Parler est-il le propre de l’homme ? De prime abord, il semble que même les animaux communiquent, ‘parlent’ entre eux même si ce mode de communication est différent de celui des hommes.Cependant, l’espèce humaine se distingue de toutes les autres espèces animales dans le sens où l’homme est le seul être de raison. Or, la parole suppose une certaine conscience de soi, un exercice de la pensée, de la raison dont l’animal est totalement dépourvu. Certains animaux semblent toutefois remettre en cause cette cause : on pourrait parfois parler de ‘langage animal’.Dans quelle mesure est-il possible d’affirmer que parler est le propre de l’homme ?

L’homme est le plus évolué des êtres vivants et est traditionnellement défini comme un ‘animal doué de raison’. C’est pour qu’il puisse s’entendre avec ses semblables que la nature l’aurait pourvu de langage ; c’est d’ailleurs un terme qu’il convient de définir.Ainsi, il faut distinguer le langage - en tant que faculté ou aptitude à constituer un système de signes – de la langue qui est, justement, le système de signes verbaux en question.Il faut aussi différencier le langage de la parole qui est l’usage concret de la langue, sa mise en œuvre par un individu.

Si le langage au sens large se rapporte à tout système ou ensemble de signes permettant l’expression et la communication, le langage au sens strict est une institution universelle et spécifique de l’humanité, qui comporte des caractéristiques propres.De cette façon, le langage aurait 2 fonctions primordiales : l’expression et la communication. Communiquer, c’est mettre en commun, échanger donc, et exprimer, c’est faire sortir.

C’est pourquoi, dans son essai sur l’origine des langues, Rousseau situe l’origine des langues dans les passions plutôt que dans les besoins. Le cri, comme premier langage, est celui poussé lors de grands dangers ou de grandes souffrances ; c’est une sorte de cri de la nature, inné donc.Mais, ce même cri, qui est l’expression naturelle du danger, de la souffrance ou de l’inquiétude de l’homme, ne lui est d’aucun secours dans le besoin de communiquer avec autrui. Ce n’est pas la relation à la nature mais la relation aux autres qui prescrit l’usage de la parole. De même que, ce sont les passions qui rapprochent les hommes et non pas les besoins. Le cri ‘naturel’ est inné, primitif alors que la parole serait, selon Rousseau, acquise, poétique et musicale.La thèse de Rousseau nous amène à considérer que l’origine des langues se confond avec celle de l’homme. De ce fait, alors que pour Bergson l’homme se définit d’abord comme homo faber « fabriquant d’outils, inventeur de techniques », pour le linguiste Claude Hagège, il est plus fondamentalement encore homo loquens « homme de paroles » : l’homme est avant tout un être qui parle.

Ainsi, l’homme est un ‘animal doué de langage’. Cette définition, formulée par Aristote, signifie que si l’homme est un être vivant parmi tous les autres, il s’en distingue cependant en ce que lui seul est doué du langage ou de la parole.

D’un autre côté, cette première définition est liée à une seconde, suivant laquelle l’homme est un ‘animal politique’ (Aristote) au sens de polis « la cité », autrement dit, l’homme est un être qui ne saurait vivre qu’en communauté politique. C’est seulement parce que les hommes disposent d’un langage commun qu’ils sont capables de s’entendre et de vivre ensemble. Ainsi, l’épisode de la Tour de Babel, dans le Genèse, l’illustre clairement : la diversité des langues sème le trouble et la discorde !

Aristote écrit : « il est évident que l’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire […] la nature ne fait rien en vain. Or seul parmi les animaux l’homme a un langage ». En ce sens, l’homme serait le seul animal vivant en communauté organisée et faisant usage de la parole et du langage.

Toutefois, on peut formuler deux objections à la thèse d’Aristote. Tout d’abord, il existe des animaux qui, eux aussi, vivent en communautés organisées ; il en va ainsi des fourmis ou encore des abeilles par exemple. On peut néanmoins s’interroger sur ces ‘animaux grégaires’ (se dit des espèces dont les individus vivent en troupes) : n’est-il pas possible qu’ils possèdent eux aussi un langage qui leur permette de communiquer entre eux et de poursuivre de tâches ou des buts communs ?

D’un autre côté, on peut observer parmi certains animaux des formes d’expression ou de communication. Un chien, par exemple, sait manifester, par divers sons et/ou attitudes, sa joie, sa peur, son agressivité. Ne serait-ce pas là une sorte de langage, non verbal certes mais tout de même signifiant ? Tout cela pourrait laisser penser que les animaux ont eux aussi un langage.

