L’être ne consiste pas dans le fait de regarder l’étant.

17 juin 2005

Éclaircissons cela au moyen de quelques exemples. Là-bas, de l’autre côté de la rue, se dresse le bâtiment du lycée. Quelque chose d’étant. Nous pouvons, de l’extérieur, explorer ce bâtiment de tous côtés, et le parcourir intérieurement, de la cave jusqu’aux mansardes, en notant tout ce que nous trouvons : couloirs, escaliers, salles de classe avec leur équipement. Partout nous trouvons de l’étant, et même selon un ordre déterminé. Or, où est l’être de ce lycée ? Et néanmoins ce lycée est. Le bâtiment est. S’il y a une chose qui appartienne à cet étant, c’est bien son être, et cependant nous ne trouvons pas celui-ci au sein de l’étant.

L’être ne consiste pas non plus dans le fait de regarder l’étant. Le bâtiment se dresse là, même si nous ne le regardons pas. C’est seulement parce qu’il est déjà que nous pouvons le trouver. En outre, l’être de ce bâtiment semble ne pas être du tout le même pour chacun. Pour nous, qui le regardons ou passons devant, il est autre chose que pour les élèves qui sont assis à l’intérieur, et cela non pas parce qu’ils le voient de l’intérieur, mais parce que c’est pour eux que ce bâtiment est proprement ce qu’il est, et tel qu’il est. L’être de bâtiments de ce genre, on peut pour ainsi dire le flairer, et on en garde souvent encore l’odeur dans les narines au bout de plusieurs décennies. Cette odeur nous donne l’être de cet étant d’une façon beaucoup plus immédiate et véritable qu’aucune description ou visite ne peut le faire. Mais d’autre part l’existence du bâtiment ne repose pourtant pas sur cette odeur qui flotte quelque part dans l’air.

Qu’en est-il de l’être ? Peut-on voir l’être ? Nous voyons un étant, ici la craie. Mais voyons-nous l’être comme nous voyons la couleur, le clair et l’obscur ? Ou est-ce que nous entendons, sentons, goûtons, touchons l’être ? Nous entendons la motocyclette, le vacarme qu’elle fait en passant à fond de train dans la rue. Nous entendons le coq de bruyère planer à travers la futaie. A vrai dire nous n’entendons que le crépitement du moteur, le bruit que provoque le coq de bruyère. De plus il est même difficile, et inhabituel pour nous, de décrire le bruit pur, parce qu’il n’est pas ce que nous entendons communément. Nous entendons, par rapport au bruit pur, toujours plus. Nous entendons l’oiseau volant ; or, en toute rigueur, on devrait dire : un coq de bruyère n’est rien d’audible, n’est pas quelque chose que l’on puisse ordonner dans l’échelle des sons. Et il en est ainsi pour les autres sens. Nous palpons du velours, de la soie ; nous les voyons immédiatement comme un étant qui est de telle et telle façon. L’un étant autrement que l’autre. Où réside et en quoi consiste l’être ?

Mais il faut encore regarder davantage autour de nous, et évoquer le domaine, tantôt plus étroit et tantôt plus large, où nous nous tenons tous les jours et à tout instant, consciemment ou non, domaine qui ne cesse de déplacer ses frontières et peut s’ouvrir brusquement en de nouvelles perspectives.

Un gros orage arrivant dans la montagne « est », ou bien, ce qui revient au même, « fut » dans la nuit. En quoi consiste son être ?

Une chaîne de montagnes lointaine sous un vaste ciel... cela « est ». En quoi consiste l’être ? Quand et pour qui se révèle-t-il ? Pour le promeneur qui jouit du pays, ou pour le paysan qui fait son travail quotidien à partir du pays et dans le pays, ou bien pour le météorologiste qui doit dresser un bulletin météorologique ? Lequel d’entre eux saisit l’être ? Tous et aucun. Ou bien, ce que les hommes dont j’ai parlé saisissent dans la chaîne de montagnes sous le vaste ciel, sont-ce chaque fois des aspects déterminés de celle-ci, et non point la chaîne elle-même, telle qu’elle « est » comme telle, non point ce en quoi consiste son être véritable ? Qui doit saisir celui-ci ? Ou bien d’une façon plus générale, est-il à contre-sens, contre le sens de l’être, de questionner vers ce qui est en soi derrière ces aspects ? L’être se trouve-t-il dans ces aspects ?

Dans la même rubrique

25 avril 2005

l’Être-pour-la-mort.

La mort (...) est une possibilité d’être que l’être-humain [le Dasein] a lui-même à chaque fois à assumer. Avec la mort, l’être-humain se pré-cède lui-même en son pouvoir-être le plus propre. Dans cette possibilité, il y va pour l’être-humain (…)

16 août 2003

Penser la technique

Les organisations, appareils et machines du monde technique nous sont devenus indispensables, dans une mesure qui est plus grande pour les uns et moindre pour les autres. Il serait insensé de donner l’assaut, tête baissée, au monde technique ; et (…)

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document