Des châtiments et des récompenses (Léviathan, chap. 18)

6 octobre 2003

Définition du châtiment.

Un CHÂTIMENT est un mal infligé de par l’autorité publique à celui qui a accompli (ou omis) une action que cette autorité juge être une transgression de la loi, afin que la volonté des hommes soit par là d’autant mieux disposée à l’obéissance.

D’où nient le droit de châtier.

Avant de rien inférer de cette définition, il faut répondre à une question de grande importance, à savoir : par quelle porte s’introduisent le droit, l’autorité, qui habilitent, dans quelque cas que ce soit, à châtier ? En effet, d’après ce qui a été dit ci-dessus, nul n’est réputé obligé par ses propres conventions à ne pas résister à la violence ; en conséquence, rien ne saurait permettre de conclure qu’un homme a abandonné à quelque autre le droit de lui faire violence en portant la main sur lui. Dans l’institution de la République, chaque homme abandonne le droit de défendre autrui, mais non de se défendre lui-même. Il s’oblige aussi à assister celui qui détient la souveraineté, quand-il s’agit de châtier autrui : mais non quand il s’agit d’être lui-même châtié. Du reste, s’engager par convention à assister le souverain quand il s’agit de nuire à autrui, ce n’est pas, à moins que celui qui passe cette convention n’ait lui-même ce droit, lui donner le droit de châtier. Il est donc évident que le droit de châtier que possède la République (c’est-à-dire celui ou ceux qui le représentent) n’est pas fondé sur quelque concession ou quelque don de la part des sujets. Mais t ai aussi montre plus haut, qu avant l’institution de la République caque homme avait un droit sur toutes choses, c’est-à-dire le droit de faire tout ce qu’il jugerait nécessaire à sa préservation, et donc, en vue de cette préservation, de soumettre tout autre homme de lui nuire, ou de le tuer. Tel est le fondement du droit de châtier qui s’exerce dans toute République : en effet, ce ne sont pas les sujets qui l’ont donné au souverain ; mais en se dessaisissant des leurs, ils ont fortifié celui-ci dans l’usage qu’il jugera opportun de faire du sien pour leur préservation à tous. Bref, on ne le lui a pas donné : on le lui a laissé, et on ne l’a laissé qu’à lui ; et, abstraction faite des limites imposées par la loi de nature, on le lui a laissé aussi entier qu’il existe dans l’état de simple nature et de guerre de chacun contre son prochain.

Ne sont pas des châtiments

De la définition du châtiment j’infère, premièrement, que ni les vengeances privées ni les torts causés par des hommes privés ne peuvent être nommés, à proprement parler, des châtiments, parce qu’ils ne procèdent pas de l’autorité publique.

Deuxièmement, que de se voir négligé par la faveur officielle, et de ne pas en recevoir de nominations flatteuses, n’est pas un châtiment, parce qu’un tel traitement n’inflige aucun mal nouveau : il vous laisse seulement dans l’état où vous vous trouviez auparavant.

Troisièmement, qu’un mauvais traitement infligé de par l’autorité publique, mais sans qu’il y ait eu antérieurement une condamnation officielle, ne doit pas recevoir le nom de châtiment, mais celui d’acte hostile, car l’action pour laquelle on est châtié
doit d’abord avoir été jugée, de par l’autorité publique, constituer une transgression de la loi.

Quatrièmement, que le mal infligé par le détenteur d’un pouvoir usurpé, ou par des juges non autorisés par le souverain, n’est pas un châtiment, mais un acte d’hostilité. En effet, les actes d’un pouvoir usurpe n’ont pas pour auteur la personne condamnée : ils ne sont donc pas des actes de l’autorité publique.

Cinquièmement, que tout mal infligé sans aucune intention ou possibilité de disposer le délinquant, ou, par son exemple, d’autres hommes, à obéir aux lois, n’est pas un châtiment, mais un acte d’hostilité. En effet, sans une telle fin, aucun mauvais traitement ne saurait entrer dans la catégorie des châtiments.

