La philosophie sert à attrister

Lorsque quelqu’un demande à quoi sert la philosophie, la réponse doit être agressive, puisque la question se veut ironique et mordante. La philosophie ne sert pas à l’État ni à l’Église, qui ont d’autres soucis. Elle ne sert aucune puissance établie. La philosophie sert à attrister. Une philosophie qui n’attriste personne et ne contrarie personne n’est pas une philosophie. Elle sert à nuire à la bêtise, elle fait de la bêtise quelque chose de honteux [1]. Elle n’a pas d’autre usage que celui-ci : dénoncer la bassesse de la pensée sous toutes ses formes. Y a-t-il une discipline, hors la philosophie, qui se propose la critique de toutes les mystifications, quels qu’en soient la source et le but ? Dénoncer toutes les fictions sans lesquelles les forces réactives ne l’emporteraient pas. Dénoncer dans la mystification ce mélange de bassesse et de bêtise, qui forme aussi bien l’étonnante complicité des victimes et des auteurs. Faire enfin de la pensée quelque chose d’agressif, d’actif et d’affirmatif. Faire des hommes libres, c’est-à-dire des hommes qui ne confondent pas les fins de la culture avec le profit de l’État, de la morale ou de la religion. Combattre le ressentiment, la mauvaise conscience qui nous tiennent lieu de pensée. Vaincre le négatif et ses faux prestiges. Qui a intérêt à cela, sauf la philosophie ? La philosophie comme critique nous dit le plus positif d’elle-même : entreprise de démystification. Et qu’on ne se hâte pas de proclamer à cet égard l’échec de la philosophie. Si grandes qu’elles soient,la bêtise et la bassesse seraient encore plus grandes, si ne subsistait un peu de philosophie qui les empêche à chaque époque d’aller aussi loin qu’elles voudraient... »

Dans la même rubrique

21 septembre 2011

A chaque société correspond un type de machines

Il est facile de faire correspondre à chaque société des types de machines, non pas que les machines soient déterminantes, mais parce qu’elles expriment les formes sociales capables de leur donner naissance et de s’en servir. Les vieilles (…)

3 décembre 2007

Autrui est l’expression d’un monde possible.

Lisez, de Deleuze : La contradiction de l’amour ; et aussi l’article de Stéphane LLéres, "Autrui et l’image de la pensée chez Gilles Deleuze".
Le premier effet d’autrui, c’est, autour de chaque objet que je perçois ou de chaque idée que je (…)

1er décembre 2007

Morale, ou Ethique ?

« Voilà donc que l’Éthique, c’est-à-dire une typologie des modes d’existence immanents, remplace la Morale, qui rapporte toujours l’existence à des valeurs transcendantes. La morale, c’est le jugement de Dieu, le système du Jugement. Mais (…)

12 septembre 2005

La contradiction de l’amour

Lisez aussi : Autrui est l’expression d’un monde possible..
Devenir amoureux, c’est individualiser quelqu’un par les signes qu’il porte ou qu’il émet. C’est devenir sensible à ces signes, en faire l’apprentissage (...). Il se peut que l’amitié (…)

7 septembre 2004

L’opinion dans son essence est volonté de majorité

Ce que l’opinion propose, c’est un certain rapport entre une perception extérieure comme état d’un sujet et une affection intérieure comme passage d’un état à un autre (exo et endo-référence). Nous dégageons une qualité supposée commune à (…)

3 décembre 2003

Qu’est-ce que l’acte de création ?

Conférence donnée dans le cadre des mardis de la fondation Femis, le 17 Mai 1987. Source : Webdeleuze
Je voudrais, moi aussi, poser des questions. Et en poser à vous, et en poser à moi-même. Ce serait, heu..., ce serait du genre : qu’est-ce (…)

4 octobre 2003

Post-scriptum sur les sociétés de contrôle

voyez : Modèle de contrainte ou modélisation créative ;
et complétez par : Pourquoi obéit-on ?.
Historique
Foucault a situé les sociétés disciplinaires aux XVIIIè et XIXè siècles ; elles atteignent à leur apogée au début du XXè. Elles (…)

16 septembre 2003

Désir, plaisir et manque

En parlant de désir, nous ne pensions pas plus au plaisir et à ses fêtes. Certainement le plaisir est agréable, certainement nous y tendons de toutes nos forces. Mais, sous la forme la plus aimable ou la plus indispensable, il vient plutôt (…)

12 septembre 2003

Désir et plaisir

A
Une des thèses essentielles de S. et P. concernait les dispositifs de pouvoir. Elle me semblait essentielle à trois égards :
1/ en elle-même et par rapport au « gauchisme » : profonde nouveauté politique de cette conception du pouvoir, par (…)

15 août 2003

Différence entre fascisme et totalitarisme

J’ai essayé de dire plusieurs fois à quel point le fascisme et le totalitarisme n’étaient pas du tout la même chose. Ce que je vais vous dire peut vous paraître un peu mystique : le fascisme est typiquement un processus, ou une ligne de fuite, (…)

12 août 2003

On a de l’herbe dans la tête, et pas un arbre.

Les Anglais, les Américains n’ont pas la même manière de recommencer que les Français. Le recommencement français, c’est la table rase, la recherche d’une première certitude comme d’un point d’origine, toujours le point ferme. L’autre manière de (…)