2001 : "Heidegger nazi, la preuve par l’eugénisme", par Robert Maggiori.
Ce qui fait la grandeur d’une philosophie, c’est probablement que nul n’en est jamais quitte, et que les problèmes nouveaux qui, à mesure, se posent trouvent toujours en elle, rétrospectivement, des éclairages. Cela vaut, évidemment, pour la philosophie de Heidegger. Aristote voulait que d’un penseur on pût dire seulement qu’il est né, qu’il a vécu et qu’il est mort.
Dans le cas de Heidegger, on ne peut guère mettre de côté la biographie, ni ses choix de vie, politiques et moraux, qui l’ont conduit à revêtir clairement l’uniforme nazi.
Depuis une quinzaine d’années et la publication du livre de Victor Farias, Heidegger et le nazisme, toutes les polémiques et les divers rebondissements de l’« affaire Heidegger » ont tourné autour de la légitimité qu’il y avait à séparer ou, au contraire, à conjoindre ce que le philosophe a pensé, de profond, et ce que l’homme a fait, d’assez ignoble.
Un élément nouveau apparaît aujourd’hui, qui compromet aussi cette pensée, mais dont les avocats les plus fervents de Heidegger diront naturellement qu’ils le connaissaient déjà, qu’ils en ont déjà rendu raison et, du point de vue théorique, qu’il s’explique en tant que « lecture » particulièrement sagace de Platon.
Le volume XVI des Œuvres complètes de Martin Heidegger publié l’an dernier chez Klostermann (quinze ans après le volume XV) révèle en effet que non seulement l’homme, à l’époque recteur de l’université de Fribourg, a eu l’intention de chercher un titulaire pour une chaire d’« hygiène raciale » mais que le philosophe, lecteur de Platon, a approuvé explicitement l’idéologie de l’eugénisme, selon laquelle tous les hommes ne sont pas également dignes de vivre.
Dérapage ? Torsion inéluctable d’une pensée qui ne pouvait pas ne pas aboutir à l’éloge du « sang et du sol » ? Théorisations rendues incompréhensibles par ce que les nazis ont, dans les faits, entendu par « hygiène raciale », et qu’il faudrait restituer à leur véritable « sol » philosophique ? On en jugera.
Professeur à l’université de Picardie, Arno Münster donne une première analyse de ces documents compromettants, qui, en Allemagne, par un fait étrange, commencent seulement, grâce à l’hebdomadaire Die Zeit, un an après la publication du volume en question, à réveiller l’« affaire Heidegger ».