EIII - Proposition 56

19 mai 2004




Autant il y a d’espèces d’objets qui nous affectent, autant il faut reconnaître d’espèces de joie, de tristesse et de désir, et en général de toutes les passions qui sont composées de celles-là, comme la fluctuation, par exemple, ou qui en dérivent, comme l’amour, la haine, l’espérance, la crainte, etc.

Démonstration

La joie et la tristesse, et conséquemment toutes les affections qui en sont composées ou qui en dérivent, sont des affections passives (par le Scol. de la Propos. 11). Or, nous éprouvons nécessairement ce genre d’affection (par la Propos. 1) en tant que nous avons des idées inadéquates ; et nous ne les éprouvons qu’en tant que nous avons de telles Idées (par la Propos. 3) ; en d’autres termes (voyez le Scol. 1 de la Propos. 40, partie 2), notre âme ne pâtit qu’en tant qu’elle imagine, ou en tant qu’elle est affectée (voyez la Propos. 17, partie 2, avec son Scol.) d’une passion qui enveloppe la nature de notre corps et celle d’un corps extérieur. Ainsi donc la nature de chacune de nos passions doit nécessairement être expliquée de telle façon qu’elle exprime la nature de l’objet dont nous sommes affectés. Par exemple, la joie qui provient de l’objet A doit exprimer la nature de ce même objet A ; et la joie qui provient de l’objet B, celle de ce même objet B ; et conséquemment ces deux sentiments de joie sont différents de leur nature, parce que les causes dont ils proviennent ont une nature différente. De même, un sentiment de tristesse qui provient d’un certain objet est différent, de sa nature, de la tristesse qui provient d’une autre cause : il faut concevoir qu’il en est de même pour l’amour, la haine, l’espérance, la crainte, la fluctuation, etc., d’où il suit qu’il y a nécessairement autant d’espèces de joie, de tristesse, d’amour, de haine, etc., qu’il y a d’espèces d’objets par lesquels nous sommes affectés.

Or, le désir étant l’essence ou la nature de chaque homme, en tant qu’il est déterminé par telle constitution donnée à agir de telle façon (voir le Scol. de la Propos. 9), il s’ensuit que chaque homme, suivant qu’il est affecté par les causes extérieures de telle ou telle espèce de joie, de tristesse, d’amour, de haine, etc. c’est-à-dire suivant que sa nature est constituée de telle ou telle façon, éprouve nécessairement tel ou tel désir ; et il est nécessaire aussi qu’il y ait entre la nature d’un désir et celle d’un autre désir autant de différence qu’entre les affections où chacun de ces désirs prend son origine. Donc, autant il y a d’espaces de joies, de tristesse, d’amour, etc. ; et conséquemment (par ce qui vient d’être prouvé) autant il y a d’espèces d’objets qui nous affectent, et autant il y a d’espaces de désir. C. Q. F. D.


Dans la même rubrique

29 avril 2004

EIII - Préface

Quand on lit la plupart des philosophes qui ont traité des passions et de la conduite des hommes, on dirait qu’il n’a pas été question pour eux de choses naturelles, réglées par les lois générales de l’univers, mais de choses placées hors du (…)

29 avril 2004

EIII - Définition 1

EIII - Préface
J’appelle cause adéquate celle dont l’effet peut être clairement et distinctement expliqué par elle seule, et cause inadéquate ou partielle celle dont l’effet ne peut par elle seule être conçu.
EIII - Définition 2

29 avril 2004

EIII - Définition 2

EIII - Définition 1.
EIII - Définition 1
Quand quelque chose arrive, en nous ou hors de nous, dont nous sommes la cause adéquate, c’est-à-dire (par la Déf. précéd.) quand quelque chose, en sous ou hors de nous, résulte de notre nature (…)

30 avril 2004

EIII - Définition 3

EIII - Définition 2
J’entends par passions (affectus) ces affections de corps (affectiones) qui augmentent ou diminuent, favorisent ou empêchent sa puissance d’agir, et j’entends aussi en même temps les idées de ces affections.
C’est (…)

30 avril 2004

EIII - Postulat 1

EII - Proposition 13 - (Lemme 5) ; EII - Proposition 13 - (Lemme 7) ; EII - Proposition 13 - (Postulat 1).
EIII - Définition 3
Le Corps humain peut-être affecté de plusieurs modifications par lesquelles sa puissance d’agir est augmentée (…)

30 avril 2004

EIII - Postulat 2

EII - Proposition 13 - (Postulat 5) ; EII - Proposition 17 - scolie.
EIII - Postulat 1
Le corps humain peut souffrir plusieurs changements et retenir néanmoins les impressions ou traces des choses (voir à ce sujet le Post. 5, partie 2), (…)

30 avril 2004

EIII - Proposition 1

EI - Proposition 36.
EII - Proposition 9 ; EII - Proposition 11 - corollaire ; EII - Proposition 40 - scolie 1 ; EII - Proposition 40 - scolie 2.
EIII - Définition 1 ; EIII - Définition 2.
Notre âme fait certaines actions et souffre (…)

1er mai 2004

EIII - Proposition 1 - corollaire

EIII - Proposition 1
Il suit de là que l’âme est sujette à d’autant plus de passions qu’elle a plus d’idées inadéquates ; et au contraire, qu’elle produit d’autant plus d’actions qu’elle a plus d’idées adéquates.
EIII - Proposition 2

1er mai 2004

EIII - Proposition 2

EII - Définition 1 ; EII - Proposition 6 ; EII - Proposition 11.
Ni le corps ne peut déterminer l’âme à la pensée, ni l’âme le corps au mouvement et au repos, ou a quoi que ce puisse être.
Démonstration
Tous les modes de la pensée ont (…)

1er mai 2004

010 - EIII - Proposition 2 - scolie

EII - Proposition 7 - scolie ; EII - Proposition 12 ; EII - Proposition 49.
Cela se conçoit plus clairement encore par ce qui a été dit dans le scolie de la Propos. 7, part. 2, savoir, que l’âme et le corps sont une seule et même chose, qui (…)

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document