé de lui dire que les données de l’analyse me permettent de soupçonner qu’à l’époque dont nous nous occupons elle devait avoir honte de sa famille et reprocher à son père des choses que nous ignorons encore. Elle dit ne pas se souvenir de tout cela, mais considère mes soupçons comme injustifiés. Mais elle ne tarde pas à introduire dans la conversation des observations sur sa famille : « Il faut leur rendre justice : ce sont des gens comme on n’en voit pas beaucoup, ils sont tous avares (sie haben alle Geiz ; littéralement : ils ont tous de l’avarice)... je veux dire : ils ont tous de l’esprit (Geist). » Tel était en effet le reproche qu’elle avait refoulé de sa mémoire. Or, il arrive souvent que l’idée qui s’exprime dans le lapsus est précisément celle qu’on veut refouler. » (Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne)
« Nous pouvons dire maintenant que nous avons réalisé de nouveaux progrès quant à la compréhension des actes manqués. Nous savons non seulement que ces actes sont des actes psychiques ayant un sens et marqués d’une intention, qu’ils résultent de l’interférence de deux intentions différentes, mais aussi qu’une de ces intentions doit, avant le discours, avoir subi un certain refoulement pour pouvoir se manifester par la perturbation de l’autre. Elle doit être troublée elle-même, avant de pouvoir devenir perturbatrice. Il va sans dire qu’avec cela nous n’acquérons pas encore une explication complète des phénomènes que nous appelons actes manqués. Nous voyons aussitôt surgir d’autres questions, et nous pressentons en général que plus nous avancerons dans notre étude, plus les occasions de poser de nouvelles questions seront nombreuses. Nous pouvons demander, par exemple, pourquoi les choses ne se passent pas beaucoup plus simplement. Lorsque quelqu’un a l’intention de refouler une certaine tendance, au lieu de la laisser s’exprimer, on devrait se trouver en présence de l’un des deux cas suivants : ou le refoulement est obtenu, et alors rien ne doit apparaître de la tendance perturbatrice ; ou bien le refoulement n’est pas obtenu, et alors le tendance en question doit s’exprimer franchement et complètement. Mais les actes manqués résultent de compromis ; ils signifient que le refoulement est à moitié manqué et à moitié réussi, que l’intention menacée, si elle n’est pas complètement supprimée, est suffisamment refoulée pour ne pas pouvoir se manifester, abstraction faite de certains cas isolés, telle quelle, sans modifications. Nous sommes en droit de supposer que la production de ces effets d’interférence ou de compromis exige certaines conditions particulières, mais nous n’avons pas la moindre idée de la nature de ces conditions. Je ne crois pas que même une étude plus approfondie des actes manqués nous aide à découvrir ces conditions inconnues. Pour arriver à ce résultat, il nous faudra plutôt explorer au préalable d’autres récrions obscures de la vie psychique ; seules les analogies que nous y trouverons nous donneront le courage de formuler les hypothèses susceptibles de nous conduire à une explication plus complète des actes manqués. » (Freud, Introduction à la psychanalyse, p.54)