Le salaire garanti

24 mai 2004

Il y a des conceptions réductrices du salaire garanti comme celles que nous avons connues en France, par exemple avec le Rmi, qui est une des formes de salarisation de la misère. Ce sont des formes de salarisation de l’exclusion, des nouvelles lois sur les pauvres. À une masse de pauvres, à des gens qui travaillent mais qui ne réussissent pas à s’insérer de manière constante dans le circuit du salaire, on attribue un peu d’argent afin qu’ils puissent se reproduire et qu’ils ne provoquent pas de scandale social. Il existe donc des niveaux minimums de salaire garanti, de subsistance, qui correspondent à la nécessité qu’une société a d’éviter de créer le scandale de la mortalité, le scandale de la « pestilence » puisque l’exclusion peut se transformer en pestilence. Les lois sur les pauvres sont précisément nées face à ce danger, dans l’Angleterre des XVIle et XVIIIè siècles. Il y a donc des formes de salaire garanti de ce type. Mais le problème du salaire garanti est tout autre. Il s’agit de comprendre que la base de la productivité n’est pas l’investissement capitaliste mais l’investissement du cerveau humain socialisé. En d’autres termes : le maximum de liberté et de rupture du rapport disciplinaire à l’usine, le maximum de liberté du travail, devient le fondement absolu de la production de richesse. Le salaire garanti signifie la distribution d’une grande partie du revenu, tout en laissant aux sujets productifs la capacité de dépenser ce revenu pour leur propre reproduction productive. Il devient l’élément fondamental. Le salaire garanti est la condition de reproduction d’une société dans laquelle les hommes, à travers leur liberté, deviennent productifs. Bien évidemment, à ce moment-là, les problèmes de production et d’organisation politique deviennent identiques. Si l’on tient le raisonnement jusqu’au bout, on est amené à unifier l’économie politique et la science de la politique, la science du gouvernement. Seules les formes de la démocratie - une démocratie radicale et absolue, mais je ne sais si le terme de démocratie peut encore être utilisé ici - sont susceptibles d’être les formes qui déterminent la productivité : une démocratie substantielle, réelle, et dans laquelle l’égalité des revenus garantis deviendrait toujours plus grande, toujours plus fondamentale. On pourra toujours débattre par la suite, avec réalisme, des mesures incitatives, mais ce sont des problèmes qui ne nous intéressent pas vraiment. Aujourd’hui, le vrai problème, c’est de renverser le point de vue selon lequel la critique de l’économie politique se développerait elle-même, c’est-à-dire la nécessité de l’investissement capitaliste. Ce n’est pas nouveau, on a discuté pendant des années de la réinvention fondamentale de la coopération productive à travers la vie, qu’elle soit linguistique, affective ou qu’elle appartienne aux sujets. Le salaire garanti, en tant que condition de reproduction de ces sujets dans leur richesse, devient donc aujourd’hui essentiel. Il n’y a plus besoin d’aucun levier de pouvoir, il n’y a plus besoin d’aucun transcendantal, ni d’aucun investissement dont la fonction aujourd’hui n’est pas, comme on dit, « d’anticiper les emplois de demain », mais d’anticiper et commander les divisions à l’intérieur du prolétariat entre chômeurs et actifs, entre assistés et productifs, entre « affiliés » et « désaffliés ». Il s’agit d’une utopie, de ce type d’utopie qui devient une machine de transformation du réel à la seule condition qu’on la mette en action. Une des choses les plus belles aujourd’hui, c’est précisément le fait que cet espace public de liberté et de production commence à se définir, portant vraiment en lui la destruction de ce qui existe comme organisation du pouvoir productif, et donc comme organisation du pouvoir politique.

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