La loi du Talion

2 décembre 2012

Ah ! la loi du talion. Que de pieuses colères soulèves-tu dans un monde où ne règnent par ailleurs que douceur et amour !« Si quelqu’un fait périr une créature humaine, il sera mis à mort. S’il fait périr un animal, il le paiera corps pour corps. Et si quelqu’un fait une blessure à son prochain, comme il a agi lui-même, on agira à son égard : fracture pour fracture, oeil pour oeil, dent pour dent ; selon la lésion qu’il aura faite à autrui, ainsi lui sera-t-il fait. Qui tue un animal doit le payer et qui tue un homme doit mourir. Même législation vous régira, étrangers comme nationaux ; car je suis l’Éternel, votre Dieu à tous. »Sévères paroles ! Combien éloignées de celles qui magnifient la non-résistance au mal. Vous y avez sans doute pensé à cette autre page des Écritures : le juste « qui présente sa joue à celui qui frappe et qui se rassasie d’humiliations » (...). Fracture pour fracture ! Sévères paroles mais nobles d’exigence. Dans leur rigueur, elles commandent de très haut. Admirons-en la fin, du moins, qui énonce l’unité du genre humain. Ce message d’universalisme n’a pas attendu pour retentir dans l’espace que l’industrie à l’échelle mondiale nous révèle ou nous impose la solidarité humaine(...). Comment supposer, dès lors, qu’une pensée qui, à l’époque des tribus et des clans, s’éleva à la vision de l’humanité, ait pu en rester à la loi du maquis ? Je voudrais vous montrer la sagesse qui s’exprime dans ces mots mystérieux et le drame auquel elle répond.Car il existe un drame de la justice qui s’humanise.Dent pour dent, oeil pour oeil - ce n’est pas le principe d’une méthode de terreur ; ce n’est pas un froid réalisme qui pense à l’action efficace et méprise les effusions sentimentales réservant la morale aux enfants de patronages ; ce n’est pas davantage l’exaltation d’une vie surhumaine et héroïque dont il faudrait bannir le coeur et la pitié ; ce n’est pas une façon de se complaire dans la vengeance et la cruauté où baignerait une existence virile (...). Le principe d’apparence si cruel que la Bible énonce ici ne recherche que la justice. Il s’insère dans un ordre social où aucune sanction, si légère soit-elle, ne s’inflige en dehors d’une sentence juridique (...). Dent pour dent - est une peine d’argent, une amende. Le passage relatif aux dommages matériels que la Bible exige pour la perte du bétail ne voisine pas pour rien avec le précepte du talion (...). La violence appelle la violence. Mais il faut arrêter cette réaction en chaîne. La justice est ainsi. Telle est du moins sa mission une fois que le mal est commis. L’humanité naît dans l’homme à mesure qu’il sait réduire les offenses mortelles à des litiges d’ordre civil, à mesure que punir se ramène à réparer ce qui est réparable et à rééduquer le méchant. Il ne faut pas à l’homme une justice sans passion seulement. Il nous faut une justice sans bourreau.Mais ici le drame se corse. Horreur du sang, justice de paix et de douceur, la nécessaire, dès maintenant l’unique possible - préserve-t-elle l’homme qu’elle veut sauver ? Car c’est une large voie ouverte aux riches ! Ils peuvent payer sans peine les dents cassées, les yeux crevés, les jambes brisées de tout leur entourage. L’outrage et la blessure ont désormais un prix marchand, un goût d’argent. Et cette contradiction ne tient pas seulement à la loi qui substitue l’amende à la souffrance. Car tout ce qu’on paie le coeur léger, le corps intact en pleine santé, revient à une amende. Et la blessure d’argent n’est pas mortelle. Le monde reste confortable pour les forts. Pourvu qu’ils aient les nerfs solides. L’évolution de la justice ne peut aller vers ce refus de toute justice, vers ce mépris de l’homme qu’elle veut faire respecter. Il faut, en modifiant la lettre de nos codes, sauver l’esprit(...). Si l’argent ou les excuses pouvaient tout réparer et nous laisser une conscience tranquille, le mouvement irait à contresens. Oui, oeil pour oeil. Et toute l’éternité, et tout l’argent du monde ne peuvent guérir l’outrage qu’on fait à l’homme. Blessure qui saigne pour tous les temps, comme s’il fallait la même souffrance pour arrêter cette éternelle hémorragie.