Sixièmement, bien que diverses conséquences fâcheuses soient par nature attachées à certaines actions - quand par exemple un homme est tué ou blessé alors qu’il attaquait quelqu’un, ou qu’il tombe malade du fait de l’accomplissement de quelque action illégale - encore qu’eu égard â Dieu, auteur de la nature, on puisse dire qu’un tel mal a été infligé, et qu’il est donc un châtiment divin, il ne saurait, eu égard aux hommes, porter le nom de châtiment, parce qu’il n’est pas infligé de par une autorité humaine.

Septièmement, si le mal infligé est moindre que l’avantage ou la satisfaction qui découlent naturellement du crime commis, ce mal ne tombe pas sous la définition du châtiment : c’est le prix, la rançon du crime, plutôt que son châtiment. En effet, il est de la nature du châtiment d’avoir pour fin de disposer les hommes à obéir à la loi : or, si le châtiment est moindre que l’avantage de la transgression, loin d’atteindre cette fin, il agit en sens contraire.

Huitièmement, si un châtiment est fixé et prescrit dans la loi même, et qu’une fois le crime commis on inflige un châtiment plus sévère, ce qui vient en sus n’est pas un châtiment, mais un un mal acte d’hostilité. Étant donné en effet que le but du châtiment n’est pas la vengeance, mais la frayeur, et que la frayeur d’un châtiment sévère, mais encore inconnu, est supprimée par la promulgation d’un châtiment moindre, le supplément imprévu ne fait pas partie du châtiment. Mais la où aucun châtiment n’est déterminé par la loi, tout ce qui est infligé a la nature d’un châtiment. En effet, celui qui entreprend de violer la loi, là où la peine n’est pas déterminée, encourt un châtiment indéterminé, c’est-à-dire discrétionnaire.

Neuvièmement, le mal infligé à cause d’un acte accompli avant qu’il n’existe une loi pour l’interdire n’est pas un châtiment, mais un acte d’hostilité. En effet, avant qu’une loi n’existe, il ne saurait y avoir transgression de cette loi. Or, le châtiment suppose qu’un certain acte a été jugé être une transgression de la loi. Un mal infligé avant que la loi ne soit faite n’est donc pas un châtiment mais un acte d’hostilité.

Le représentant de la République ne saurait jamais être châtié.

Dixièmement, un mal infligé au représentant de la République n’est pas un châtiment, mais un acte d’hostilité. Il est en effet de la nature du châtiment d’être infligé de par l’autorité publique, laquelle autorité n’appartient qu’au représentant lui-même.

Le mal infligé aux sujets qui ont rompu leur allégeance l’est en vertu du droit des belligérants et non en manière de châtiment.

Enfin, le mal infligé à un ennemi déclaré ne tombe pas sous l’appellation de châtiment : étant donné en effet que cet ennemi, ou bien n’a jamais été assujetti à cette loi, et par conséquent ne pouvait pas la transgresser, ou bien, après y avoir été assujetti, fait profession de ne plus l’être, et nie par conséquent qu’il puisse la transgresser, tous les maux qu’on peut lui infliger doivent être considérés comme des actes d’hostilité. Or, dans un état d’hostilité déclarée, toute infliction de maux est légitime. Il s’ensuit que si, dans ses actions ou dans ses paroles, un sujet nie consciemment et délibérément l’autorité du représentant de la République, on peut légitimement, quelle que soit la peine précédemment prévue pour le cas de trahison, lui faire subir tout ce qu’il plaira au représentant. En effet, en récusant sa sujétion, il a récusé le châtiment prévu par la loi : il pâtit donc en qualité d’ennemi de la République, autrement dit, au gré de la volonté du représentant. Car les châtiments établis par la loi sont destinés aux sujets, non aux ennemis : et sont des ennemis ceux qui, après avoir été, de leur propre fait, des sujets, rompent délibérément cette allégeance et récusent le pouvoir souverain.

Classification des châtiments

La première classification des châtiments, et la plus générale, les divise en châtiments divins et humains. J’aurai l’occasion de parler des premiers, ci-dessous, à un endroit plus opportun.

Les châtiments humains sont ceux qui sont infligés en vertu d’un commandement humain : ce sont les peines corporelles, les peines pécuniaires, les peines infamantes, l’emprisonnement, l’exil, ou une combinaison de ces divers éléments.

