Lapeyre

Libres opinions sur Pierre-Joseph Proudhon

Lapeyre - Libres opinions sur PJ Proudhon

Mes chers camarades,

Pendant un long temps on ne connaissait de Proudhon que ce que les mouvements avaient apporté dans leurs activités : de l’homme, pas grand chose, et de ses oeuvres écrites, non plus, pas grand chose. Mais depuis quelques années, un certain nombre de sociologues, en se penchant sur le problème du Socialisme, ont rencontré Proudhon.

Depuis déjà un demi-siècle, l’Université ne connaissait du Socialisme que Marx et le Marxisme. Mais quand on a voulu approfondir la question, on s’est aperçu que, en face de Marx, ou à côté pendant un temps, s’était trouvé un homme qui l’avait devancé d’abord, dont il avait été l’élève et l’admirateur, et à qui il devait la plupart de ses oeuvres. Ce jour-là on a rencontré Proudhon.

Et aujourd’hui, dans toutes les bibliothèques, vous rencontrez des études sur Proudhon. Elles ne sont pas introuvables, mais elles sont rares. Mais vous trouvez, de Gurvich par exemple, un certain nombre d’études, de cours qu’il a donnés à la Sorbonne sur Proudhon, et où il a analysé les rapports entre l’œuvre de Proudhon et l’œuvre de Marx, qui sont excessivement riches, des études très sérieuses.

Mais vous trouvez même dans la collection du « Livre de Poche » au moins un ouvrage de textes de Proudhon de quelqu’un qui semble avoir passé toute sa vie à étudier, à analyser l’œuvre de Proudhon.

Elle est immense l’œuvre de Proudhon. Elle comprend trente-huit volumes. Et, notre camarade parlait de correspondances, il y a quatorze volumes de correspondances de Proudhon.

Notez qu’il est l’homme de son temps, et, dans la plupart des sociologues du 19e siècle, nous rencontrons ce phénomène : leur oeuvre est presque toute composée de correspondances.

Pensez que Karl Marx n’a publié le premier volume du « Capital » qu’en 1867, et les autres volumes ont attendu encore un demi-siècle pour être publiés. Il n’y a pas longtemps que le dernier, un manuscrit découvert en Russie, a été publié. Mais on connaissait déjà par sa correspondance, et Marx et l’œuvre que préparait et qu’écrivait Marx pendant cette période-là.

Prenez Bakounine, qui fut son adversaire dans l’Internationale. On ne connaît guère de Bakounine que des correspondances. Mais chacune des lettres de Bakounine, comme de Marx et de Proudhon, est parfois un véritable volume.

La correspondance était donc un moyen, à cette époque-là, de communiquer, qui, aujourd’hui, a fait place au journal, à la brochure, au livre. Et Proudhon n’y a pas échappé, si bien que sur son oeuvre, quatorze volumes sont de correspondances.

Et c’est vrai, c’est surtout à travers la correspondance qu’on peut connaître la personnalité de Proudhon, mais aussi qu’on peut trouver les éclaircissements pour les oeuvres de Proudhon et pour les idées de Proudhon. Car s’il a publié un certain nombre de livres, je vais vous les présenter, très rapidement d’ailleurs, il publiait en même temps des journaux et la correspondance s’établissait ainsi avec ceux qui se penchaient sur le problème social pendant cette période-là.

La correspondance avec Karl Marx, par exemple, qui. est excessivement réduite, puisque l’on n’a que les lettres de Proudhon et pas celles de Marx, et pour cause, nous permet de situer le moment et la raison pour laquelle Proudhon et Marx se séparent. Non pas en ennemis, non pas en adversaires, mais comme défendant relativement à l’État, des points de vues tout à fait différents, même divergents.

Seulement, qui aura le temps de lire, sauf quelques spécialistes, les quatorze volumes de correspondances de Proudhon ? Quant aux autres volumes, ils sont plus accessibles et ils marquent l’évolution de la pensée de Proudhon.

Car Proudhon n’est pas tout d’une pièce. Proudhon a construit une théorie en partant de lui-même. Au fond, c’est-à-dire de zéro. Il étudie d’abord, mais il n’a été d’aucune école. Il est de son école et ça prouve une personnalité excessivement rare, une personnalité puissante, puisqu’aujourd’hui, étudiant tout le mouvement social du 19e siècle, on est obligé de revenir à l’étude de Proudhon.

Est-ce à dire que, nous qui sommes un peu de l’école de Proudhon, même beaucoup, nous pouvons, cent trois ans après sa mort, à deux ou trois jours près, puisqu’il est mort le 19 janvier, à cent trois ans de sa mort, est-ce que nous pouvons accepter toute l’œuvre de Proudhon ? Laquelle ? La première ? La dernière ? Proudhon, qui est député pendant la Révolution de 1848, est-il le même Proudhon qui, en 1864 lors des élections demande aux électeurs de s’abstenir ? Quelle évolution s’est accomplie ? Quelles expériences l’ont amené à voir les choses différemment ?

C’est un homme excessivement riche, très intéressant, mais il n’est pas le maître qui cherche des disciples.

Il est né à Besançon. C’est une région qui lui a conservé encore le caractère, et pourtant Proudhon n’a pas longtemps tellement vécu dans cette région-là. C’est un peu partout, et à Paris plus tard qu’il a plus particulièrement fait école. Mais Besançon est une ré-ion où s’affrontent les diverses théories, les diverses idées, non seulement du temps, mais depuis longtemps.

C’est une région qui se sent libre, même vis-à-vis de la nation française. Et il y a encore aujourd’hui un état d’esprit bien particulier dans cette région-là. Tout le Jura, toute cette région, marque cette volonté de liberté qu’on trouve difficilement ailleurs en France.

C’est ainsi que, en passant, j’ai été en rapports assez cordiaux avec pas mal de militants du Parti Communiste. Et bien, on sent entre les Communistes de cette région-là et ceux du reste de la France, une différence énorme. Ils n’ont jamais accepté absolument, intégralement, d’être soumis à la règle internationale, d’être des inconditionnels du Communisme. Ils ont toujours eu un caractère un peu frondeur, indépendant, libertaire.

Et Proudhon naît dans ce milieu. Après tout nous sommes, pour une bonne part, le produit du milieu dans lequel nous sommes nés, dans lequel nous avons vécu, dans lequel nous avons eu nos premières sensations, nos premiers exemples. C’est cela qui fabrique un peu l’individu. Et c’est cela qui fait que nous nous sentons un peu, nous qui sommes nés en France, Français, nous qui sommes nés en Espagne, Espagnols. Ce n’est pas par raison, c’est strictement par sentiment, parce que nous sommes fabriqués de tout cela, de tous ces souvenirs nous sommes fabriqués de ces compagnons, fabriqués de cette famille.

On ne peut pas dire que Proudhon ait échappé à la règle générale. On le rappelait, il est un autodidacte, il est un compagnon, il est un ouvrier, il est d’une famille paysanne qui fut aisée. L’un des membres de sa famille avait laissé à l’école de Droit, aujourd’hui c’est dépassé un formidable ouvrage, si bien que la famille était un peu imprégnée, et l’on disait volontiers d’une partie de cette famille-là, que c’étaient des chicaneurs, des gens ,qui allaient de procès en procès, et qui. d’ailleurs, de procès en procès, n’étant pas toujours justifiés, de procès en procès, ont ruiné totalement la famille.

Il est né dans ce milieu-là, et c’est à l’âge de douze ans qu’il peut entrer quand même à l’école. Les études n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Il entre au Lycée, mais à dix-huit ans, nous le trouvons en train de gagner son pain.

Nous le trouvons en train de gagner son pain, c’est-à-dire qu’il a dû quitter sa famille, qu’il a dû quitter ses études. Il voulait, il n’a pas pu être bachelier. Il préparera le « bachot » plus tard, et il le sera plus tard, par nécessité. Mais il ne gagne pas son pain seulement à dix-huit ans. A six ans il travaille déjà, et quand il va à l’école, à douze ans, alors il n’y a pas de quoi acheter des livres. Pour étudier, on s’arrête en chemin, comme il n’habite pas tout près de l’école, avec les camarades qui, eux, ont des livres. On s’aide réciproquement.

