EIII - Proposition 52 - scolie

18 mai 2004




Cette affection de l’âme, savoir, la représentation d’une chose singulière, en tant qu’elle est dans l’âme, à l’exclusion de toute autre représentation, se nomme admiration ; quand elle est excitée en nous par un objet que nous redoutons, on la nomme consternation ; parce qu’alors cette affection attache notre âme avec une telle force qu’elle est incapable de penser à d’autres objets, qui cependant pourraient la délivrer du mal qu’elle craint. Quand l’objet de notre admiration c’est la prudence de quelque personne, ou son industrie, ou choses semblables, on donne à ce sentiment le nom de vénération, parce qu’il nous détermine à considérer la personne que nous admirons comme très supérieure à nous. D’autres fois il prend le nom d’horreur, si c’est la colère ou la haine d’un homme qui excite notre admiration. Enfin, quand il nous arrive d’admirer la prudence ou l’industrie d’une personne aimée, l’amour alors s’en augmente (par la Propos. 12) ; et cet amour, accompagné d’admiration ou de vénération, nous l’appelons dévotion. On peut concevoir de la même façon que la haine, l’espérance, la sécurité, et d’autres affections encore, se trouvent unies à l’admiration ; et par conséquent il nous serait aisé de déduire de cette analyse un nombre de passions plus grand qu’il n’y a de mots reçus pour les exprimer, ce qui fait bien voir que les noms des passions ont été formés d’après l’usage vulgaire bien plus que d’après une analyse approfondie.

A l’admiration s’oppose le mépris, dont la cause est pourtant le plus souvent que nous sommes déterminés, quand nous voyons quelqu’un admirer, aimer, craindre un certain objet, ou quand cet objet nous paraît au premier aspect semblable à ceux que nous admirons, que nous aimons, que nous craignons (par la Propos. 15 avec son coroll. et la Propos. 27) , nous sommes, dis-je, déterminés à l’admirer, à l’aimer, à le craindre. Mais s’il arrive que la présence de cet objet ou qu’un examen plus attentif nous force de reconnaître en lui l’absence de tout ce qui pouvait exciter notre admiration, notre amour, notre crainte, l’âme alors se trouve déterminée par la présence même de cet objet à penser beaucoup plus aux qualités qu’il ne possède pas qu’à celles qu’il possède ; tandis qu’elle est accoutumée, à l’aspect d’un objet présent, à remarquer surtout les qualités qui sont en lui. De même que la dévotion provient de l’admiration qu’on a pour un objet aimé, la dérision a sa source dans le mépris d’une personne qu’on hait ou qu’on redoute ; et le dédain naît du mépris de la sottise, comme la vénération naît de l’admiration de la prudence. Enfin l’on peut concevoir l’union de l’amour, de l’espérance, de la gloire et des autres passions avec le mépris, et en déduire une foule de passions nouvelles qui n’ont pas reçu de l’usage des noms particuliers.


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