Publié : 30 septembre 2020

TEXTE 4 - Hobbes

« L’invention la plus noble et la plus profitable de toutes, ce fut celle de la parole, consistant en des dénominations ou appellations et dans leur mise en relation, invention grâce à laquelle les hommes enregistrent leurs pensées, les rappellent quand elles sont passées et aussi se les déclarent l’un à l’autre, pour leur utilité naturelle et pour communiquer entre eux, et sans laquelle il n’y aurait pas eu parmi les hommes plus de République, de société, de contrat et de paix que parmi les lions, les ours et les loups (…).
L’usage général de la parole est de transformer notre discours mental en discours verbal, et l’enchaînement de nos pensées en un enchaînement de mots ; et ceci en vue de deux avantages : d’abord d’enregistrer les consécutions de nos pensées ; celles-ci, capables de glisser hors de notre souvenir et de nous imposer ainsi un nouveau travail, peuvent être rappelées par les mots qui ont servi à les noter ; le premier usage des dénominations est donc de servir de marques ou de notes en vue de la réminiscence. L’autre usage consiste, quand beaucoup se servent des mêmes mots, en ce que ces hommes se signifient l’un à l’autre, par la mise en relation et l’ordre de ces mots, ce qu’ils conçoivent ou pensent de chaque question, et aussi ce qu’ils désirent, ou qu’ils craignent, ou qui éveille en eux quelque autre passion. Dans cet usage, les mots sont appelés des signes.
Les usages particuliers de la parole sont les suivants : premièrement, d’enregistrer ce qu’en y pensant on trouve être soit la cause d’une chose présente ou passée, soit ce que les choses présentes ou passées peuvent produire ou réaliser : en somme, c’est l’acquisition des arts. Deuxièmement, d’exprimer à autrui la connaissance que l’on a atteinte : il s’agit là de se conseiller et de s’enseigner les uns les autres. Troisièmement, de faire connaître à autrui ses volontés et ses projets, de façon que nous recevions les uns des autres une aide mutuelle. Quatrièmement, de contenter et de charmer soit autrui soit nous-mêmes en jouant innocemment avec nos mots, pour le plaisir ou l’agrément ».

Post-scriptum

Hobbes, Léviathan, Première partie (« De l’Homme »), Chapitre IV, De la parole

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2 Messages

  • TEXTE 4 - Hobbes

    Septembre 2020, par jld

    Suite du texte :

    A ces usages correspondent aussi quatre abus : Le premier se manifeste quand des hommes enregistrent incorrectement leurs pensées, à cause de la signification flottante des mots dont ils se servent, qui leur fait enregistrer comme étant leurs conceptions des choses qu’ils n’ont jamais conçues, et ainsi s’induire eux-mêmes en erreur. Le second, quand on use des mots métaphoriquement, c’est-à-dire en un autre sens que celui auquel ils sont destinés, et qu’ainsi on induit les autres en erreur. Le troisième, quand on se sert des mots pour donner comme étant sa volonté ce qui ne l’est pas. Le quatrième, quand les hommes se servent des mots pour se blesser les uns les autres : étant donné en effet que la nature a armé les créatures vivantes les unes de dents, les autres de cornes, d’autres enfin de mains, pour leur permettre de blesser leur ennemi, ce n’est rien d’autre qu’un abus de la parole que de le blesser avec la langue, à moins qu’il ne s’agisse d’un homme que nous sommes obligés de gouverner : car alors ce n’est pas le blesser, mais le corriger et l’amender (...).
    Quand un homme, en entendant parler, a les pensées que les paroles prononcées et leur mise en relation avaient comme destination, comme tâche assignée, de signifier, on dit alors qu’il comprend ces paroles. La compréhension n’est en effet rien d’autre que la conception causée par la parole. Par conséquent, si la parole est propre à l’homme (et pour autant que je sache il en est ainsi), la compréhension lui est particulière, elle aussi. Par conséquent aussi, il ne peut pas y avoir compréhension des affirmations absurdes et fausses, au cas où elles seraient universelles, encore que beaucoup de gens pensent comprendre alors qu’ils ne font que répéter les mots à voix basse, ou les repasser dans leur esprit.
    Des façons de parler qui expriment les appétits, les aversions et les passions de l’esprit humain, de leur usage et de leur abus, je parlerai après avoir parlé des passions.

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  • TEXTE 4 - Hobbes

    Septembre 2020, par jld

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