Il dira dans sa correspondance qu’il a subi pas mal de punitions pour avoir « oublié » ses livres à la maison. En réalité, il n’avait pas d’argent, et il n’avait pas de livres, et tous les instants qui étaient arrachés à l’école, étaient donnés aux travaux des champs.

Pendant cinq ans, il a gardé les bestiaux dans les champs. Ça ne le gênait d’ailleurs pas. Il se donne comme une sorte de petit animal sauvage, aimant la nature, se trouvant bien, même à la rigueur des temps, aimant la source qui jaillit, aimant l’herbe qui pousse, les animaux. On ne peut pas dire qu’il est malheureux, mais pour vivre, il est, dès l’âge de six ans, obligé de garder les vaches comme quelques-uns d’entre nous ont pu le faire ou le voir faire à leur voisin.

Voilà quelle est la vie domestique de Proudhon. Il n’en est pas du tout vexé. Et dans une de ses correspondances, quelqu’un lui faisant remarquer : « enfin, s’il y a eu dans la famille quelques personnalités, du moins, quant à lui... », il peut répliquer : « j’ai quatorze quartiers de paysannerie. Citez-moi actuellement une famille noble qui compte autant de quartiers dans son ordre. Paysan, je suis plus noble que les nobles, j’ai quatorze quartiers de paysannerie ».

Et il sera fier de cela, ce qui d’ailleurs, avec quelque malice, permettra de temps en temps à. plus tard son adversaire, Marx, d’indiquer que chez l’anarchiste Proudhon, il y a un peu du petit bourgeois, du paysan. Oh ! sans insister, car par ailleurs il admire Proudhon à qui il doit à peu près tout.

Il entre ainsi au travail et, à dix-huit ans, il est compositeur et correcteur. Compositeur : on composait à la main, lettre à lettre, sur le composteur.

Mais en même temps, comme il ne cesse d’étudier, comme il a trouvé précisément dans l’imprimerie ces livres qu’il n’a pas chez lui, et comme il a un peu de temps (on travaillait un peu plus tranquillement, un peu plus doucement, il v a un siècle), alors il avait le temps et il lisait. Il avait fait un peu de Latin au Lycée. Ça lui a servi, il l’a approfondi.

Il rencontre ce qui était à l’époque la richesse de l’imprimerie, c’est-à-dire la composition et puis la correction d’ouvrages savants. Les Pères de l’Église passent par l’imprimerie où il travaille et ça lui permet d’aborder une autre activité. Il étudie par lui-même et devient correcteur de Grec. Vous voyez, c’est quand même un cerveau bien construit. Et il fait en même temps que ses corrections, ses études.

Ça donnera le caractère de ses premières publications, car sa première publication est un ouvrage sur la grammaire. Il y a un des grammairiens qui a publié une étude sur la langue et il réplique par un opuscule.

Seulement, c’est hâtif, c’est fait un peu trop rapidement et, l’année suivante, il éprouve le besoin de le corriger. Dès lors, va disparaître son premier opuscule, qui sera remplacé par un autre, amélioré, corrigé par lui-même.

C’est, avouez, un honnête homme qui fait des recherches. Il est, dès ce moment, déjà lancé dans le mouvement. Oh, ça ne fait pas beaucoup de bruit. La personnalité de Proudhon ne se dégage pas encore beaucoup.

Mais dès 1832, il a publié un ouvrage qui va secouer les oreilles de quelques-uns qui sont les affranchis de l’époque, les premiers Socialistes, ceux que Karl Marx appellera les Socialistes utopiques, dont il sera d’ailleurs.

Notez que pour Marx, l’utopiste ce n’est pas seulement celui qui rêve de quelque chose, le mot a un autre sens. Ce sont les premiers utopistes. Il a fait connaissance avec Saint-Simon, avec Fourier. Il a connu les oeuvres de Babeuf. Enfin, c’est un bonhomme qui est déjà au courant. Et il publie un premier opuscule, c’est-à-dire une première brochure assez forte, dans laquelle il s’attaque à la propriété.

Jusque-là, le Socialisme avait un sens, un sens strictement politique : remplacer les maîtres actuels par d’autres maîtres. Les premiers sont les Capitalistes, ils ont pour but d’exploiter. Ils exploitent grâce à des lois, à un Droit établi, et ce qu’il faudrait, c’est qu’un autre Droit se substitue à celui-ci, qui, précisément, empêche l’exploitation des hommes.

Ça fait un peu de bruit, parce qu’il éprouve le besoin d’analyser précisément le Droit de Propriété. Et dans un deuxième opuscule, ça fera plus de bruit encore, car il énoncera ainsi la théorie : « La propriété c’est le vol ».

Mais il l’analyse. Il ne faut pas s’en tenir à l’expression seulement, qui est un peu brutale, mais qui attire l’attention. On va chercher ce qu’il y a derrière cette phrase si méchante : « La propriété c’est le vol. »

Et voici comment il établit le fait.

Je passe rapidement, parce qu’on est obligé pour l’œuvre de Proudhon de passer très rapidement. Si je pouvais inciter quelques-uns d’entre nous à la revoir, à rechercher les ouvrages qui sont encore en vente, à acheter seulement les deux ou trois qui sont au « Livre de Poche », par exemple, ou bien aux « Éditions de France », alors, j’aurais quand même apporté quelque chose.

Un homme a à sa disposition, soit par intelligence, soit par héritage, enfin par droit de propriété, la possibilité de faire travailler pour une oeuvre quelconque un certain nombre d’ouvriers. Il est honnête, à ces ouvriers-là, il assure un salaire. Ces ouvriers travaillent. Il leur - a payé le salaire, donc quand il a payé honnêtement le salaire à chacun, il retrouve seulement son salaire. Et ça paraît honnête.

Seulement, étant donné la division du travail, il y a une part de travail qui n’appartient pas à l’ouvrier puisqu’on lui a donné son salaire, et qui n’a rien coûté au patron.

Supposons la colonne Vendôme à élever. On a fait appel à deux cents ouvriers pour la mettre debout. On a donné à chacun sa part de travail, c’est-à-dire son salaire. Honnêtement, le patron ne doit rien. Il leur a donné leur part sur la production. En apparence, tout cela est vrai. Dans la pratique c’est faux.

Supposez qu’au lieu de prendre deux cents ouvriers, il n’ait pris qu’un ouvrier et qu’il l’ait mis au travail pendant deux cents jours, ce qui équivaut exactement à deux cents ouvriers travaillant leur journée pour élever la colonne.

Croyez-vous qu’un ouvrier pendant deux cents jours aurait quand même élevé la colonne ? Évidemment pas. Et pourtant deux cents ouvriers travaillant un jour ou un ouvrier travaillant deux cents jours ça fait exactement le même temps de travail.

Il y a donc dans la production une force, une valeur oui naît seulement de l’association. Il est impossible de déterminer la part de chacun. Il y a quelque chose qui est extérieur à ’la production de chacun des producteurs. Quelque chose qui n’est donc pas au producteur puisqu’il n’a travaillé quand même que sa journée, mais qui ne doit pas être non plus à l’autre puisqu’il n’a payé que les journées de travail. Il y a donc une partie de cette production, parce qu’elle est collective, qui est volée par le propriétaire.

En réalité, elle est sociale, elle ne peut pas être l’appropriation de quelqu’un. Mais si l’on considère que les instrument, que les vêtements, que la nourriture, que la maison de chacun des travailleurs a elle aussi été le produit de travail individuel et d’une production ou d’une valeur collective, on peut dire que lorsque le patron a pris en main l’organisation de ce travail il n’a pu le faire qu’avec un produit du travail antérieur qui a été volé.

Il s’ensuit, par conséquent, que clans le travail, il v a deux valeurs : individuelle et sociale, et que la valeur sociale qui est appropriée par qui que ce soit est un vol. La propriété c’est le vol. Voilà établi à la base. Il n’appelle pas cela crans la pratique le bénéfice, l’intérêt, il l’appelle l’aubaine.

Examinons un autre point.

Vous avez quelque part, propriétaire, un terrain qui n’a aucune valeur. Vous ne l’avez pas payé cher, il y a des marécages, les herbes, les plantes ont poussé là. Enfin, ça ne produit rien, ça ne peut rien produire. Ca n’a aucune valeur, absolument aucune valeur, puisqu’on n’en peut rien tirer.

