L’homme n’est pas né avec une disposition naturelle à la société
« L’homme n’est pas né avec une disposition naturelle à la société (...). Il est vrai que selon la nature ce serait une chose fâcheuse à l’homme, en tant qu’homme, c’est-à-dire, dès qu’il est né, de vivre dans une perpétuelle solitude. Car, et les enfants pour vivre, et les plus avancés en âge pour mieux vivre ont besoin de l’assistance des autres hommes. De sorte que je ne nie pas que la nature ne nous contraigne à désirer la compagnie de nos semblables. Mais les sociétés civiles ne sont pas de simples assemblées, où il n’y ait qu’un concours de plusieurs animaux de même espèce : elles sont outre cela des alliances et des ligues soutenues par des articles qu’on a dressées et cimentées par une fidélité qu’on s’est promise. La force de ces pactes est ignorée des enfants et des idiots ; et leur utilité n’est pas connue de ceux qui n’ont point éprouvé les incommodités que le défaut de société entraîne. D’où vient que ni ceux-là ne peuvent point contracter de société, parce qu’ils ne savent ce que c’est ; ni ceux-ci ne se soucient point de la contracter, parce qu’ils en ignorent les avantages. Et de là il appert que, puisque les hommes sont enfants lorsqu’ils naissent ; ils ne peuvent pas être nés capables de société civile ; et que plusieurs (ou peut-être la plupart) par maladie d’esprit, ou par faute de discipline, en demeurent incapables toute leur vie. Cependant les uns et les autres, les enfants et les adultes, ne laissent pas de participer à la nature humaine. Ce n’est donc pas la nature, mais la discipline qui rend l’homme propre à la société. »