"Un système qui gouverne sans le peuple", par Jacques Rancière

12 avril 2006

Au-delà de la crise sociale et politique, assiste-t-on à une crise de la démocratie ?

Le conflit actuel ne porte pas sur l’idée de démocratie, mais sur le rapport entre les institutions et la majorité du peuple. Nous pouvons tous faire le constat que le type de régime dans lequel nous vivons n’a pas grand-chose à voir avec l’idée qu’on se fait de la démocratie comme un système permettant à chacun de discuter et de décider d’une affaire commune. C’est un problème très ancien : la démocratie n’a jamais pu s’identifier simplement au régime représentatif. Mais s’y ajoute en France le facteur très particulier de l’épuisement du système politique de la Ve République, ses institutions, sa vie officielle, le type de relations entre les gouvernements et le peuple qu’elle a suscité. Nous vivons avec un système mis en place pour permettre à une forte minorité de gouverner sans problème de gouverner sans le peuple. Le ralliement de la gauche à la logique majoritaire a entraîné la convergence des recrutements et des modes de fonctionnement et a abouti à un consensus programmatique entre droite et gauche. Aujourd’hui, c’est tout ce système qui est entré en décomposition.

A quand remonte ce processus de décomposition ?

Le 21 avril 2002 a montré que les socialistes n’ont rien de plus à apporter au peuple que leurs adversaires. Les socialistes avaient recueilli à leur profit les mouvements des années 60 et 70, mais ils ont épuisé leur capital d’adhésion, même imaginaire. Ils se sont retrouvés nus. Le système a réagi en faisant comme si de rien n’était. Le peuple qui était dans la rue a été appelé à faire pénitence et à voter Chirac pour sauver le système en place. Le référendum sur la Constitution européenne a marqué une nouvelle étape dans la rupture de l’alliance entre le peuple et le monde des gouvernants, composé d’experts et d’oligarques. Enfin, la crise des banlieues a montré l’incapacité de la société officielle à prendre en charge les inégalités économiques et sociales, mais aussi politiques.

La situation est-elle vouée à se dégrader ?

Ce n’est pas du côté des gouvernants, de ceux qui veulent les remplacer, ou de leurs experts qu’on peut attendre quelque chose. L’écart entre la vie officielle et le mouvement populaire peut continuer à se manifester sans s’aggraver. Les classes dirigeantes vivent avec l’idée d’avoir devant eux cinq ou dix crises de la même ampleur et d’en sortir chaque fois indemnes. La seule chose qui peut nous sortir de cette impasse est la constitution d’un mouvement démocratique qui se demande ce qu’il veut vraiment et se fixe des cibles à attaquer au lieu d’être seulement sur la défensive. On est dans un système qui semble exclure toute autre possibilité que la répétition à l’infini de son propre fonctionnement. Mais nous n’avons pas à avaliser cette logique. Il faut au contraire y opposer inlassablement l’affirmation de la politique comme la capacité de n’importe qui à discuter et à participer à la décision.

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