Mais vous prenez cinquante ou cent ouvriers, vous les mettez là, sur ce terrain. Ils défrichent, ils assèchent. Cette terre qui ne valait rien acquiert une valeur considérable. Le propriétaire a apporté son effort, son effort d’organisation ; il a appelé les compagnons, il les a fait travailler selon un plan, il a sa part de travail. Dans cette transformation de cette propriété et de ces marécages, il est certain que celui qui a organisé la transformation a travaillé. Les ouvriers, les compagnons qui sont venus là et qui ont travaillé également, eux aussi ont apporté leur part.

La terre est aujourd’hui en valeur.

Cette différence entre les deux valeurs, le propriétaire comme salaire en a sa part, chacun des compagnons a sa part. Bon, mais il reste la ferme qui hier valait un et qui aujourd’hui vaut dix. Cette différence entre un et dix n’est à personne.

Le propriétaire a été payé pour son effort. Les travailleurs ont été payés pour leur effort, par conséquent, l’ensemble de ce travail collectif ayant produit une plus-value, cette plus-value est volée si quelqu’un dit elle est à moi. La propriété c’est le vol.

Vous avez acheté quelque part une vieille ferme, une terre. Elle est loin de toutes les routes. Elle ne vaut pas grand chose. Mais un jour, la communauté établit une route. Non par pour votre domaine, pas pour votre propriété, mais une route qui passe à côté de votre domaine, à côté de votre propriété. Pour cela des ingénieurs sont venus, ils ont établi des plans. Les architectes, les géomètres, enfin tout le monde s’est occupé de l’histoire. Les travailleurs sont venus nombreux. Ils ont tracé la route, ils l’ont empierrée, enfin, ils ont construit cette route. Ils ont été payés. L’ingénieur a été payé ; les travailleurs ont été payés. Le travail qui ainsi a été fourni individuellement a été payé à chacun des individus. Mais il reste ceci que votre ferme qui valait dix vaut aujourd’hui cent. Qu’est-ce que vous avez apporté ? Rien du tout.

C’est l’ensemble des travailleurs, depuis l’ingénieur jusqu’au simple manœuvre qui ont produit cette valeur-là. Mais elle n’appartient pas à chacun d’eux. Chacun d’eux a été payé pour son travail. C’est l’union des travailleurs, c’est l’harmonie du travail, c’est l’organisation du travail qui ont permis cette plus-value. A qui est-elle ? Elle n’est à personne, elle est collective. Elle n’appartient pas à un tel ou un tel, chacun a été payé pour son effort.

Par conséquent, si quelqu’un l’accapare, si quelqu’un, propriétaire de la ferme, pouvait l’acheter 100 et la vendre 10 000 aujourd’hui. la différence entre 100 et 10 000 qui appartient à la collectivité. qui n’est pas le travail de chacun, mais l’harmonie du travail général, donc cette part appropriée par lui est un vol. La propriété c’est le vol.

La. logique ? La logique est la conséquence de ces constatations.

Il y en a un certain nombre d’autres, je vous en cite juste quelques-unes. La conséquence, c’est que le droit de propriété selon le Droit Romain est un vol, Mais cette part collective implique qu’il y a toujours pour l’effort de chacun une part qui revient à chacun et que la conséquence des efforts collectifs doit rester sociale. Et c’est ici, ou un peu plus tard, vont se séparer les deux écoles du Socialisme : l’École Socialiste Communiste, c’étaient des Radicaux à l’époque, pas des Radicaux Socialistes, pas des Radicaux politiques, et l’École Proudhonienne, l’École Libertaire.

L’École Socialiste, héritière du Jacobinisme, pense seulement, ayant fait la même constatation, car Proudhon donne le ton.

Mais cela sera repris quelques années plus tard par Marx qui vient d’Allemagne, tout jeune, tout neuf, et qui étudiant Proudhon, constate qu’il n’y a plus rien à dire. « Maintenant, nous avons une théorie du prolétariat », dira-t-il. Le mot est de Marx tandis que chez Proudhon, nous trouvons presque toujours, non pas prolétaire, mais le peuple, ce qui différencie autrement les individus et les classes.

Mais quelle est la conséquence de cette constatation que chacun exprime d’une façon ou d’une autre ? La conséquence est ce que l’on peut dire avec Proudhon : Cette part sociale qui est le résultat de la plus-value collective, ne peut être appropriée. Elle doit assurer la liberté des individus, car l’individu est libre quand il a sa propriété. Il est esclave quand la propriété est aux autres.

Et l’autre École ?

Eh bien, il y a un gouvernement, cette propriété collective, nous allons la donner au gouvernement, et c’est lui qui va la gérer et l’administrer pour tous, car le gouvernement est la représentation de la collectivité, de la communauté et par conséquent, c’est à la communauté que l’on remet cette part de propriété. On l’enlève à chacun des propriétaires et on la remet à l’État. C’est l’État qui sera le conservateur et le gestionnaire de cette part sociale de la propriété, Et avant même de connaître les oeuvres de Marx, Proudhon va se dresser contre cette théorie qu’il prévoit, qu’il imagine, parce qu’elle parait logique selon la manière de penser des individus pendant cette période-là.

Il va s’opposer déjà avant que l’on exprime sa pensée en disant : « mais que le propriétaire soit un individu ou qu’il soit l’État, c’est toujours quelqu’un, c’est toujours un maître. car le propriétaire est le maître oui est le propriétaire. Et la propriété est le vol quand elle est à quelques-uns, elle ne cesse pas d’être le vol quand elle est à un gouvernement ou à un État. c’est-à-dire à une communauté quelconque. La propriété reste le vol ».

De cette pensée, que la propriété, fruit du travail collectif et qui ne devrait être à personne, donc à tous, cette pensée que le propriétaire devient Un, ne fait qu’affirmer, confirmer, et enfin déterminer la sujétion du non-propriétaire. Le propriétaire devient pratiquement le maître du non-propriétaire. C’est lui qui peut lui donner ou lui arracher le pain, en lui donnant ou en ne lui donnant pas le travail. Par conséquent, celui qui ne possède pas est directement ou indirectement l’esclave de celui oui possède. Celui qui possède donc, enlève, détient la part de liberté de chacun. Et quand le propriétaire est plus puissant et la propriété implique, et de plus en plus, moins quand elle était la terre, davantage quand elle devient l’industrie ou qu’elle devient le commerce, la propriété tend de plus en plus à se concentrer entre les mains de quelques-uns. Or nous sommes en 1840, quand Proudhon déclare cela, il ne pouvait évidemment pas penser à l’immense développement des trusts qui est celui de notre époque. Avant Marx, il situait déjà, cette nécessité du système capitaliste, à savoir que les gros mangeront de plus en plus les petits, c’est-à-dire que les plus importants accapareront clé plus en plus la part des autres, que tout se centralisera de plus en plus. La concurrence l’implique, on produit pour vendre. Et par conséquent, produisant pour vendre, il faut, d’une part, produire meilleur marché, et par conséquent, payer de moins en moins le travailleur, lui voler de plus en plus sa part de travail, l’exploiter de plus en plus.

Seuls peuvent vendre, d’abord ceux qui produisent meilleur marché.

La concurrence fait que celui-là vendra et que l’autre ne vendra pas. Le résultat aussi, c’est que, nécessairement, cette concurrence ruinera un certain nombre de commerces ou d’industries, de vendeurs. Et quand quelques-uns sont ruinés, la fortune passe entre les mains des autres. Ils se heurtent de plus en plus à des concurrences plus importantes, là aussi le combat s’engage, et nécessairement l’un des deux succombera dans cette lutte, Par conséquent la propriété aura tendance de plus en plus à se centraliser entre les mains de quelques groupements ou de quelques individus.

Nous ne sommes pas encore à l’époque des grandes compagnies, mais c’est une logique du régime, du moment qu’on produit pour vendre, nécessairement au bout, il y a cette concentration.

Mais au fur et à mesure que disparaît cette concurrence, au fur et à mesure que s’accumulent les richesses, que s’accumule la propriété entre les mains de quelques-uns uns, la puissance du travailleur, elle, diminue. D’autant plus, la misère est de plus en plus considérable, les gens connaîtront de plus en plus le chômage, les bas salaires, la misère. Le système entraînera, et là c’est Marx qui l’expliquera plus schématiquement et plus clairement, la misère entraînera nécessairement la sous-consommation, c’est-à-dire l’impossibilité pour le producteur de vendre son produit, et par conséquent, de temps en temps des crises.