Le châtiment corporel est celui qui est infligé directement au corps, et d’une manière conforme à l’intention de celui qui l’inflige : il consiste, par exemple, en coups, en blessures, ou dans la privation des plaisirs du corps dont auparavant on jouissait légitimement.

Parmi les châtiments corporels, les uns sont capitaux, les autres plus légers. Le châtiment capital, c’est l’infliction de la mort, laquelle infliction peut être simple ou accompagnée de supplices. Les peines plus légères sont les coups, les blessures, les fers, et toute autre souffrance corporelle qui ne soit pas mortelle par nature. Si en effet la mort suit l’infliction du châtiment sans que cela ait été dans l’intention de celui qui l’a infligé, le châtiment ne doit pas être réputé capital, quand bien même le mal infligé se montrerait mortel par suite d’un accident imprévisible : car dans ce cas, la mort n’a pas été infligée, mais hâtée.

Le châtiment pécuniaire est celui qui consiste dans la privation d’une somme d’argent, et également de terres ou de tout autre bien qui est communément acheté ou vendu à prix d’argent. Mais dans le cas où la loi qui prévoit un tel châtiment est faite dans l’intention de tirer de l’argent de ceux qui la transgresseront, ce n’est pas à proprement parler un châtiment, mais le prix d’un privilège par lequel on est exempté d’une loi qui n’interdit pas l’acte d’une manière absolue, mais seulement à ceux qui ne peuvent pas payer cette somme - sauf lorsque cette loi, ou bien est une loi de nature, ou bien fait partie de la religion : dans ce cas en effet, il ne s’agit plus d’une exemption, mais d’une transgression de la loi. Ainsi, quand la loi impose une amende pécuniaire à ceux qui prennent en vain le nom de Dieu, le paiement de l’amende n’est pas le prix à payer pour être dispensé de l’interdiction de jurer, mais le châtiment de ceux qui transgressent une loi qui n’est pas sujette à dispenses. De même aussi, si la loi impose de payer une certaine somme à celui qui a subi un tort, ce n’est là qu’une satisfaction destinée à réparer le mal qu’il a subi : ce paiement éteint l’accusation de la victime, mais non le crime de l’offenseur.

Une peine infamante, c’est l’infliction d’un mal dont la République a fait un sujet de déshonneur, ou la privation d’un bien dont elle a fait un sujet d’honneur. Certaines choses en effet sont un sujet d’honneur par nature : ainsi les effets du courage, de la magnanimité, de la force, de la sagesse, et de toutes les autres-aptitudes du corps et de l’esprit. Il en est d’autres dont c’est la République qui fait un sujet d’honneur tels sont les décorations, les titres, les charges, et toute autre marque personnelle de la faveur du souverain. Les premières, encore qu’elles puissent venir à manquer naturellement ou par accident, ne peuvent pas être supprimées par une loi : leur perte n’est donc pas un châtiment. Quant aux secondes, elles peuvent être supprimées de par la même autorité publique qui en avait fait un sujet d’honneur : il s’agit alors de châtiments à proprement parler. Il en est ainsi quand on démet les condamnés de leurs décorations, titres ou charges, ou qu’on les déclare incapables de telles distinctions pour l’avenir.

L’emprisonnement est la privation de liberté imposée de par l’autorité publique. Ce traitement peut correspondre à deux fins distinctes : l’une d’entre elles, c’est de s’assurer de la personne d’un accusé ; l’autre, c’est d’infliger une souffrance à un condamné. Dans le premier cas, ce n’est pas un châtiment, parce qu’on n’est censé punir aucun homme avant de l’avoir entendu en justice et déclaré coupable : aussi, tout mal qu’on peut faire souffrir à un homme, avant que sa cause soit entendue, en supprimant ou en restreignant sa liberté physique, en sus de ce qui est nécessaire pour s’assurer de sa personne, est contraire à la loi de nature. Dans le second cas au contraire, c’est un châtiment, étant un mal infligé de par l’autorité publique à cause d’un acte qui a été jugé de par la même autorité, constituer une transgression de la loi. Je range sous ce mot d’emprisonnement toutes les manières de restreindre les mouvements d’un homme par le moyen d’un obstacle externe, qu’il s’agisse d’une maison (qui reçoit alors ce nom générique de prison), d’une île (comme quand on dit que des hommes y sont relégués), d’un endroit où les hommes sont astreints à un travail (ainsi, dans l’Antiquité des hommes étaient condamnés aux carrières, comme de nos jours aux galères), de fers ou de tout autre obstacle.

