L’Empire

24 mai 2004

Comment définir l’Empire ? C’est la forme politique du marché mondial, c’est-à-dire l’ensemble des armes et des moyens de coercition qui le défendent, des instruments de régulation monétaire, financière et commerciale, et enfin, au sein d’une société mondiale « biopolitique », l’ensemble des instruments de circulation, de communication et de langages. Chaque société capitaliste a besoin d’être commandée : l’Empire est le commandement exercé sur la société capitaliste mondialisée. Ses conditions sont, d’une part, l’extinction de l’État-Nation (tel qu’il a été compris pendant des siècles et tel que quelques entêtés continuent à le voir) ; de l’autre, la fin des impérialismes « vieille manière » (et du colonialisme), qui n’étaient rien d’autre que des prolongements de l’État-Nation. Dans l’horizon impérial, l’espace et le temps de la vie se trouvent profondément transformés. L’espace, parce que désormais les marchandises et les langages, la production et la reproduction, ne trouvent plus aucune limite à leur circulation ; le temps, parce que celui-ci s’est arrêté et pour ainsi dire fixé sur l’existence du gouvernement impérial. Et les idéologues impériaux de conclure de fait : l’histoire est finie. Les guerres sont finies : elles sont désormais devenues des rivalités entre bandes armées, que l’Empire régule par l’intervention de ses gendarmes. L’autonomie des politiques sociales et économiques des États-Nation est finie : tout doit être maintenant réglé en fonction des comptabilités et des équilibres du système financier mondial. Je crois que la guerre du Golfe, immédiatement après la chute du mur de Berlin, représente l’élément traumatisant qui nous a fait comprendre que nous vivons déjà dans l’Empire. Mais la guerre du Golfe est également importante parce qu’elle nous a montré de quelle manière la communication peut être gérée dans le contexte impérial. Comme le dit Baudrillard, ce n’est pas une guerre où l’on s’est battu. C’est une guerre qui n’a jamais existé, c’est une guerre qui a inventé son récit, son histoire. Après cela, il y a eu Timisoara et toute une série d’éléments extrêmement importants pour définir la nouvelle situation impériale qui est désormais la nôtre, une situation dans laquelle les choses les plus infâmes, les massacres les plus effroyables peuvent être tour à tour dissimulés ou simulés. Maintenant, quel est le problème ? Le problème, c’est de comprendre comment l’action, le discours, la résistance d’un prolétariat devenu désormais intellectualité de masse se confrontent à cette réalité. Paradoxalement, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui produisent les images, les langages et les formes utilisés pour construire la falsification du monde, pour transformer le sens de la réalité, pour enlever à cette réalité toute signification antagoniste. Le problème principal devient alors l’identification, à partir des forces qui vivent dans ce type de monde et qui sont entrées dans ce nouveau genre de réalité, d’une forme d’expression matérielle. Non pas une forme d’expression alternative l’alternative implique toujours une certaine allusion ou une analogie au « vieux » -, mais une expression au contraire qui réussisse à trouver, à l’intérieur de cette unification forcée, mondialisée et communicative, des points d’appui, des points de rupture, des points susceptibles de constituer du nouveau.

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