Il faut faire très attention à cette histoire. À mon avis, l’exil tel que nous l’avons vécu a été extrêmement linéaire. Mais l’exil et le nomadisme prolétariens sont deux choses profondément différentes. En réalité, nous avons vécu - à cause de nos origines et de la culture que nous avions, à cause du caractère de notre action - une expérience du XIXè siècle.

Expériences souvent amères et dures, comme elles l’ont été à l’époque, mais finalement dans la continuité - et dans la transformation - de ce qu’a été l’expérience des vieux émigrés politiques.

Aujourd’hui, la thématique de l’exil se confond, au contraire, avec celles du nomadisme et du métissage : il s’agit de prendre au sérieux tout à la fois la présence du prolétariat sur le marché mondial de la force de travail, et le fait qu’elle se confond avec le métissage des savoirs et par conséquent avec cette flexibilité qui augmente à travers le travail matériel-immatériel, avec cette nouvelle forme d’action et de coopération dans le travail.

Je dirais par conséquent que notre exil a été le paradigme littéraire de phénomènes réels. Mais aussi que chacun d’entre nous est passé par le chantier, par le café, par le travail dans les lieux les plus étranges, avant d’arriver à la reconquête d’une position intellectuelle plus ou moins forte, à la possibilité d’une circulation dans les nouveaux bassins de la force de travail immatérielle. Cela dit, je crois qu’en réalité la continuité de notre discours est plutôt liée aux grandes traditions classiques de l’exil.