Le devenir-femme du travail
Autour de ce concept de « devenir-femme du travail » se joue l’un des aspects les plus centraux de la révolution que l’on est en train de vivre. En réalité, il n’est plus possible d’imaginer la production des richesses et des savoirs si ce n’est à travers la production de subjectivité, et donc la reproduction générale des processus vitaux. Les femmes sont au centre du problème. C’est précisément parce qu’elles se trouvaient au centre de la production de subjectivité, c’est-à-dire de la vitalité par excellence, qu’elles ont été exclues de la vieille conception de la production. Cela dit, dire « devenir-femme du travail », c’est à la fois dire trop et trop peu. C’est dire trop peu parce que cette transformation ne comprend pas formellement en elle tout ce que le féminisme nous a appris. Mais c’est dire trop, parce que ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la transgressivité générale du travail : une transgressivité qui se joue entre l’homme, la femme et la communauté au sein d’une reproduction générale de la société à laquelle contribuent aussi bien les processus de production de savoir, de richesse, de langage et d’affects.
Si j’essaie d’être critique avec moi-même et que je pense à la distinction classique entre production des marchandises (fondamentalement attribués aux hommes, car même quand il y avait d’autres sujets on parlait toujours d’ouvriers-mâles-blancs-habitants des villes, etc.) et reproduction de la force de travail (exclusivement par les femmes) et à ses conséquences, c’est-à-dire l’exclusion des femmes de la capacité à produire de la valeur - de la valeur économique, s’entend -, et si je pense que nous avons été, nous aussi, à l’intérieur de l’opéraïsme classique, prisonniers de cette mystification, je crois qu’aujourd’hui le devenir-femme du travail est une idée absolument extraordinaire. On est confrontés à un devenir-femme du travail parce que la reproduction, les processus de production et de communication, les investissements affectifs, les investissements qui concernent l’éducation et la reproduction matérielle des cerveaux, sont en train de devenir toujours plus essentiels. Bien entendu, il est évident que les femmes ne seront pas les seules à s’occuper de tout cela : c’est une masculinisation des femmes et une féminisation des hommes qui est à l’oeuvre de manière inéluctable à l’intérieur de ce mécanisme. Cela me semble d’une importance capitale.