N ul n’a besoin d’être courageux pour enseigner.
Tout le monde sait (…) que nul n’a besoin d’être courageux pour enseigner. Au contraire, celui qui enseigne, noue, ou en tout cas espère, ou désire parfois nouer entre lui-même et celui ou ceux qui l’écoutent un lien, lien qui est celui du savoir commun, de l’héritage, de la tradition, lien qui peut être aussi celui de la reconnaissance personnelle ou de l’amitié. En tout cas, dans ce dire-vrai, une filiation s’établit dans l’ordre du savoir (…). Le parrèsiaste [1], au contraire, prend un risque. Il risque la relation qu’il a avec celui auquel il s’adresse. Et en disant la vérité, loin d’établir ce lien positif de savoir commun, d’héritage, de filiation, de reconnaissance, d’amitié, il peut au contraire provoquer sa colère, se brouiller avec l’ennemi, susciter l’hostilité de la part de la cité, amener la vengeance et la punition de la part du roi, si c’est un mauvais souverain et s’il est tyrannique. Et dans ce risque, il peut y aller jusque de sa vie, puisqu’il peut payer de son existence la vérité qu’il a dite. Dans le cas du dire-vrai de la technique, l’enseignement assure au contraire la survie du savoir, alors que la parrêsia, elle, risque la mort de celui qui la pratique. Le dire-vrai du technicien et de professeur unit et lie. Le dire-vrai du parrèsiaste prend les risques de l’hostilité, de la guerre, de la haine et de la mort.