Le désir est inquiétude
L’Inquiétude [1] qu’un homme ressent en lui-même pour l’absence d’une chose qui lui donnerait du plaisir si elle était présente, c’est ce qu’on nomme Désir, qui est plus ou moins grand, selon que cette inquiétude est plus ou moins ardente. Et ici il ne sera peut-être pas inutile de remarquer en passant, que l’inquiétude est le principal, pour ne pas dire le seul aiguillon qui excite l’industrie et l’activité des hommes. Car quelque bien qu’on propose à l’homme, si l’absence de ce bien n’est suivie d’aucun déplaisir, ni d’aucune douleur, et que celui qui en est privé, puisse être content et à son aise sans le posséder, il ne s’avise pas de le désirer, et moins encore de faire des efforts pour en jouir. Il ne sent pour cette espèce de bien qu’une pure velléité, terme qu’on emploie pour signifier le plus bas degré du désir, et ce qui approche le plus de cet état où se trouve l’âme à l’égard d’une chose qui lui est tout à fait indifférente, et qu’elle ne désire en aucune manière, lorsque le déplaisir que cause l’absence d’une chose est si peu considérable, et si mince, pour ainsi dire, qu’il ne porte celui qui en est privé, qu’à former quelques faibles souhaits sans se mettre autrement en peine d’en rechercher la possession. Le désir est encore éteint ou ralenti par l’opinion où l’on est, que le bien souhaité ne peut être obtenu, à proportion que l’inquiétude de l’âme est dissipée, ou diminuée par cette considération particulière. C’est une réflexion qui pourrait porter nos penées plus loin, si c’en était ici le lieu.