Être c’est être perçu
§ 2. Outre cette infinie variété d’idées ou objets de connaissance, il y a une sorte de quelque chose qui les connaît et les perçoit ; et qui effectue sur elles diverses opérations, telles que vouloir, imaginer, se souvenir. Cet être percevant et actif, je le nomme intelligence, esprit, âme ou moi. Par ces mots, je désigne non l’une de mes idées ; mais une chose qui en est complètement différente ; c’est en elle qu’existent les idées, ou, ce qui revient au même, c’est elle qui les perçoit ; car l’existence d’une idée, c’est d’être perçue.
§ 3. Nos pensées, nos sentiments, les idées forgées par notre imagination n’existent pas hors de l’intelligence, chacun l’accordera. Il me semble non moins évident que les sensations variées ou idées imprimées dans les sens, quel que soit leur mélange ou leur combinaison (c’est-à-dire, quelques objets qu’elles composent) ne peuvent exister autrement que dans une intelligence qui les perçoit. On peut, je pense, obtenir de ce fait une connaissance intuitive, si l’on porte attention au sens du mot exister quand on l’applique aux choses sensibles. La table sur laquelle j’écris, je dis qu’elle existe ; c’est-à-dire, je la vois et je la touche : si j’étais sorti de mon bureau, je dirais quelle existe ; j’entendrais par ces mots que si j’étais dans mon bureau, je la percevrais ou qu’un autre esprit la perçoit actuellement. Il y avait une odeur, c’est-à-dire on odorait ; il y avait un son, c’est-à-dire on entendait ; une couleur ou une forme, on percevait par la vue ou le toucher. C’est tout ce que je peux entendre par ces expressions et les expressions analogues. Car ce que l’on dit de l’existence absolue de choses non pensantes, sans rapport à une perception qu’on en prendrait, c’est pour moi complètement inintelligible. Leur existence c’est d’être perçues ; il est impossible qu’elles aient une existence hors des intelligences ou choses pensantes qui les perçoivent [1].