Assècher la Zuyderzee
« Nous ne pouvons pas rendre justice à la spécificité du psychique par des contours linéaires [1] comme dans le dessin ou dans la peinture primitive, mais plutôt par des champs de couleur qui s’estompent comme chez les peintres modernes. Après avoir séparé, il nous faut à nouveau laisser se fondre ensemble ce que nous avons séparé. Ne jugez pas trop durement un premier essai pour rendre sensible le psychique [2], si difficilement saisissable. Il est très vraisemblable que la forme prise par ces séparations varie grandement selon les personnes, il est possible qu’elles se trouvent elles-mêmes modifiées dans leur fonctionnement et qu’elles soient temporairement remodelées. Ceci semble s’appliquer en particulier à la différenciation qui intervient phylogénétiquement [3] en dernier et qui est la plus épineuse : celle du moi et du surmoi. Il est indubitable qu’une maladie psychique provoquera le même résultat. On peut aussi se représenter sans peine que certaines pratiques mystiques sont capables de renverser les relations normales entre les différentes circonscriptions psychiques, de sorte que, par exemple, la perception peut saisir, dans le moi profond et dans le ça, des rapports qui lui étaient autrement inaccessibles. Pourra-t-on par cette voie se rendre maître des dernières vérités dont on attend le salut ? On peut tranquillement en douter. Nous admettrons toutefois que les efforts thérapeutiques de la psychanalyse se sont choisi un point d’attaque similaire. Leur intention est en effet de fortifier le moi, de le rendre plus indépendant du surmoi, d’élargir son champ de perception et de consolider son organisation de sorte qu’il puisse s’approprier de nouveaux morceaux du ça. Là où était du ça, doit advenir du moi.
Il s’agit d’un travail de civilisation, un peu comme l’assèchement du Zuyderzee [4]. »
Freud, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, 1933, Gallimard, 1984p.109-110.