Je ne comprends pas bien lorsque tu dis : pessimisme de la volonté ou optimisme de la raison. Je ne l’interprète pas, ce renversement de la formule gramscienne, de la même manière que toi. Pour moi, l’optimisme de la raison est une conception spinozienne de l’être comme éternité. Sur ce point, je crois que Félix Guattari était complètement d’accord. Et quand je pense au pessimisme de la volonté, je pense au fait que la construction des luttes, des organisations, et même celle des livres et des raisonnements, passe toujours à travers des obstacles qui peuvent être surmontés : aussi bien des limites, des objets liés à la finitude et à l’achèvement, que des obstacles au sens propre, c’est-à-dire des choses surmontables. La quantité ontologique d’être, la détermination du possible, devient alors fondamentale. Dans la mort de Félix, il y a quelque chose qui correspond à toutes les conversations que nous avons eu ensemble : j’étais très polémique avec lui, c’était une exaspération due à l’impossibilité de surmonter l’achèvement, la finitude, la limite. Félix Guattari faisait face à une crise dont l’origine se trouvait - comme toujours - dans son travail d’analyse psychopathologique, parce qu’il se raccrochait à la promesse folle de guérir la femme qu’il avait épousée. En même temps, il gardait face à tout cela cet optimisme de la raison totale qui était le sien. C’est comme cela qu’il s’est écroulé : je l’ai vu pleurer - il m’est arrivé à moi aussi de pleurer - en disant qu’il n’y arrivait plus et que cette finitude, cette détermination négative étaient insurmontables. C’était un défi qu’il s’était lancé, et il s’écroulait. Pourtant, Félix est éternel. Je crois que c’est l’une des personnes qui avait le plus de présence, de joie, et de facilité à récupérer les esprits vitaux que l’on trouve dans les métropoles, le plus de capacité aussi à jouir des choses vitales que ses amis lui communiquaient : l’une des plus belles personnes que j’ai jamais connues. Et puis il y a eu ce moment de désespoir, il s’est fait prendre par la mort. C’est une contradiction entre ces deux choses dont nous parlions, l’optimisme de la raison et le pessimisme de la volonté.