Biopolitique productive
Quand on parle de biopolitique, on parle avant tout de la politique de reproduction des sociétés modernes, c’est-à-dire de l’attention que l’État moderne porte à la reproduction des ensembles démographiques actifs. La biopolitique est donc cette perspective à l’intérieur de laquelle les aspects politico-administratifs s’ajoutent aux dimensions démographiques, afin que le gouvernement des villes et des nations puisse être saisi de manière unitaire en réunissant tout à la fois les développements « naturels » de la vie et de sa reproduction, et les structures administratives qui la disciplinent (l’éducation, l’assistance, la santé, les transports, etc.). À l’époque moderne, dans la première phase du développement capitaliste, et au moment où se définissait l’État-Nation, la biopolitique devient cette forme de gouvernement total. Il ne s’agit là que d’une première définition, mais elle est très importante, dans la mesure où elle se débarrasse de la pure figure de l’État juridique (selon la théorie politique moderne) conçu comme sujet exclusif de l’histoire. Au contraire, elle le montre d’entrée de jeu comme étant complètement inséré dans la société, occupé aux aléas de la reproduction. Une fois qu’on s’est donc donné cette définition, il faut cependant avancer encore et se demander ce que signifie biopolitique quand on entre dans le post-moderne, c’est-à-dire dans cette phase du développement capitaliste où triomphe la subordination réelle de la société tout entière sous le capital. À ce moment là, quand l’articulation de la société et celle de l’organisation productive du capital tendent à s’identifier, le biopolitique change de visage : il devient biopolitique productif. Ce qui signifie que le rapport entre les ensembles démographiques actifs (l’éducation, l’assistance, la santé, les transports, etc.) et les structures administratives qui les parcourent est l’expression directe d’une puissance productive. La production biopolitique naît de la connexion des éléments vitaux de la société, de l’environnement ou de l’ Umwelt dans lesquels ils sont insérés, et considère non pas que l’État est le sujet de cette connexion, mais au contraire que l’ensemble des forces productives, des individus, des,groupes devient productif au fur et à mesure que les sujets sociaux se réapproprient l’ensemble. Dans ce cadre, la production sociale est complètement articulée à travers la production de subjectivité.
Dans Foucault, le concept de biopolitique est un concept fondamentalement statique et une catégorie fondamentalement historique. La production de subjectivité que le biopolitique moderne déterminait était une production de subjectivité encore, dans ce cas, presque toujours neutralisée. L’énorme effort foucaldien pour rapporter les filières du biopolitique à la détermination de la subjectivité ne s’est jamais conclu.
Voilà ! Le grand passage que nous sommes en train d’effectuer en entrant dans le post-moderne, et qui consiste à considérer le biopolitique productif comme quelque chose dans lequel la symbiose et la confusion entre les éléments vitaux et économiques, les éléments institutionnels et administratifs, la construction du public, peut être conçue seulement comme production de subjectivité. Nous sommes pratiquement en train de retourner les choses par rapport à la théorie post-moderne. Lorsque tu prends les producteurs du concept de post-moderne, les Lyotard, Baudrillard, etc., tu comprends qu’ils ont pris le cadre biopolitique et l’ont vidé de toutes ses dimensions productives, et quand je dis productive, je veux dire activité subjective de production. Ils l’ont vidé et ils ont obtenu cet horizon lisse sur lequel tout circule en termes complètement insensés, si ce n’est le fait qu’un ordre transcende l’insanité des mouvements sociaux et de la vie sociale. Nous avons fait la tentative pour retourner vraiment les choses : prendre ce processus du point de vue de la dynamique subjective qui le détermine et de la possibilité qu’a chacune de ces dynamiques subjectives données d’interrompre le cadre, d’interrompre la synthèse.
Nous avons transformé ce qui était un horizon lisse en un horizon fractal et de ce point de vue nous avons repris complètement le discours deleuzo-guattarien de Mille plateaux, parce que c’est précisément là que la possibilité de la révolution de nouveau s’installe.