C’est d’ailleurs l’hypothèse que Montaigne formule dans son Apologie de Raimond Sebond . Pour lui, si nous supposons (à tort) être les seuls à disposer d’un langage, c’est seulement parce que nous sommes incapables de comprendre le langage des autres animaux. Il remarque aussi qu’il existe bien une certaine communication de animaux entre eux. Par exemple, un cheval perçoit très bien lorsqu’un chien est en colère. De même, Montaigne constate que les animaux communiquent d’une certaine façon avec nous les hommes, par des sons, des cris …

Cependant, le linguiste français Benveniste récuse cette expression de ‘langage animal’ : les animaux usent en réalité de signaux. Interprétant les recherches du zoologiste Karl Von Frisch, il observe que la communication animale est stéréotypée (le signal a toujours la même signification) et héréditaire ( le signal est inné), et qu’elle ne permet pas d’échange ‘linguistique’ puisque les abeilles ne dialoguent pas mais réagissent à un signal (stimuli naturel) par une action : par exemple, aller cherche de la nourriture.
on pourrait objecter que des animaux tel que le perroquet ou même des machines tels que les robots parlent, utilisent le langage humain mais ce langage n’est qu’un système mécanique, mimétique : le perroquet ne fait que répéter ce qu’on lui a inculqué. On ne peut donc pas parler d’un langage animal. Seul l’homme invente, utilise intentionnellement et comprend des signes.

De plus, pour Aristote, la voix est signifiante, elle est porteuse de sens : ‘phonê semantikê’ « voix propre à signifier ». Chez l’animal, les sons ne signifient rien même s’ils leur servent à communiquer. Au contraire, le langage (humain) exprime une idée et vise à communiquer un sens ; il est articulé et équivoque (polysémie), c’est à dire qu’il peut comprendre plusieurs sens.

D’autre part, Descartes définit le langage comme spécificité de l’homme dans sa lettre au marquis de Newcastle . Pour lui, le langage témoigne d’une faculté de penser et de raisonner propre à l’homme qui utilise des signes pour communiquer ses pensées. Ces signes qu’il doit apprendre sont d’une toute autre nature que le cri inné et codifié des animaux : les sourds-muets parviennent ainsi à communiquer en inventant un autre langage. Et si les animaux ne parlent pas, c’est faute de penser et non faute de moyens de communication puisqu’ils savent fort bien exprimer leurs ‘passions’ .

Ainsi, le langage à proprement parler ne se réduit pas à un système clos, un nombre fini de signes comme peuvent en posséder les animaux. Il suppose la présence de raison, qui est un ‘instrument universel qui peut servir en toutes sortes de rencontres’ (Descartes, discours de la Méthode, V ). L’homme, seul être capable de parole, pet créer un nombre infini de signes pour s’adapter à un nombre illimité de situations. On peut citer à nouveau l’exemple du sourd-muet qui invente un nouveau langage pour communiquer et s’exprimer : le ‘langage des signes’. Ce la montre bien la richesse du langage humain.

Il en est de même pour Platon : le langage, c’est la pensée et donc c’est l’homme. Dans Théetète, il démontre que le langage est l’essence même de la pensée : le pensée est un langage, le dialogue de l’âme avec elle-même. L’homme peut penser sans parler mais il ne peut parler sans pensée : c’est le cogito.

Mais, c’est aussi en parlant que la pensée se met en forme et se construit : chercher ses mots, c’est aussi chercher ses idées. C’est pourquoi, pour Platon, le langage est aussi une condition de la pensée. De même, pour Hegel, le langage est l’expression claire de la pensée confuse : il n’y a pas de pensée sans langage.

N’oublions pas que la pensée est le propre de l’homme ! Tous les philosophes reconnaissent la raison comme la faculté qui commande le langage et la pensée. Kant l’affirme aussi : la raison est le propre de l’homme dans la mesure où celui-ci est le seul animal qui pense. Lié à la pensée, le langage humain fait appel à l’imagination et à la création.

De ce fait, le langage ne peut se concevoir hors d’un contexte culturel. D’ailleurs, pour le philosophe Ludwig Wittgenstein, le langage est de prime abord une activité sociale. C’est ce que disait aussi Aristote.

Ainsi, le langage serait un ‘fait culturel par excellence’ comme l’écrit Lévi-Strauss : le langage est un ‘produit’ de la culture, il en est une partie intégrante. En effet, c’est un élément que l’homme a ajouté à son état de nature, il l’a acquis. C’est un héritage culturel qui nécessite un apprentissage : l’enfant apprend sa langue maternelle afin de s’intégrer dans un groupe (famille, société…) et afin de comprendre sa culture. La langage apparaît alors comme la condition de la culture : c’est le système culturel qui permet d’apprendre tous les autres (religion, art, justice, histoire...). L’enfant reçoit en quelque sorte un héritage dont l’histoire évolue avec l’humanité . ‘nous pensons un univers que notre langue a d’abord modelé’, écrit Benveniste.

D’ailleurs, la culture est une activité proprement humaine qui s’oppose à la ‘nature’ puisque c’est l’ensemble des processus par lesquels l’homme transforme la nature. C’est ce que cherche à montrer ‘le mythe de Prométhée’ : l’être humain est un être de culture.

Ce n’est donc pas injurieux envers le monde animal de soutenir que parler est le propre de l’homme. C’est seulement montrer que parmi tous les systèmes de communication qui existent, celui de l’homme est indissociable des autres caractéristiques humaines. En effet, le langage n’est pas seulement un système de signes infinis servant à communiquer entre individus, il est aussi un moyen de transmettre les pensées et même de les mettre en place. D’autre part, alors que le système de communication des animaux est héréditaire et stéréotypé, celui de l’homme (parole ou langage) est articulé et s’acquiert par apprentissage : il est le produit de la culture. Le langage régule le monde que l’homme s’est construit et en fait partie dans son intégrité.

Julie hgfjgfk hbngdfjgf