La naissance n’est pas un acte qui soit le fait de celui qui est né.

Or comme la naissance n’est pas un acte qui soit le fait de celui qui est né et que, par suite, elle ne peut entraîner aucune inégalité de l’état juridique, ni aucune soumission à des lois de contrainte, hormis celle qui lui est commune avec tous les autres en tant que sujet de l’unique pouvoir législatif suprême, il ne peut y avoir aucun privilège inné d’un membre de la république, en tant que co-sujet, sur un autre et nul ne peut transmettre le privilège du rang dont il jouit dans la république à ses descendants ; par suite il ne peut non plus, comme si sa naissance le qualifiait pour la condition seigneuriale, empêcher les autres par contrainte de parvenir par leur propre mérite aux degrés supérieurs de la hiérarchie (du superior et de l’inferior, sans que l’un soit imperans et l’autre subjectus). Il peut transmettre tout le reste en fait de chose (ne concernant pas la personnalité), tout ce qui peut être acquis comme propriété et aussi être aliéné par lui, et il peut de ce fait produire dans une lignée de descendants une inégalité considérable des moyens de fortune entre les membres d’une république (mercenaire et locataire, propriétaire foncier et ouvriers agricoles, etc.), seulement il ne doit pas faire obstacle à ce que ces gens aient la faculté, si leur talent, leur activité et leur chance le leur permet, de s’élever à des conditions comparables. Car autrement, il lui serait permis de contraindre sans pouvoir à son tour être contraint par la réaction des autres, et de sortir du rang de co-sujet. - De cette égalité aucun homme ne peut non plus déchoir, qui vit dans un état juridique de république, sinon du fait de son propre crime, mais jamais par contrat ou par violence de guerre ( occupatio bellica  ; car il ne peut, par aucun acte juridique (ni le sien ni celui d’un autre) cesser d’être son propre maître et passer dans la classe des animaux domestiques, qu’on emploie à tous usages, comme on veut, et qu’on maintient en cet état sans leur consentement, aussi longtemps qu’on veut, sous réserve qu’on ne les mutile ni ne les mette à mort (clause qui est même parfois sanctionnée par la religion, comme c’est le cas chez les Indiens). On peut admettre qu’en tout état l’homme est heureux pourvu seulement qu’il ait conscience qu’il ne tient qu’à lui-même (à son pouvoir ou à sa volonté expresse), ou à des circonstances dont il ne peut faire grief à autrui et non pas à la volonté irrésistible d’autrui, s’il ne s’élève pas au même rang que d’autres, qui, étant ses co-sujets, n’ont en matière de droit, aucun avantage sur lui [1].


[1Si on veut lier au mot : gracieux un concept déterminé (distinct de bienveillant, bienfaisant , tutélaire etc.) on ne peut l’attribuer qu’à celui à l’égard duquel aucun droit de contrainte n’est possible. Ainsi seul le chef de l’administration de l’État qui produit et répartit tout le bien possible selon des lois publiques (car le Souverain qui les donne est en quelque sorte invisible ; il n’est pas agent, il est la loi-même personnifiée) peut recevoir le titre de : gracieux seigneur en tant qu’il est le seul à l’égard duquel aucun droit de contrainte n’est possible. C’est ainsi que dans une aristocratie, par exemple à Venise, le Sénat est le seul gracieux seigneur ; les nobles qui le composent sont, dans leur ensemble, sans en excepter le Doge (car seul le Grand Conseil est le Souverain), des sujets, et en ce qui concerne l’exercice du droit, égaux à tous les autres en ce sens qu’un droit de contrainte à l’égard de chacun d’eux est dévolu au sujet. Les princes, c’est-à-dire les personnes auxquelles revient un droit successoral au gouvernement, sont aussi, il est vrai, de ce point de vue et en raison de ces prétentions (par courtoisie), appelés gracieux seigneurs ; mais quant à l’état de leurs biens , ils sont pourtant des co-sujets, à l’égard desquels, par le truchement du chef de l’État, le moindre de leurs serviteurs doit disposer d’un droit de contrainte. Il ne peut donc y avoir dans l’État plus d’un seul gracieux seigneur. Quant aux gracieuses dames (proprement : personnes de qualité), elles peuvent être ainsi qualifiées du fait que leur condition ainsi que leur sexe (par suite uniquement par rapport au sexe masculin), leur donne droit à ce titre et cela grâce au raffinement des mœurs (appelé galanterie) qui fait que le sexe masculin estime qu’il s’honore d’autant plus qu’il accorde au beau sexe des avantages sur lui.

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