On a de l’herbe dans la tête, et pas un arbre.
Les Anglais, les Américains n’ont pas la même manière de recommencer que les Français. Le recommencement français, c’est la table rase, la recherche d’une première certitude comme d’un point d’origine, toujours le point ferme. L’autre manière de recommencer, au contraire, c’est reprendre la ligne interrompue, ajouter un segment à la ligne brisée, la faire passer entre deux rochers, dans un étroit défilé, ou par-dessus le vide, là où elle s’était arrêtée. Ce n’est jamais le début ni la fin qui sont intéressants, le début et la fin sont des points. L’intéressant, c’est le milieu. Le zéro anglais est toujours au milieu. Les étranglements sont toujours au milieu. On est au milieu d’une ligne, et c’est la situation la plus inconfortable. On recommence par le milieu. Les Français pensent trop en termes d’arbre : l’arbre du savoir, les points d’arborescence, l’alpha et l’oméga, les racines et le sommet. C’est le contraire de l’herbe. Non seulement l’herbe pousse au milieu des choses, mais elle pousse elle-même par le milieu. C’est le problème anglais, ou américain. L’herbe a sa ligne de fuite, et pas d’enracinement. On a de l’herbe dans la tête, et pas un arbre : ce que signifie penser, ce qu’est le cerveau, « un certain nervous system », de l’herbe [1].
Voici l’illustration que donne Jacqueline Duhême de ce texte dans son beau livre L’oiseau philosophie, Le Seuil, 1997. Cette image apparaît sur la page d’accueil.