Kant

Il est de la plus haute importance que les enfants apprennent à travailler.

Dans le travail l’occupation n’est pas en elle-même agréable, mais c’est dans un autre but qu’on l’entreprend. En revanche l’occupation dans un jeu est en elle-même agréable, sans qu’il soit besoin de plus de se proposer un but. Veut-on se promener dès lors la promenade elle-même est le but et la marche nous est d’autant plus agréable qu’elle est plus longue. Mais si nous voulons aller quelque part la société qui se trouve en cet endroit ou tout autre chose est le but de notre marche et nous choisissons volontiers le plus court chemin. Il en va de même du jeu de cartes. Il est vraiment singulier de voir comment des hommes raisonnables sont capables de rester assis et de tailler les cartes souvent pendant des heures. D’où l’on voit que les hommes ne cessent pas si facilement d’être des enfants. En quoi, en effet, ce jeu est-il supérieur au jeu de balle des enfants ?. Sans doute des adultes ne chevauchent pas sur un bâton, mais ils chevauchent bien cependant d’autres dadas.

Il est de la plus haute importance que les enfants apprennent à travailler. L’homme est le seul animal qui doit travailler. Il lui faut d’abord beaucoup de préparation pour en venir à jouir de ce qui est supposé par sa conservation. La question de savoir si le Ciel n’aurait pas pris soin de nous avec plus de bienveillance, en nous offrant toutes les choses déjà préparées, de telle sorte que nous ne serions pas obligés de travailler, doit assurément recevoir une réponse négative : l’homme en effet, a besoin d’occupations et mêmes de celles qui impliquent une certaine contrainte. Il est tout aussi faux de s’imaginer que si Adam et Ève étaient demeurés au Paradis, ils n’auraient rien fait d’autre que d’être assis ensemble, chanter des chants pastoraux, et contempler la beauté de la nature. L’ennui les eût torturés tous aussi bien que d’autres hommes dans une situation semblable.

L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli par le but qu’il a devant les yeux, si bien qu’il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail. Ainsi l’enfant doit être habitué à travailler. Et où donc le penchant au travail doit-il être cultivé, si ce n’est à l’école ? L’école est une culture par contrainte. Il est extrêmement mauvais d’habituer l’enfant à tout regarder comme un jeu. Il doit avoir du temps pour ses récréations, mais il doit aussi y avoir pour lui un temps où il travaille. Et si l’enfant ne voit pas d’abord à quoi sert cette contrainte, il s’avisera plus tard de sa grande utilité. Vouloir toujours répondre aux questions de l’enfant : Pourquoi ceci ? - A quoi bon cela ?, serait d’une manière générale laisser sa curiosité prendre un mauvais pli. L’éducation doit comprendre la contrainte, mais elle ne doit pas pour autant devenir un esclavage.

E. KANT, Réflexions sur l’éducation, Vrin, 1966, p.110-111.