Le doute et la contre-épreuve
Nous avons dit plus haut qu’un expérimentateur qui voit son idée confirmée par une expérience, doit douter encore et demander une contre-épreuve.
En effet, pour conclure avec certitude qu’une condition donnée est la cause prochaine d’un phénomène, il ne suffit pas d’avoir prouvé que cette condition précède ou accompagne toujours le phénomène ; mais il faut encore établir que, cette condition étant supprimée, le phénomène ne se montrera plus. Si l’on se bornait à la seule preuve de présence, on pourrait à chaque instant tomber dans l’erreur et croire à des relations de cause à effet quand il n’y a que simple coïncidence. Les coïncidences constituent [...] un des écueils les plus graves que rencontre la méthode expérimentale dans les sciences complexes [...].
La contre-épreuve devient donc le caractère essentiel et nécessaire de la conclusion du raisonnement expérimental. Elle est l’expression du doute philosophique porté aussi loin que possible. C’est la contre-épreuve qui juge si la relation de cause à effet que l’on cherche dans les phénomènes est trouvée. Pour cela, elle supprime la cause admise pour voir si l’effet persiste, s’appuyant sur cet adage ancien et absolument vrai : Sublata causa, tollitur effectus [Supprimer la cause pour vérifier si l’effet persiste]. C’est ce qu’on appelle encore l’experimentum crucis [expérience cruciale].
Claude Bernard (1813-1878), Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865), 1ère Partie, chap. 2