L’exil, ou bannissement, est le fait qu’un homme soit, à cause d’un crime, condamné à quitter l’empire de la République, ou une certaine partie de celui-ci, et à ne pas y retourner, soit pour une durée déterminée, soit définitivement. Par sa nature propre et si rien d’autre ne s’y adjoint, il ne semble pas que l’exil soit un châtiment : c’est plutôt une fuite, ou l’ordre donné par la République d’éviter le châtiment par la fuite. Cicéron dit du reste que l’exil n’a jamais fait partie des châtiments prévus dans la cité de Rome : il l’appelle au contraire, le refuge des hommes en danger. En effet, si on permet à un homme, bien qu’il soit banni, de jouir de ses biens et du revenu de ses terres, le simple changement de climat n’est pas un châtiment ; il ne tend pas, au demeurant, à procurer à la République l’avantage en vue duquel les châtiments ont été institués : à savoir, façonner les volontés des hommes au respect de la loi ; au contraire, il tend souvent à nuire â la République : un banni, en effet, est le légitime ennemi de la République qui l’a banni, et non plus un de ses membres. Et si le banni est en même temps privé de ses terres ou de ses autres biens, le châtiment, alors, ne consiste pas dans l’exil : on doit le ranger au nombre des châtiments pécuniaires.

Le châtiment de sujets innocents est contraire à la loi de nature.

Tout châtiment de sujets innocents, qu’il soit lourd ou léger est contraire à la loi de nature, car le châtiment ne s’applique qu’à la transgression de la loi, et par conséquent il ne saurait exister de châtiment de l’innocent. C’est donc une violation, premièrement, de cette loi de nature qui interdit à tous les hommes, dans leurs vengeances, d’avoir égard à autre chose qu’à quelque bien à venir : en effet, aucun bien ne peut arriver à la République du fait du châtiment de l’innocent. C’est une violation, deuxièmement, de la loi qui interdit l’ingratitude : étant donné, en effet, que tout pouvoir souverain est accordé à l’origine par le consentement de chacun des sujets, afin qu’ils soient par là protégés aussi longtemps qu’ils obéiront, le châtiment de l’innocent revient à rendre le mal pour le bien. Et troisièmement, c’est une violation de la loi qui ordonne l’équité, c’est-à-dire une égale distribution de la justice, loi qui n’est pas observée lorsqu’on châtie l’innocent.

Mais si l’on inflige un mal quelconque à un innocent qui n’est pas un sujet, que cela ait lieu pour le bien de la République, et sans violation dune convention antérieure, ce n’est pas la une infraction a la loi de nature. En effet, tous les hommes qui ne sont pas des sujets, ou bien sont des ennemis, ou bien ont cessé de l’être en vertu de conventions antérieures. Mais aux ennemis que la République juge aptes à nuire à ses sujets, il est légitime, en vertu du droit de nature originel, de faire la guerre : or dans celle-ci l’épée ne juge point, et le vainqueur ne fait nulle distinction relative au passé entre homme nuisible et homme innocent : il ne connaît pas d’autre pitié que celle qui sert au bien de ses concitoyens. C’est en vertu du même principe que lorsqu’il s’agit de sujets qui récusent délibérément l’autorité de la République établie, la vengeance s’étend légitimement, non seulement aux pères, mais aussi à la troisième ou à la quatrième génération encore à naître, innocente par conséquent de l’action à cause de laquelle elle est frappée : en effet, la nature de ce délit est telle que son auteur renonce à sa sujétion, ce qui constitue cette rechute dans l’état de guerre qu’on appelle communément rébellion. Et ceux qui commettent un tel délit ne souffrent pas en qualité de sujets, mais d’ennemis : en effet, la rébellion n’est que la reprise de l’état de guerre.