Si Proudhon en énonce le principe et le mécanisme, c’est à Karl Marx qu’il appartiendra de le situer comme les crises cycliques du Capitalisme, c’est-à-dire que régulièrement, selon l’industrie et le commerce, tous les 7, 8, 9, 14 ans, il y aura une crise de mévente, et par conséquent, une crise généralisée. Aujourd’hui, nous en sommes précisément dans une de ces crises. Mais quand chacun lutte pour son compte, quand chacun des Capitalistes se bat à son propre détriment ou à son avantage, alors la crise continue un temps. On ne connaît pas de remèdes. Proudhon ne pense pas que la crise soit définitive ; et qu’il y aura certainement quelque amélioration ou que la crise passe, tandis que chez Marx c’est très net : la crise deviendra de plus en plus importante, le prolétariat sera de plus en plus misérable et par conséquent, il y aura lutte certaine entre l’une et l’autre, il y aura une Révolution. Chez Proudhon, la Révolution est de tous les temps. Elle est dans chaque pensée qui attaque le système, elle est donc dans tout acte qui attaque le système. Et il n’y a pas et il n’y aura jamais de Révolution définitive, il y aura toujours, plus ou moins violente, une Révolution permanente.

Et il n’y a pas chez Proudhon, jamais à aucun moment un programme établi. Pas de programme établi, car établir un programme, c’est déjà situer les individus dans un cadre d’où ils ne doivent pas sortir. Quiconque en sort est contre-révolutionnaire, qu’il en sorte en avant ou qu’il en sorte en arrière. En réalité, établir un plan, ce n’est pas faire une Révolution, c’est au contraire établir une stabilisation à tel ou à tel moment. Ca le distingue évidemment de révolutionnaires du coup d’État dont ils se défendent d’être. Je suis révolutionnaire, dit-il, je travaille sans cesse à la Révolution, j’y travaille par tous les moyens, j’y travaille par l’écrit et par la parole, j’y travaille par l’influence, j’y travaille par les faits selon les circonstances, mais je n’établis pas de programme.

Jusqu’en 1846, Karl Marx admire Proudhon. Mais Karl Marx tire des théories de Proudhon cette conséquence, que puisqu’il y a une Révolution qui se prépare, il n’y a qu’à la préparer. Comme le peuple, en général, n’est pas prêt, il n’y a qu’à le préparer. Il y a dans le peuple un certain nombre d’individus qui ont la capacité d’une Révolution. Ce sont les prolétaires. Et dans le langage Marxiste, le prolétaire ce n’est pas le paysan, le prolétaire ce n’est pas le manœuvre, le prolétaire ce n’est pas le compagnon, ce n’est pas l’artisan, ce n’est, pas le petit bourgeois, le prolétaire c’est strictement, dans le langage, dans la pensée de Marx et dans le langage Marxiste, c’est strictement l’ouvrier de la grande industrie.

C’est ce qui fera énoncer jusqu’aux temps présents où on hésite un peu, cette vérité définitivement établie, que la Révolution n’est possible que dans un pays fortement industrialisé. Ce à quoi évidemment la Révolution d’Espagne a répondu par un démenti, et la Révolution Russe par un autre démenti, puisque ce sont des pays qui n’étaient pas fortement industrialisés, particulièrement pour la Russie, qui ont fait la Révolution.

Proudhon insiste donc : il y aura nécessairement lutte au fur et à mesure que la propriété se concentre et par conséquent que l’esclavage, et non pas seulement la misère, l’esclavage du peuple s’établit. Seulement, qui va se révolter ? Pas tous. Mais une révolte qui n’est pas précédée d’une idée, qui ne sait pas pourquoi on se révolte ; ce que l’on veut en définitive écarter par la révolte, c’est une révolte pour rien.

Il faut pour que la révolte soit efficace, qu’elle ait un sens, qu’elle soit quand même précédée de l’idée. Ce n’est pas une mécanique qui entre en fonction, c’est une idée qui se traduit dans les faits par une conscience. Qui dispose de cette conscience ? Évidemment pas le manœuvre. Lui est l’objet de la révolte. On s’en est servi en 1789.

1789 n’est pas la Révolution de la paysannerie, elle est la Révolution de la bourgeoisie. Parce qu’elle avait une idée, parce qu’elle l’avait traduite depuis deux siècles à travers toutes ses activités intellectuelles, parce qu’on avait ensemencé la bourgeoisie de cette idée que le gouvernement autocratique devait disparaître et faire place à un gouvernement de tous, un gouvernement des capacités, des intelligences, un gouvernement démocratique. Elle poursuivait son idée. Mais l’idée est restée sans effet tant que l’évolution sociale n’a pas soulevé tous les révoltés contre le système.

Ils se sont soulevés tout naturellement en n’en connaissant pas le but ni l’idée, les plus miséreux, c’est-à-dire le paysan quand il a mis le feu au château, quand il a pillé les grands domaines, les gens de la rue quand ils se sont soulevés un 14 juillet parce qu’il n’y avait pas de pain dans les boulangeries, ce sont ceux-là mais oui ne savaient pas pourquoi, qui n’avaient pas un but, qui n’avaient pas une idée, qui ont été les instruments. C’est eux qui ont fait la Révolution, mais ils l’ont faite au profit de celui qui en avait eu l’idée, qui savait pourquoi elle se faisait, c’est-à-dire la bourgeoisie. Et la bourgeoisie, se servant du peuple, a pu instaurer son système, c’est-à-dire appliquer son idée. Et pour cela, on doit constater cette évolution, cette lutte nécessaire entre les possédants et les non-possédants ; quand je dis nécessaire, je veux dire inévitable.

Quand on constate tout cela, il faut penser que ces gens-là ont besoin d’une idée. Et quelle doit être l’idée Et bien précisément, elle doit être opposée à l’idée bourgeoise, celle d’un gouvernement qui gère et administre, car en réalité, derrière le gouvernement et tout gouvernement, il y a seulement la constatation d’un état de fait et sa conservation. Il y a des privilèges. Le but du gouvernement, c’est quand il s’établit, de constater les choses, et de veiller à ce qu’il y ait de l’ordre dans la société. Or, quand on ne modifie pas le statut de la propriété, il y a, forcément désordre. Alors ? Alors, le gouvernement, et quel qu’il soit, doit assurer l’ordre. Contre qui ? Contre les gens de désordre. Qui sont les gens de désordre ? Parbleu ! ceux qui n’ont pas de quoi manger, ceux qui n’ont pas de travail, ceux qui sont mal pourvus et qui sont maltraités, ceux qui sont exploités, par conséquent, les non-possédants. Et comme le gouvernement par lui-même n’est rien, il lui faut un moyen d’assurer l’ordre, il lui faut donc, à tout gouvernement, une police, il lui faut une armée.

La police et l’armée, honnêtement, ont pour but d’assurer la tranquillité sociale, c’est-à-dire d’empêcher les pauvres de se révolter contre les riches. Et plus la révolte est menaçante, plus la concentration s’établit entre les mains de quelques-uns, et par conséquent, plus la misère ou la sujétion des autres augmente, plus les heurts seront nombreux et violents, et plus l’État doit disposer de police et d’armée plus puissantes.

Vous le voyez, c’est tout le système actuel qui était prévu comme une conséquence de la propriété par Proudhon. Pas seulement le système actuel, mais déjà, avant qu’il ne soit établi, tant qu’on n’avait pas encore fait l’expérience, c’est tout le système d’État qui était ainsi condamné. Non seulement il n’y avait pas eu la Révolution Russe, évidemment puisqu’elle date de 1917, mais le « Capital » n’a paru pour la première fois que quatre ans après la mort de Proudhon. Par conséquent, il ne connaissait pas non plus les oeuvres premières du Marxisme, mais il voyait que la pensée pouvait dévier vers cela : au lieu d’une Révolution économique s’attaquant au statut de la propriété, une Révolution politique. Prendre le pouvoir, Marx avait ainsi établi la situation l’État est l’expression de la domination d’une classe sur l’autre. C’est-à-dire, l’État est le moyen pour une classe de dominer l’autre classe.

