Des trois métamorphoses

7 juillet 2004

C’est trois métamorphoses de l’esprit que je vous nomme : comment l’esprit devient chameau, et lion le chameau et, pour finir, enfant le lion.

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Pesantes sont bien des choses pour l’esprit, pour le robuste esprit, dont les reins sont solides, et qu’habite le respect ; c’est du pesant et c’est du plus pesant que se languit sa robustesse.

Quelle chose est pesante ? ainsi questionne l’esprit aux reins solides ; de la sorte il s’agenouille comme fait le chameau, et veut sa bonne charge.

Quelle est la plus pesante chose, ô vous les héros, ainsi questionne l’esprit aux reins solides, afin que sur moi je la prenne et de ma robustesse m’éjouisse ?

N’est-ce ceci : soi-même s’abaisser pour faire mal à son orgueil ? Pour moquer sa sagesse faire briller sa folie ?

Ou ceci : de sa cause se séparer lorsqu’elle célèbre sa victoire ? De hautes cimes gravir pour tenter même le tentateur ?

Ou ceci : de glands et d’herbes de connaissance faire sa nourriture et, par amour de la vérité, en son âme souffrir la faim ?

Ou ceci : être malade et chez eux renvoyer les consolateurs, avec des sourds nouer amitié, lesquels jamais n’entendent ce que tu veux ?

Ou ceci : dans une eau sale descendre, si c’est l’eau de la vérité, et froides grenouilles et crapauds brûlants de soi point n’écarter ?

Ou ceci : aimer nos contempteurs et au spectre tendre la main lorsqu’il nous veut effrayer ?

Tout cela, qui est le plus pesant, sur lui le prend l’esprit aux reins solides ; de même que le chameau, sitôt chargé, vers le désert se presse, ainsi se presse l’esprit vers son désert.

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Mais dans le désert le plus isolé advient la deuxième métamorphose : c’est lion ici que devient l’esprit. De liberté il se veut faire butin et dans son propre désert être son maître.

Son dernier maître il cherche là ; de lui se veut faire ennemi, et de son dernier dieu ; pour être le vainqueur, avec le grand dragon il veut lutter.

Quel. est le grand dragon que l’esprit ne veut plus nommer maître ni dieu ? " Tu-dois ", ainsi se nomme le grand dragon. Mais c’est " Je veux " que dit l’esprit du lion.

" Tu-dois . " lui barre le chemin, étincelant d’or, bête écailleuse, et sur chacune des écailles, en lettres d’or, brille " Tu-dois ! ".

De millénaires valeurs scintillent ces écailles, et ainsi parle le plus puissant de tous les dragons : « toute valeur des choses - étincelle sur moi ».

« Déjà fut toute valeur créée, et toute valeur créée - voilà ce que je suis. En vérité, de " Je veux " il ne doit point y avoir ! » Ainsi parle le dragon.

Mes frères, pourquoi est-il besoin du lion dans l’esprit ? Ne suffit donc la bête aux reins solides, qui se résigne et qui respecte ?

Créer des valeurs neuves - le lion lui-même encore ne le peut, mais se créer liberté pour de nouveau créer, - voilà ce que peut la force du lion.

Se créer liberté, et un saint Non même face au devoir ; pour cela, mes frères, il est besoin du lion.

A de nouvelles valeurs se donner droit - telle est la prise la plus terrible pour un esprit docile et respectueux. En vérité c’est là pour lui un rapt et l’affaire d’une bête de proie.

Comme son plus sacré jadis il aimait le " Tu-dois " ; encore même dans le plus sacré il ne peut trouver à présent que délire et arbitraire s’il doit à son amour ravir sa liberté : du lion il est besoin pour un tel rapt.

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Mais dites, mes frères, que peut encore l’enfant que ne pourrait aussi le lion ? Pourquoi faut-il que le lion ravisseur encore se fasse enfant ?

Innocence est l’enfant, et un oubli et un recommencement, un jeu, une roue qui d’elle-même tourne, un mouvement premier, un saint dire Oui.

Oui, pour le jeu de la création, mes frères, il est besoin d’un saint dire Oui ; c’est son vouloir que veut à présent l’esprit, c’est son monde que conquiert qui au monde est perdu.

*

C’est trois métamorphoses de l’esprit que je vous ai nommées : comment l’esprit devient chameau, et lion le chameau et, pour finir, enfant le lion. - -

Ainsi parlait Zarathoustra. Et lors il séjournait dans la ville qu’on nomme « La Vache pie »

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