Les deux formes de l’art imitatif.

4 juin 2006

L’Étranger : J’ai, quant à moi, l’impression nette d’apercevoir deux formes de l’art imitatif. Mais, pour ce qui est de dire en laquelle des deux peut bien se trouver la nature en quête de laquelle nous sommes, je ne me juge pas encore capable de le savoir.
Théétète : Commence pourtant par nous dire, toi, et par nous distinguer quelles sont les deux formes dont tu veux parler !
L’Étranger : Je parle de deux formes, parce que si, dans cet art, je vois d’un coté un art de simulation, celui-ci existe principalement dans le cas où, se conformant aux proportions du modèle en longueur, largeur et profondeur, on réalise la production de la chose imitée, en lui donnant encore, par surcroît, les couleurs qui conviennent.
Théétète : Mais quoi ? n’est-ce pas ce qu’essaient de faire tous ceux qui imitent quelque chose ?
L’Étranger : Pas en tout cas tous ceux du moins qui ont occasion de modeler ou de peindre quelque ouvrage de grandes dimensions : si, en effet ils rendaient la proportion véritable propre à la beauté des choses, tu sais fort bien que les parties supérieures de l’ouvrage apparaîtraient plus petites qu’il ne faut, et les parties inférieures, de leur côté, plus grandes pour la raison que les premières sont par nous vues de loin tandis que les secondes le sont de près.
Théétète : Hé ! oui, absolument.
L’Étranger : L’une de ces deux choses, n’est-il donc pas juste, en tant qu’elle ressemble à l’objet réel, de l’en appeler « le semblant » ?
Théétète : Oui.
L’Étranger : Et l’espèce de l’art imitatif qui correspond à cette espèce d’objet, ne devons-nous pas l’appeler un « art de la simulation » ?
Théétète : Ainsi nous devons l’appeler !
L’Étranger : Qu’est-ce à dire ? Ce qui, du fait de n’être pas contemplé de point de vue qui est le bon, a l’apparence de ressembler à ce qui est réellement beau, mais qui, dans le cas où l’on a trouvé la possibilité de voir dans les conditions voulues d’aussi grands ouvrages, n’a même pas le semblant de ce à quoi il prétend ressembler, quel nom lui donnons-nous ? Puisque justement, tout en ayant l’apparence de ressembler, il ne ressemble pas cependant, ne l’appellerons-nous pas « apparence illusoire » ?
Théétète : Sans contredit !
L’Étranger : Or, dans l’ordre de la peinture, n’est-ce point là une partie de l’art dont l’importance est énorme, aussi bien que dans l’ordre tout entier de l’art imitatif ?
Théétète : Comment le nier ?
L’Étranger : Dès lors, l’art qui réalise une apparence illusoire à la place d’une simulation de la chose, ne le désignerions-nous pas très justement par le nom d’ « art de l’apparence illusoire » ?
Théétète : Avec beaucoup de justesse, oui !
L’Étranger : Voilà donc les deux espèces que je disais exister dans l’art de produire des simulacres : un art de la simulation et un art de l’apparence illusoire.

Dans la même rubrique

22 mars 2020

Aimer, c’est désirer retrouver sa moitié perdue

Mais, d’abord, il vous faut apprendre ce qu’était la nature de l’être humain et ce qui lui est arrivé. Au temps jadis, notre nature n’était pas la même qu’aujourd’hui, mais elle était d’un genre différent.
Oui, et premièrement, il y avait trois (…)

19 mars 2020

Socrate, Calliclès et les tonneaux percés

« Socrate — Bien. Allons donc, je vais te proposer une autre image […]. En effet, regarde bien si ce que tu veux dire, quand tu parles de ces deux genres de vie, une vie d’ordre et une vie de dérèglement, ne ressemble pas à la situation suivante. (…)

16 mars 2009

Plaisir et douleur sont inséparablement liés

Socrate est en prison, enchaîné :
Socrate s’assit sur son lit, et pliant la jambe d’où l’on venait d’ôter la chaîne, et la frottant avec sa main : « Quelle chose étrange », nous dit-il, « que ce que les hommes appellent plaisir, et comme elle (…)

16 mars 2009

Les plaisirs sans mélange

SOCRATEAprès les plaisirs mélangés, l’ordre naturel exige que nous abordions à leur tour les plaisirs sans mélange. PROTARQUE Très bien. SOCRATE Je vais donc me tourner vers eux et tâcher de les mettre sous nos yeux ; car je ne partage pas du (…)

22 janvier 2009

Le noble mensonge

—Quel moyen serait alors à notre disposition, dis-je, dans le cas où se présente la nécessité de ces mensonges dont nous parlions tout à l’heure, pour persuader de la noblesse d’un certain mensonge d’abord les gouvernants eux-mêmes, et si ce (…)

16 janvier 2009

Pour bien vivre, il ne faut pas réprimer ses passions.

Calliclès - Mais voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c’est que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont (…)

16 janvier 2009

La nature et la loi sont contraires

Calliclès : Or, le plus souvent, la nature et la loi s’opposent l’une à l’autre. Si donc, par pudeur, on n’ose pas dire ce qu’on pense, on est forcé de se contredire. C’est un secret que tu as découvert, toi aussi, et tu t’en sers pour dresser (…)

25 avril 2005

Philosopher, c’est apprendre à mourir.

Lors de son dernier entretien, avant de devoir se donner la mort comme le veut sa condamnation (voyez l’Apologie de Socrate), Socrate justifie son consentement devant la sentence.
Socrate - Mais il est temps que je vous rende compte, à vous (…)

17 janvier 2005

La fable de Gygès le Lydien

Voyez le commentaire que fait Cicéron de cette fable : Sur la fable de Gygès le Lydien.
Que ceux qui pratiquent la justice agissent par impuissance de commettre l’injustice, c’est ce que nous sentirons particulièrement bien si nous faisons la (…)

4 octobre 2004

Le mythe de l’invention de l’écriture

Socrate
[274c] Je puis te rapporter une tradition des anciens, car les anciens savaient la vérité. Si nous pouvions la trouver par nous-mêmes, nous inquiéterions-nous des opinions des hommes ?
Phèdre
Quelle plaisante question ! Mais dis-moi (…)

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document