La vie heureuse s’établit sur un jugement droit et sûr.
Vous voyez à quel misérable esclavage sera réduit l’homme que domineront tour à tour les plaisirs et les douleurs, ces maîtres les plus capricieux et les plus absolus. Il faut donc s’élancer vers la liberté ; on ne la trouve que dans l’indifférence pour la fortune. Alors naîtra cet inestimable bien, le calme de l’esprit placé dans un asile sûr et sa haute élévation. Quand les terreurs seront bannies, la connaissance du vrai procurera une satisfaction grande et stable, la bienveillance et l’épanouissement de l’âme, jouissances qui pour le sage ne seront pas des biens, mais des produits de son bien.
(...) Je puis ajouter que l’homme heureux est celui qui, grâce à la raison, ne désire et ne craint rien. Les pierres et les bêtes sont à l’abri de la crainte et de la tristesse ; ce n’est pas néanmoins un motif pour appeler heureux des êtres qui n’ont pas l’intelligence du bonheur. Dites-en autant des hommes qui ont ravalé au rang de bêtes et de brutes une nature dégradée et l’ignorance de soi-même. Point de différence entre les premiers et ces dernières. Celles-ci n’ont pas de raison, tandis que chez ceux-là elle est dépravée, ingénieuse à leur nuire et à les jeter dans l’erreur. Nul ne saurait être appelé heureux s’il est jeté hors de la vérité. La vie heureuse est donc celle qui s’établit sur un jugement droit et sûr, celle qui est immuable. L’esprit est pur et délivré de tout mal quand il a échappé non seulement aux déchirures, mais même aux moindres atteintes ; il se tiendra toujours au point où il s’est arrêté, et défendra son poste contre le courroux et les attaques de la fortune.