Les récompenses

Une RÉCOMPENSE est conférée en manière de don, ou en vertu d’un contrat. Dans le second cas, on l’appelle salaire ou rémunération ; c’est alors un avantage dû en échange d’un service accompli ou promis. Dans le premier cas, c’est un avantage qui procède de la faveur de ceux qui le confèrent afin d’encourager les gens à leur rendre service, ou pour leur en donner les moyens. C’est pourquoi, lorsque le souverain d’une République attache un salaire à une charge publique, celui qui le perçoit est tenu en justice de s’acquitter de cette charge ; dans l’hypothèse inverse, il a seulement une dette d’honneur : celle de reconnaître la faveur reçue et de s’efforcer de la payer de retour. En effet, bien qu’on n’ait aucun recours légal quand on reçoit l’ordre d’abandonner ses affaires privées pour servir la République sans recevoir en échange nulle récompense ou salaire, on n’y est cependant pas tenu par la loi de nature ou en vertu de l’institution de la République, à moins que ce service ne puisse pas être accompli dans d’autres conditions : le souverain, en effet, est réputé pouvoir user de toutes les ressources des sujets, de telle sorte que le soldat du rang le plus bas puisse réclamer comme son dû la solde corres pondant à ses campagnes.

Les avantages qu’un souverain confère à un sujet par peur de son pouvoir et de sa capacité de nuire à la République ne sont pas proprement des récompenses. En effet, ce n’est pas un salaire, parce qu’en l’espèce aucun contrat ne peut être censé avoir eu lieu, tout homme étant déjà obligé de ne pas desservir la République. Et ce ne sont pas non plus des faveurs, parce que ces avantages ont été extorqués par la peur, chose à laquelle le pouvoir souverain ne doit pas être exposé. Ce sont plutôt des sacrifices que le souverain, considéré dans sa personne naturelle, et non dans celle de la République, fait pour apaiser le mécontentement d’un homme qu’il juge plus puissant que lui. Du reste, ces avantages n’encouragent pas à l’obéissance, mais plutôt à poursuivre ces extorsions et à les accroître à l’avenir.

Certains salaires sont réguliers et procèdent du trésor public, d’autres ne le sont pas : ils sont casuels, et procèdent de l’activité correspondant à la charge pour laquelle ce salaire a été prévu. Cette deuxième solution est parfois nuisible à la République . il en est ainsi pour ce qui touche à l’administration de la justice. En effet, lorsque les juges et les autres ministres des cours de justice tirent avantage du grand nombre des causes portées à leur connaissance, deux inconvénients s’ensuivent nécessairement : le premier, c’est qu’ils favorisent l’éclosion de procès, puisque, plus les procès seront nombreux, plus grand sera leur avantage. Le second, qui découle du premier, consiste dans les conflits de juridiction, chaque tribunal attirant vers lui autant de causes qu’il le peut. Mais dans les charges d’exécution, ces inconvénients n’existent pas, car ici les gens ne peuvent pas accroître leurs responsabilités par leur propre effort. En voilà assez pour ce qui touche à la nature du châtiment et de la récompense, qui sont pour ainsi dire les nerfs et les tendons qui meuvent les membres et les articulations de la République.

Jusqu’ici, j’ai montré la nature de l’homme, que son orgueil et ses autres passions ont contraint de se soumettre à un gouvernement, ainsi que le grand pouvoir de celui qui le gouverne, que j’ai comparé à Léviathan, tirant cette comparaison des deux derniers versets du 41ème chapitre du livre de Job : en cet endroit, Dieu, après avoir montré le grand pouvoir de Léviathan, l’appelle le roi des orgueilleux  : il n’y a rien sur terre, dit-il, qui puisse lui être comparé. Il est fait de telle sorte que rien ne peut l’effrayer. Toute chose élevée, il la voit au-dessous de lui. Il est le roi de tous les enfants de l’orgueil. Mais parce qu’il est mortel, et exposé, comme toutes les autres créatures terrestres, â la décrépitude ; et parce qu’existe, non, certes, sur terre, mais dans les cieux, ce qu’il doit redouter, et dont il doit respecter les lois, je parlerai, dans les chapitres qui viennent, de ses maladies, de ce qui le rend mortel, et des lois de nature auxquelles il est tenu d’obéir.

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