Ce qui faisait avouer à Lénine plus tard, après les débuts de son expérience, que là où il y avait État, il n’y avait pas de liberté et donc pas de Socialisme.

On ne connaissait pas l’expérience, mais on pouvait en concevoir les conséquences et il les avait conçues. A savoir, que tant qu’on n’a touché qu’au statut politique, on n’a en réalité pas touché au statut économique que la propriété soit de plusieurs ou d’un seul, la propriété reste toujours comme accaparant la liberté des autres.

Il y aura donc d’autant plus d’opposition entre les non-possédants et les possédants, que la propriété se concentre, et au maximum quand la propriété est entre les mains d’une équipe politique, c’est-à-dire du gouvernement ou de l’État. Or, dans ce cas-là, l’État bourgeois est un État moins centralisé. L’État bourgeois est moins sujet aux récoltes, tant à leur quantité que par leur violence, que l’État seul propriétaire, et par conséquent l’État bourgeois peut se contenter d’une police et d’une armée moins importantes que l’État propriétaire. L’État propriétaire ne peut rester ce qu’il est qu’à condition de disposer d’une puissance militaire plus considérable que l’État bourgeois lui-même. Ce n’est donc pas une amélioration, c’est une aggravation.

Et si en 1848, lors de la Révolution, Proudhon a consenti à être député, déjà et depuis longtemps, il savait que le rôle du gouvernement était de gouverner, c’est-à-dire d’assurer l’ordre mais nous étions en pleine Révolution, et il a eu cette illusion car on n’avait pas fait les expériences qui sont les nôtres aujourd’hui. Il n’avait pas l’expérience du suffrage universel, pas l’expérience du pouvoir car il en concevait les conséquences’ sociales, il ne concevait pas la répercussion de l’autorité exercée par quelqu’un sur la personnalité même de celui-là qui l’exerce. Il faut de l’expérience pour cela, il pensait parce qu’on était en pleine Révolution qu’un gouvernement provisoire avait pour but seulement d’établir immédiatement les règles nouvelles transformant le statut de la propriété. Résultat : lors de sa première intervention, il a trouvé le moyen de dresser contre lui tout le monde y compris tous les autres Socialistes moins un. Un seul a voté pour lui au lendemain de juin, tous les autres, tous les Socialistes, Louis Blanc et autres, tous ont voté contre lui. Et s’il n’a pas été à ce moment-là déporté et arrêté, c’est parce que nous étions en période trop troublée pour qu’on puisse se le permettre. L’expérience montrait que par le gouvernement rien, rien ne peut être accompli, même par un gouvernement provisoire en temps de Révolution.

Conséquence : Il faut donc une idée, répandre de plus en plus cette idée, que la transformation sociale, Que l’établissement du Socialisme est seulement dans la suppression du droit de propriété, et la suppression du gouvernement, de l’État, quels qu’ils soient. C’est la première fois qu’on décortiquait vraiment l’État. Quand la lutte s’établit avec l’État, il est le défenseur des privilégiés, c’est-à-dire des propriétaires. Tout naturellement, il va trouver pour l’appuyer tous ceux qui ont un privilège quelconque dans la société, et d’abord celui qui est à la base même du principe d’autorité, c’est-à-dire l’Église.

Et il rencontre l’Église, non pas d’abord en croyant ou incroyant. Chez lui, on ne s’occupait pas de ces choses-là. Son père n’avait jamais été en quoi que ce soit en contact avec l’Église.

Il s’en fichait. Quand il est mort il a refusé absolument tout contact avec l’extérieur. Il a rassemblé sa famille et leur a dit : « voilà, je suis en train de mourir, je m’en vais vous quitter, mais vraiment je suis content. Parce qu’avant de partir j’ai pu vous voir tous et vous faire des adieux. Je m’en vais et nous ne nous reverrons plus, mais dites-vous bien que je m’en vais content de vous ». Et comme l’un des membres de sa famille lui disait : « mais Père, on ne s’en va jamais définitivement, après la mort, la vie continue, nous nous reverrons » - « Oh mon fils, lui dit-il, ce sont des choses dont je ne me suis jamais soucié. Aujourd’hui, au moment de mourir, je m’en soucie moins encore. Ce que je sais, c’est que j’ai vécu parmi vous, j’ai essayé d’être propre, j’ai essayé d’être brave ». Ce qui fera écrire ensuite à un autre fils de Proudhon : « Père est mort en brave ». Et le reste, en réalité, dans le milieu social de Proudhon et dans le milieu familial, on s’en souciait totalement de ces choses-là. Ce n’est donc pas par réaction que Proudhon va se dresser contre l’Église. D’abord, ses études, pendant qu’il corrigeait les livres d’Église, lui ont permis d’étudier sur le plan philosophique d’une part, mais historique surtout, la question.

Et il y a deux ou trois ouvrages de critique religieuse qu’on peut apparenter à Renan par exemple, qui ont apporté autant d’importance à la critique religieuse et historique et qu’on trouve plus rarement parce qu’il s’attaque plus particulièrement aux points historiques, d’abord de l’Évangile puis de Jésus, proprement dit, de la constitution du Christianisme dans le milieu social.

Mais on ne peut pas dire qu’il y ait systématiquement lutte de Proudhon contre l’Église. C’est quand il s’applique, en conséquence du statut de la propriété, à l’étude de l’État qu’il rencontre la religion. Et pas seulement l’Église, bien que l’Église soit le transport de l’idée religieuse. L’idée religieuse, dit-il, a pu être pour les hommes un temps, un bienfait parce qu’elle était la seule explication, à condition qu’elle soit restée l’étude libre, l’adaptation aux connaissances nouvelles, Systématiquement, la religion fut un bien et n’aurait pas été sans l’Église, le mal qu’elle est aujourd’hui. Car Dieu, et par Dieu il entend seulement le support de la religion et de l’Église, car Dieu c’est le mal. Il est le mal pourquoi ? Parce qu’il établit le fondement de l’autorité. Qu’est-ce que le gouvernement ? dit-il. Personne ne répondra. Qu’est-ce que Dieu ? Personne ne peut répondre. Il n’est pas plus possible de définir Dieu que de définir les gouvernements.

Quelles sont leur base, leur source, leur réalité " Cela. n’existe que dans l’esprit des gens mais cela n’est pas dans les faits, Seulement, quelle est la base de l’autorité ? Il n’y en a qu’une : Dieu. Et quelle est la base de Dieu ? Zéro. Dieu explique seul l’autorité. Est-ce le droit de quelqu’un parce qu’il est le plus fort ? Ce n’est pas un droit, c’est un fait, Il est le plus fort, il impose. mais il n’est pas un droit. Est-ce le fait de quelques-uns, d’une minorité s’imposant à une majorité ? C’est un état de fait, ce n’est pas un droit. Chacun des hommes peut le récuser chacun des hommes peut se dresser contre lui. Seulement, si l’on admet l’existence d’un être, d’un Dieu, d’une personne qui est antérieure à l’homme. qui fait l’homme, qui établit l’homme, qui construit l’homme. alors on a une base pour le gouvernement, car ce Dieu qui a fait l’homme, ce Dieu lui donne aussi une loi, une règle, et comme il est une création de l’esprit, qu’il n’est pas une réalité tangible, alors ce Dieu a pris des hommes, c’est-à-dire la réalité tangible et leur a donné le pouvoir. La source du pouvoir est donc en Dieu, elle n’est pas ailleurs. Et comme Dieu est indéfinissable, comme Dieu n’est pas accessible, on peut dire que le pouvoir n’est pas autre chose qu’une formation de l’esprit et par conséquent, la négation du pouvoir doit être le fait de tout individu prenant conscience de lui-même.

Voilà comment il s’attaque à l’Église, Et il étudie son rôle. Quand l’État est menacé, quand la propriété est menacée, quand le privilège est menacé, alors ils trouvent pour les soutenir, non seulement police et armée, mais d’abord l’Église. Et l’Église par son enseignement, l’Église par son intervention dans l’esprit, dans l’âme des hommes, crée les conditions d’un servage, d’une obéissance, d’une aliénation de l’homme. L’homme n’est plus lui-même, il n’ose pas penser au-delà, de lui-même, il se soumet, et l’Église est l’instrument principal de cette soumission. Or quand on accepte l’Église, on accepte également l’injustice, et il met face à face la. justice dans la Révolution et la justice dans l’Église.

