L’entrepreneur biopolitique

24 mai 2004

Ici encore, et comme toujours, on parle à l’intérieur d’une sphère dont tous les concepts doivent être renversés pour devenir des termes directs. Il faudrait vraiment réussir à inventer un langage différent, même lorsqu’on parle de démocratie ou d’administration. Qu’est-ce que c’est que la démocratie du biopolitique ? Bien évidemment, ce n’est plus la démocratie formelle mais la démocratie absolue, spinozienne, immanente à la multitude qui considère toute transcendance du pouvoir comme domination. Jusqu’à quel point un concept comme celui de biopolitique est-il définissable en termes de démocratie ? Il n’est, en tout cas, pas définissable en termes de démocratie constitutionnelle classique. Et c’est la même chose quand on parle d’entrepreneur. Et a fortiori quand on parle d’entrepreneur politique - mieux, d’entrepreneur « biopolitique » -, c’est-à-dire de quelqu’un qui réussit à articuler point par point les capacités productives d’un contexte social. Que dire de cette figure ? Cet entrepreneur collectif doit-il avoir une récompense ? Il ne serait pas scandaleux de penser que oui, à condition qu’on l’évalue à l’intérieur du processus biopolitique. Je crois qu’on se trouve là à l’opposé de toutes les théories capitalistes de l’entrepreneur parasite. Ici, il s’agit d’un entrepreneur ontologique, d’un entrepreneur du plein qui veille essentiellement à construire un tissu productif. On a toute une série d’exemples à disposition, qui ont tous été, chacun à leur manière, très positifs. On ne les trouve probablement que dans certaines expériences de communautés, de collectivités rouges - des coopératives, fondamentalement -, ou encore dans certaines expériences de communautés blanches, solidaristes : c’est dans ces cas-là qu’on a eu des exemples d’entrepreneuriat collectif. Comme d’habitude, il faudrait aujourd’hui commencer à parler non seulement de l’entrepreneur politique mais aussi de l’entrepreneur biopolitique, c’est-à-dire d’un sujet qui organise l’ensemble des conditions de reproduction de la vie et de la société, et pas seulement l’« économie ». Il faudrait distinguer entre l’entrepreneur biopolitique inflationniste et l’entrepreneur déflationniste ; entre un entrepreneur biopolitique qui détermine, dans la communauté qu’il organise, des désirs et des besoins toujours plus grands et toujours nouveaux, et l’entrepreneur qui réprime, qui « rediscipline » sur le terrain biopolitique les forces qui sont en jeu. Je suppose qu’un entrepreneur du Sentier, pour parler de recherches que nous avons menées en France, est l’exemple d’un entrepreneur biopolitique qui agit souvent à la déflation. C’est la même chose pour Benetton. Je crois vraiment que le concept d’entrepreneur, en tant que figure du militant à l’intérieur de la structure biopolitique - un militant porteur de richesse et d’égalité -, est un concept qu’il faut commencer à formuler. S’il existe une cinquième, une sixième ou une septième Internationale, son militant sera sur ce modèle. Il sera tout à la fois, d’un point de vue biopolitique, entrepreneur de subjectivité et entrepreneur d’égalité.

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