Tchouang-Tseu

La jetée de la Hao

Lors d’une excursion, Houei Cheu et son ami Tchouang Tcheou s’étaient retrouvés sur la jetée qui surplombait la rivère Hao. Tchouang s’était exclamé :

- Les poissons ! Vois comme ils s’ébattent librement, comme ils doivent être heureux !
- Comment sais-tu qu’ils sont heureux ? Tu n’es pas un poisson ! avait ergoté le rhéteur.
- Tu n’es pas moi, comment sais-tu que je ne puis savoir si les poissons sont heureux ?
Houei avait cru avoir le dessus par cette réponse :
- Si n’étant pas toi, je ne puis savoir ce que tu sais, n’étant pas un poisson tu ne peux savoir si les poissons connaissent la joie.
- Il a bien fallu que tu saches que je sais pour me poser la question, avait répondu Tchouang.
Et avec un geste ample de la main, il avait conclu :
- Je le sais parce que je me trouve là , sur la jetée de la Hao.

Les œuvres de maître Tchouang, chap. XVII, trad. Jean Lévi, Éditions de l’encyclopédie des nuisances, pp. 142-142