La justice dans la Révolution, c’est la justice pour la liberté, par conséquent dans l’égalité des êtres. La justice dans l’Église, c’est la justice dans l’inégalité, dans la hiérarchie. Et, en même temps qu’il s’attaque à l’Église et la hiérarchie, il s’attaque nécessairement à tout gouvernement ou à tout pouvoir qui est une conséquence de la première affirmation qu’il y a un Dieu Créateur et maître des hommes. Voilà à peu près et en gros quelle est la critique Proudhonienne.

C’est à la critique de l’État que Proudhon se dégage en son temps de toutes les autres écoles Socialistes. Pas une des écoles Socialistes n’avait vu autre chose qu’une transformation politique de la société. Lui, propose une transformation économique. Et non seulement il propose une transformation économique, mais il la propose envers et contre toute tentative de transformation politique. Car la transformation politique, c’est la création d’un pouvoir et donc d’une hiérarchie et donc d’une autorité. Elle est négative de l’égalité, elle est négative de la liberté des hommes. Et quand Proudhon en vient à instaurer idéalement la société, d’abord, il n’accepte pas de plan. Et vous allez le voir dans la lettre qu’il adresse à Karl Marx, et qui établit la première rupture entre Marx et Proudhon, ce qui n’empêchera pas d’ailleurs, en ne le citant plus, et en lui fichant des coups de pied en vache de temps en temps, à Karl Marx de critiquer Proudhon, mais tout en l’admirant, et le disant sans le citer, vous trouvez cela maintes fois dans l’œuvre de Marx.

Voici qu’elle est leur rupture : Marx a pensé précisément, étant donné que le peuple tout entier n’a pas d’idée, que quelques-uns ont l’idée, cette idée sur laquelle Marx est d’abord d’accord et qu’il laissera tomber par la suite, cette idée, quelques-uns l’ont, les plus évolués, les plus conscients, les plus capables, c’est-à-dire les prolétaires. Le prolétariat a déjà un certain nombre d’expériences, un certain nombre de révoltes, de mouvements qui prouvent qu’il n’est pas conscient, mais que cette conscience est en lui-même. Par conséquent, lui, est accessible à l’idée.

C’est donc lui qu’il faut organiser, et c’est lui qui prendra la direction du mouvement ouvrier, et il va fonder la Ligue des Communistes, A cet effet, il s’adresse à tous ceux qui, dans le temps, ils ne sont pas nombreux, à tous ceux qu’il considère comme travaillant à la Révolution Sociale. Et comme il est admirateur de Proudhon, et qu’il vient d’écrire qu’après Proudhon il n’y a plus rien comme critique, alors il l’invite à. participer à sa lutte, La lettre de Marx, nous ne l’avons pas, nous avons seulement les échos, et nous avons la réponse de Proudhon. Or, vous allez voir quel est l’état d’esprit de Proudhon quant à l’organisation de, si vous voulez, la Société future.

« Mon cher Monsieur Marx,
« Je consens volontiers à devenir l’un des aboutissants de votre correspondance, dont le but et l’organisation me semblent devoir être utiles. Je prendrai la liberté de faire quelques réserve qui me sont suggérées par divers passages de votre lettre ;

« D’abord, quoique mes idées en fait d’organisation et de réalisation soient, en ce moment, tout à fait arrêtées, au moins en ce qui regarde les principes, je crois qu’il est de mon devoir, qu’il est du devoir de tout Socialiste, de conserver pour quelque temps encore la forme antique ou dubitative.

« En un mot, je fais profession avec le public, d’un antidogmatisme économique presque absolu. Cherchons ensemble, si vous le voulez, les lois de la société, le mode dont ces lois se réalisent, le progrès suivant lequel nous parvenons à les découvrir, mais, pour Dieu, après avoir démoli tous les dogmatismes a priori, ne tombons pas dans la contradiction de votre compatriote Martin Luther qui, après avoir renversé la théologie catholique, se mit aussitôt, à grand renfort d’excommunions et d’anathèmes, à fournir une théologie protestante.

« Parce que nous sommes à la tête du mouvement, ne nous faisons pas les chefs d’une nouvelle intolérance. Ne nous posons pas en apôtres d’une nouvelle religion, cette religion fut-elle la religion de la logique, la religion de la raison. Accueillons, encourageons toutes les protestations, flétrissons toutes les exclusions, tous les mysticismes, ne regardons jamais une question comme épuisée, et quand nous aurons usé jusqu’à notre dernier argument, recommençons s’il le faut avec éloquence et ironie.

« A cette condition, j’entrerai avec plaisir dans votre association, sinon. Non.

« J’ai aussi à vous faire quelques observations sur ce mot de votre lettre : « au moment de l’action ». Peut-être conservez-vous encore l’opinion qu’aucune réforme n’est actuellement possible sans un coup de main, sans ce qu’on appelait une révolution, et qui n’est tout bonnement qu’une secousse. Je me pose aussi le problème. Car entrées dans la société par une combinaison économique, les richesses sont sorties de la société par une autre combinaison économique.

« En d’autres termes, tourner à l’Économie Politique, la théorie de la propriété, contre la propriété, de manière à engendrer ce que vous autres Socialistes Allemands, vous appelez la Communauté et que je me bornerai pour le moment à appeler Liberté et Égalité.

« Voilà, mon cher philosophe, où j’en suis pour le moment. Sauf à me tromper et s’il y a lieu, à recevoir la férule de votre main, ce à quoi je me soumets de bonne grâce en attendant ma revanche.

« Bref, il serait à mon avis d’une mauvaise politique pour nous de parler en exterminateurs, les moyens de rigueur viendront assez tôt, le peuple n’a besoin pour cela d’aucune exhortation. »

Vous voyez qu’il y a chez Proudhon quelque chose d’humain, et sa logique est telle, que nous nous trouvons aujourd’hui devant les mêmes problèmes.

Une Révolution sans révolutionnaires, qu’est la Révolution ? Une simple secousse, ça ne change rien aux choses, Et pourtant Proudhon est révolutionnaire, Mais il ne tient pas à cette secousse. Pour le moment, les révolutionnaires ne savent pas ce qu’est la Révolution, il faut le leur apprendre. Ils ne sont pas capables de construire après la secousse, une Révolution. Il faut qu’ils apprennent à être les constructeurs, après la secousse, de la Révolution. Et pour cela, notez que nous sommes à l’ère du Capitalisme encore et que par conséquent il ne pouvait pas prévoir tout ce oui est, on ne prend pas un homme qui a 100 ans de retard pour un homme d’aujourd’hui, Il a ses qualités et ses défauts. Il a ses arguments et ses documents, ceux de son temps.

Que voit-il ? Et bien que déjà les ouvriers apprennent l’association, pas seulement l’ouvrier, mais l’artisan, le petit bourgeois. Par l’association. qu’ils arrachent la propriété au propriétaire, qu’ils apprennent à gérer et la terre et l’atelier. Il fait appel à la bourgeoisie. Ça permettra, en douce de le faire passer pour un bourgeois et au fond, le seul argument marxiste contre l’Anarchie c’est celui-là que les Anarchistes sont des petits bourgeois.

Proudhon est un petit bourgeois, oui mais, dans la pratique, lorsque Lénine constate la faillite de sa politique, et qu’il rétablit en Russie la N.E.P. la Nouvelle Économie Politique, il ne fait pas autre chose. Et quant : aujourd’hui on rétablit de plus en plus le profit pour les particuliers en Russie, on ne fait pas autre chose que de faire appel à la bourgeoisie.

Enfin, le Parti Communiste Français comprend plus de petits fonctionnaires et de bourgeois, que d’ouvriers. Le pourcentage est de 7 % de plus de bourgeois (de petits bourgeois). Quand je dis petits bourgeois, je ne parle évidemment pas de M. Aragon dont on ne sait pas s’il est petit bourgeois avec les millions dont il dispose, et tant d’autres.

