Le devenir-mineur dans "Mille Plateaux" de Gilles Deleuze et Félix Guattari

24 mai 2004

Lorsque Deleuze et Guattari écrivent ce livre, on est au début des années 80. Ils vivent à l’époque 1a crise de l’ouvrier-masse des grandes usines de l’automobile, de la sidérurgie, de la production de masse, avec une très forte capacité d’anticipation. Ils lisent les phénomènes émergents des formes « marginales » du travail en révolte, ce que nous avons appelé dans la moitié des années 70 l’« ouvrier social », ceci pour souligner que la production de la richesse et l’exploitation débordaient l’usine et investissaient la société dans son ensemble, comme un « devenir-minoritaire ». Du point de vue de l’analyse phénoménologique, la caractérisation socio-politique de Mille Plateaux ne va pas beaucoup plus loin que cela. Je crois cependant que Deleuze et Guattari ont pensé à ces genèses, à cette généalogie de la multitude, dans des termes qu’il est difficile de retrouver aujourd’hui. Ils ont contribué, à travers cette fine analyse de la constitution des minorités, à construire un nouveau concept de majorité qui en change le sens, parce que c’est désormais un ensemble pluriel de capacités productives, de capacités de coopération, de désirs. Ce qu’ils montrent, c’est un moment de résistance, un moment de transition qui me semble d’une importance extrême. Et c’est précisément dans ces pages qu’ils citent les « opéraïstes italiens » et leurs travaux sur les nouvelles subjectivités productives qui débordent le travail salarié classique, comme la référence pratique de leur propre expérience. Je crois que le raisonnement de Gilles et Félix va dans ce sens. Si l’on prend le dernier travail de Deleuze, La Grandeur de Marx, on y trouve d’ailleurs une idée formidable : parce qu’il est question de traduire une prise de position épistémologique comme celle que représente la définition du « nom commun » (un ensemble de perceptions qui constituent un concept) en construction linguistique d’une communauté épistémologique. Il s’agit donc de la traduction de ce processus de production du « nom commun » en un processus ontologique. Le communisme, c’est la multitude qui devient commune. Ce qui ne signifie pourtant pas qu’il y ait un présupposé, une idée, quelque chose de métaphysiquement caché, ou qu’il y ait une unité : c’est le commun qui s’oppose à l’un, c’est un anti-platonisme poussé à l’extrême. C’est le retournement même de l’idée de communisme telle qu’elle avait été anticipée dans le développement de la pensée, et selon laquelle l’utopie constituait nécessairement l’unité, résolvait le problème de l’unité et de la souveraineté du pouvoir. Ici, c’est la multitude qui constitue le commun. C’est cela, si j’ai bien compris, le concept de communisme qui était construit dans le livre inachevé de Deleuze, La Grandeur de Marx.

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