En réalité, Proudhon voit chez le petit bourgeois et chez l’artisan, des gens déjà habitués à gérer les affaires, qui ont par conséquent cette possibilité de construire quelque chose. Qu’ils prennent conscience ; qu’ils le doivent, contre le propriétaire et contre l’État, et ils sont les meilleurs artisans de la Révolution. Ils y ont intérêt, car le système bourgeois implique à plus ou moins brève échéance la disparition des classes au pouvoir, De plus en plus l’industriel et le financier prendront possession des biens et des personnes de la bourgeoisie. Par conséquent, elle est aussi directement que le travailleur, menacée par le système lui-même. Qu’ils prennent donc conscience, et clans ceux qui déjà ont une capacité de gestion, ils doivent s’appliquer d’ores et déjà à remplacer et le propriétaire et l’État.

Évidemment, il s’apercevra lui aussi, à l’usage qu’il a cru par erreur à la capacité intellectuelle de la bourgeoisie. C’est vrai, elle a une capacité gestionnaire. Encore faut-il faire des réserves, il est certain que sa capacité gestionnaire réelle l’aurait depuis longtemps induite à l’association des petits propriétaires. à l’association des petits artisans qui auraient évité ensuite les Nationalisations qui de plus en plus, finissent par leur usurper leur part de bien et de liberté. Mais ils sont quand même gestionnaires, mais ils n’ont pas la capacité de s’abstraire de leur situation. Eux aussi ils ont cru galon social, eux aussi ils disposent d’une certaine autorité, eux ils se sentent supérieurs aux masses, supérieurs aux travailleurs, supérieurs aux prolétaires et par conséquent, ils veulent garder cette distinction sociale et ils ne sont pas révolutionnaires, Ils en crèveront, mais ils ne feront pas la Révolution.

Proudhon a tellement influencé la plupart des écoles que pendant vingt ans, dans « l’Action Française », le quotidien royaliste en France, le plus royaliste si l’on peut dire, celui de Charles Mauras et de Léon Daudet, un homme qui venait de l’Anarchie a tenu la chronique Proudhonienne, c’était Georges Valois. Pendant vingt ans, dans « l’Action Française », un journal royaliste, il pouvait défendre les théories de Proudhon, pour aboutir à cette naïveté, qu’en définitive, le prolétariat était incapable de faire une Révolution, et que cependant l’individu du 20è siècle avait besoin d’une Révolution.

Il connaît parfaitement Mussolini, Socialiste, mais le dictateur qui avait pris le pouvoir, et par conséquent avait fait une Révolution et pouvait la faire.

Et il décide de quitter « l’Action Française », de fonder, puisque les temps sont venus, car nous sommes vers 1924 ou 1925, une Révolution en France.

Et alors, quittant « l’Action Française », ce Proudhonien s’adresse à la bourgeoisie et crée un mouvement fasciste, Béret, canne, chemise bleue, en rang, on prépare les groupes révolutionnaires avec la bourgeoisie.

Deux, ans après, il s’aperçoit que la bourgeoisie voulait bien faire une Révolution, mais pas une Révolution sociale. Elle voulait, comme la bourgeoisie de 1789 prendre sa part au banquet de la vie, elle voulait se débarrasser de toute la tyrannie des trusts et des financiers, mais ce n’était pas pour le compte de la société, c’était en maintenant le prolétariat dans son état de soumission, et il supprime lui-même le mouvement qu’il a créé : avec la bourgeoisie, on ne fait pas de Révolution Sociale.

Georges Valois continue, ensuite, revient à ses premières amours, devient Socialiste révolutionnaire, syndicaliste révolutionnaire, redevient anarchiste, mais il n’ose plus se donner d’étiquette, et enfin, il mourra dans un camp de concentration à la fin de la guerre.

Il y eut, je crois qu’il fonctionne encore, un Cercle Proudhonien, dans lequel la plupart des intellectuels d’extrême droite se rencontraient et discutaient des théories de Proudhon. Évidemment, en opposition toujours, à la finance et à la grosse industrie. C’est une bourgeoisie qui tient à conserver ses privilèges et qui pensait que Proudhon avait raison en demandant à la bourgeoisie, ses associations, ses collaborations, mais le Cercle Proudhonien composé d’hommes de droite et de privilégiés, ne pensait évidemment pas à une Révolution. Mais ils trouvaient dans l’œuvre de Proudhon, tellement elle est vaste et riche, et de son temps, des arguments tout de même contre l’exploitation des majorités par une minorité, et par conséquent, ils étaient contre l’État. Pas tout à fait, tout de même, puisqu’ils s’en réservaient une figure : le Roi. Mais le roi n’ayant aucun pouvoir, étant comme un juge suprême, ou essayant de mettre d’accord les diverses parties en compétition. Ce qui restait dans leur idée, c’est que Proudhon avait demandé à ceux qui en avaient la capacité, mais pour le moment, afin de préparer, avant la Révolution Sociale, pour qu’elle soit autre chose qu’une simple secousse qu’on appelle Révolution, mais qu’elle soit une Révolution réelle.

Proudhon indiquait les choses en un temps où c’était possible. Aujourd’hui, les petites associations commencent à être trop petites. Elles sont dépassées, et enfin, depuis que l’État bourgeois se défend, il a créé un certain nombre d’institutions, un certain nombre de règlements, de décrets et de lois, que la petite association elle-même n’échappe pas au système et est soumise aux lois du système : elle est vouée à la disparition.

Ca c’était du temps de Proudhon. Tout cela a évolué. Ce sont les termes qui ne sont plus les mêmes.

L’État actuel, dans les pays capitalistes est à peu près sensiblement le même que dans les pays dits Socialistes. C’est de plus en plus que directement ou indirectement, l’État bourgeois ressemble à l’État socialiste. Il en remplit les mêmes fonctions, et s’il y a des distinctions, elles sont secondaires, elles sont accidentelles. Elles sont du moment, elles ne sont pas constantes dans le système. Les deux systèmes tendent à se rapprocher, et par conséquent, la Société se trouve actuellement divisée plus qu’elle ne l’était en non pas deux classes, mais entre deux capacités : le propriétaire et le non-propriétaire.

Dans cet appareil de l’État, qu’il soit bourgeois, ou qu’il soit dit socialiste, la hiérarchie établit des distinctions entre les individus, qui sont des classes véritables d’individus.

Chacun disposant d’une certaine autorité, se croit libre et est esclave, soumis à des règles, soumis à des notions morales et à une application économique telle que le système est oppressif aujourd’hui plus qu’il ne l’était hier. Et s’il y a un peu partout révoltes de toutes sortes, il leur manque l’idée. La révolte est de plus en. plus une nécessité. Vous savez comment elle s’exprime par les grèves innombrables. Et Proudhon avait averti : la grève est une sottise, elle ne change rien, elle tend seulement à une augmentation des salaires dépassée ou précédée par une augmentation du coût de la vie. Déjà, quand les grèves commençaient seulement à être connues, comme une cessation concertée du travail, Proudhon établissait que la grève n’était pas un instrument de libération. Mais la cessation de travail générale, ce qu’il n’appelait pas, les termes n’étaient pas en valeur, la grève générale, c’était seulement cela, en vue d’exproprier le propriétaire, qui était valable. Ce à quoi il fallait préparer le travailleur, à refuser son travail, car rien ne vaut que par le travail.

Cette terre dont je vous parlais tout à l’heure et qui, n’avait aucune valeur, n’est devenue une valeur que lorsque le travail s’y est introduit. Pas de travail, pas de valeur, rien n’existe hors le travail. Voilà quelle est la justice et la morale : établir non pas les hiérarchies, non pas les politiques, mais la liberté dans l’économie et par conséquent, la justice dans la société.

Ce sont des termes qu’il emploie et dont on rira évidemment. Justice, plus tard un des Marxistes dira : ce sort les « grues métaphysiques ». Oui bien sûr, justice c’est un mot dont on fait tel et tel usage, mais quand. on l’exprime comme l’exprimait Proudhon, à savoir : « à la société ce qui est social et à l’individu ce qui est individuel dans l’égalité des êtres en pleine liberté ». Alors, justice, c’est autre chose, personne ne peut plus se plaindre. Elle s’exprime par les grèves, et les petites grèves d’une heure, de deux heures, de huit jours, qui sont des manifestations de mécontentement, mais qui sont toutes à caractère politique, qui ne s’attaquent pas au statut même de la propriété, tout cela c’est du leurre, de la poudre aux yeux, tout cela c’est faire croire au prolétaire qu’il lutte pour sa libération.

Autre révolte, le vol direct, la reprise sur les propriétaires de la propriété, et tout cela qui ne touche pas au statut car le voleur tend à devenir le propriétaire, il ne change pas le statut de la propriété. Cette révolte n’est pas une révolte dont l’idée a préparé l’avènement.

Il y a la révolte des jeunes à laquelle les vieux ne comprennent rien et ils ne comprennent rien parce qu’ils ne sont pas du même temps, parce que le temps, la société évoluent rapidement, parce que les techniques bouleversent tous les rapports sociaux en permanence. Alors les générations se succèdent,maistousles dix ans ou quinze ans ou vingt ans, il y a quelque chose de changé dans la société.

Et nous restons stables, assis sur nous-mêmes, avec notre formation, sans essayer de nous adapter nous-mêmes aux nécessités et aux pensées d’une époque qui évolue tous les jours, tandis que les jeunes viennent dans un climat nouveau et réagissent autrement. Ils n’ont pas do formation, on leur a enlevé les écolos. Nous sommes laïques disait notre camarade. Oui, nous sommes laïques, c’est-à-dire quo nous voulons une éducation qui libère l’esprit, qui apprenne aux hommes à penser, qui leur donne les instruments de leur vie matérielle et de leur évolution morale.

Et l’école actuelle est la négation même de l’éducation. Elle tend à conformer les individus ; elle tend à fabriquer des instruments, instruments de travail ou instruments politiques, instruments de la joie, de la puissance ou de la richesse des grands, elle n’a pas d’autre tendance. Et tant que l’école nationale ne sera pas cela, et comme elle l’est un peu, comme elle a un peu cette tendance, alors on l’envahit, on lui supprime les écoles, on supprime les maîtres, on fait tout pour qu’elle ne soit pas, et on développe celle de la complice de tous les temps, de l’Église, dans les pays où elle existe, c’est-à-dire ici, la Catholique, la Musulmane dans le pays d’Afrique, et c’est partout Leur Église, et Leur Religion.

Alors, nécessairement, pas de formation. Je ne parle pas de formation économique. Un enfant à 16 ou 18 ans a une idée. On n’a rien fait pour qu’il l’ait et ça se produit quelquefois, par l’exemple, par une constatation quelconque il aime un métier, il voudrait apprendre cela, on lui on donne le temps et il l’apprend : c’est un veinard. Il est presque une exception dans la société actuelle. Celui qui aime déjà un métier et qui a la possibilité de l’apprendre. Et puis, quand il l’a appris, au bout de deux ou trois ans, alors on lui dit : « mon ami, il n’y a rien à faire pour toi, mais si tu voulais changer de métier, alors tu pourrais peut-être, avec un apprentissage un peu accéléré, on six mois, faire autre chose, là tu aurais du travail ». Alors, adieu les illusions, adieu l’amour du travail, et c’est la révolte plus ou moins consciente, mais c’est la révolte. Enfin quand on lui dit : « tu vas aller à l’école deux ans de plus, parce que si tu ne vas pas deux ans de plus à l’école, où tu n’apprendras pas grand chose, alors tu seras chômeur, il n’y a. pas de travail pour toi ». Et qu’en même temps notre grand argentier lui dit : « Il y a 50 millions d’habitants, mais nous serons heureux quand il y en aura 100. »

Alors ? c’est une société de fous. Mais c’est une société qui n’essaie pas de convaincre. Elle en a pourtant les moyens : la presse toute entière au service des. financiers et des industriels, c’est-à-dire de l’État qui en est la représentation, la radio, mais plus que tout, la télévision. Tout cela prépare les individus à ne pas penser, à accepter, à suivre une certaine règle, plus ou moins vague d’ailleurs. Ça ne prépare pas des hommes.

50 millions, il n’y a pas de travail pour quelques 3, 4 ou 5 millions aujourd’hui. Ça ne fait rien, fabriquez encore. Qu’est-ce que vous en faites ? On cherchera du travail. C’est-à-dire, la terre est de plus en plus travaillée, elle produit de plus en plus avec de moins en moins de travailleurs. Fabriquez des travailleurs ! Pourquoi faire ? On ne travaillera pas mieux, elle ne rendra pas mieux, la. terre. Puis enfin, ce qu’on lui demande, c’est qu’elle nourrisse son homme. Mais pourquoi faire venir des gens pour manger seulement ? Enfin c’est un véritable gaspillage d’intelligence et de technique que la société actuelle.

Mais, il n’y a jamais eu autant de flics. Il n’y a jamais eu autant partout et partout de gardiens de tous ordres, de mouchards, jamais autant de C.R.S., jamais autant de soldats de métier, de reîtres prêts à étrangler leur mère ou leur frère parce qu’ils rouspètent quand on les paie mal ou qu’ils n’ont pas de travailleur, l’habiller en soldat et le faire le gardien de la propriété de celui qui exploite sa famille et lui-même.

Plus le désordre est grand, plus l’opposition est grande dans la société, et plus l’État a besoin d’être armé, fortement armé, la hiérarchie partout et sous toutes ses formes. On crée tant d’emplois les plus nobles, pourquoi faire ? pour rien, il faut employer les individus. Pas de liberté, ou des loisirs qu’on leur prépare et qu’on leur aménage. Un mois, deux mois, peut-être un séjour où ils pourront quitter le travail, mais attention, l’esprit confortablement préparé : aller prendre des bains quelque part, du soleil ailleurs ou skier sur la neige. Réfléchir, penser ? non, mais en parler pendant, deux mois et préparer pour l’année suivante un ou deux mois. Mais réfléchir, penser, pas du tout.

Voilà comment Proudhon, qui prévoyait ce qui est, parce que c’est une question de logique étant donné la connaissance des faits sans préjugés, arrivait à la critique non seulement de la société de son temps, mais bien au-delà de notre temps, et peut-être des temps à. venir. Mais ça contient aussi ceci : c’est la leçon qu’il en tirait ; c’est que le mécontentement serait de plus en plus grand, c’est que la liberté des individus est un besoin de l’individu. Il la recherche à sa façon,’ plus ou moins bien. Il lui faudrait le sentant, puisqu’il le manifeste, en mécontentement quotidien, qu’il ait l’idée, qu’il pense cela et qu’il se dise quelle est la cause ? Elle réside dans deux principes, celui de la propriété et celui de l’autorité. Tendez à supprimer la propriété et l’autorité et vous avez réalisé les conditions d’une harmonie sociale, ou l’individu pourrait se sentir l’égal de l’homme et ceci en pleine liberté.

Que Proudhon redevienne actuel. Qu’on en fasse des cours à la Sorbonne, qu’on le trouve de plus en plus clans les librairies, ou en des études plus ou moins importantes mais tant est tout de même riche, ça prouve que dans la société, indépendamment des classes, il y a de plus en plus des individus qui éprouvent le besoin de respirer, et qui pensent, qu’enfin, une Révolution serait la bienvenue qui nous rendrait cette liberté dans cette égalité, car c’est de cela que peut être faite la fraternité des hommes.


Bibliographie sommaire

Jean BANCAL, Proudhon et l’autogestion, Volonté anarchiste n° 10-11

Pierre-Joseph PROUDHON, Avertissement aux propriétaires, Ed. Collection anarchiste

  • Idée générale de la Révolution au 19è siècle, Ed. Collection anarchiste
  • De la capacité politique des classes ouvrières, 2 vol., Ed. du Monde libertaire

PROUDHON / MARX, Philosophie de la misère/Misère de la philosophie, 3 vol. Ed. collection anarchiste

Aristide LAPEYRE, Le problème espagnol, Ed. Action libertaire

A lire aussi :

Les cahiers des amis d’Aristide Lapeyre, Édités par l’association des Amis d’Aristide Lapeyre 3, rue du Muguet, 33000 BORDEAUX

Ces ouvrages sont disponibles à la
LIBRAIRIE DU MONDE LIBERTAIRE
145, rue AmeLot
75011 PARIS
teL. : 48 05 34 08

Éditions AKATENE - 1987

[Libres Opinions sur Pierre-Joseph Proudhon, éd. Cenit, s.l., s.d. (1960 ?), 29 p. ; rééd. (format 21 x 29,7, ronéoté) Akatène, Paris, 1987, 29 p.]